Nouvel arrêt : Goukovo, ville frontière, ville témoin des tensions. Le voyageur : Olivier Hodasava. Un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… Pour Unidivers, l’arpenteur – qui se fait un peu géomètre – avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord. La latitude sur laquelle est située la ville de Rennes.
Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
Depuis quelques jours, la règle du jeu, pour moi, a changé, le monde virtuel que je traverse s’est radicalement métamorphosé : Google a décidé de m’imposer un nouvel habillage avec lequel il va falloir dorénavant que j’apprenne à composer.
Cet habillage n’est ni plus joli ni plus moche que le précédent que les StreetViewers avaient pris l’habitude de qualifier de “classique”. On pourrait même penser que pas grand-chose n’a été modifié. Et pourtant. Il existe une différence, et pour moi, elle est de taille : dorénavant, les flèches qui indiquent les routes que je pourrais emprunter restent fixes, blanches, superposées à l’image. Jusque-là, il suffisait que j’attende une poignée de secondes pour qu’elles s’effacent et pour que s’offrent à moi des paysages vierges de toutes marques surajoutées. Ce n’est plus le cas.
Un jour, ces flèches, sans doute que je ne les verrai plus. Elles feront partie du paysage. En attendant, elles m’agacent. J’ai pensé, un temps, les supprimer à l’aide de Photoshop mais ce serait ne pas respecter la règle que je me suis donnée débutant mon périple : ne jamais retoucher une image, ne jamais masquer la réalité (ce qui est un comble tant il est virtuel) du monde dans lequel je voyage.
Aujourd’hui, pour la première fois depuis qu’est apparue cette petite « révolution », j’ai repris la route. Avant de débuter, je me suis longuement demandé comment j’allais m’y prendre pour me jouer de cette nouvelle contrainte. Et puis, je me suis dit que de toute façon il fallait bien que j’avance, que je verrais bien… J’ai respiré un grand coup. Et finalement, je me suis lancé.
J’ai survolé le globe, le 48e parallèle Nord. J’ai décidé finalement de m’arrêter à Goukovo, ville minière de l’oblast de Rostov, en Russie, parce qu’elle est posée sur la frontière avec l’Ukraine (je voulais voir à quoi ressemble cette zone de tension).
Je me suis parachuté sur une artère dans le sud de la ville. Et là, atterrissant, je suis tombé sur cette femme qui, balayette en main, s’acharnait à épousseter la chaussée à la limite entre soleil et ombre. Par un heureux hasard, les maudites flèches de Google se sont retrouvées sur la trajectoire de la balayette. J’ai apprécié le clin d’œil. Je me suis dit que tout cela était bien amusant. J’ai pris quatre images, vite fait. Et, tout heureux, je suis reparti !