Nouvel arrêt : Munich ville souvenir. Le voyageur : Olivier Hodasava. Un voyageur virtuel. Il arpente quotidiennement les artères du monde de Google Street View. Quand l’image saisie devient le réel ultime de la fiction commune… Pour Unidivers, l’arpenteur – qui se fait un peu géomètre – avance à la façon d’un fildefériste sur une ligne (presque) imaginaire : le 48e parallèle Nord. La latitude sur laquelle est située la ville de Rennes.
Voyager, c’est bien utile, ça fait travailler l’imagination. Tout le reste n’est que déceptions et fatigues. Notre voyage à nous est entièrement imaginaire. Voilà sa force. Il va de la vie à la mort. Hommes, bêtes, villes et choses, tout est imaginé. C’est un roman, rien qu’une histoire fictive. Littré le dit, qui ne se trompe jamais. Et puis d’abord tout le monde peut en faire autant. Il suffit de fermer les yeux. C’est de l’autre côté de la vie. (Céline, Voyage au bout de la nuit)
La mémoire est chose étrange…
J’ai vécu une quinzaine de jours au sud de Munich, à la périphérie de la ville, mais je n’en ai aucun souvenir ou presque : ni des lieux ni des personnes que j’ai croisées. Il ne me reste que des bribes confuses… Je me souviens, par exemple, et encore vaguement, que ce qui faisait office de chambre pour moi était un grenier aménagé, en haut à droite d’un escalier étroit. Mais je ne me rappelle pas si la maison donnait directement sur la rue ou s’il y avait une haie, un portail, un jardin…
Je me souviens d’un prénom, d’un seul – Axel – qui était celui de mon correspondant. Et si je m’en souviens, c’est parce que mes parents ensuite, des années durant, ne cessèrent de me vanter ses mérites tant il leur avait semblé bien élevé (c’était, en réalité, un sacré faux jeton). J’étais en seconde. Le voyage eut lieu un printemps au tout début des années quatre-vingt. Je me souviens avoir rapporté de ce séjour allemand deux 33 tours : un de Foreigner, un de Supertramp. Je me souviens aussi du goût du soda que l’on buvait au cours des repas et aussi d’espèces de pizzas servies sur des palettes et préparées par la mère d’Axel. Mais je ne me rappelle plus du visage de cette femme pas plus que je me rappelle celui de son mari. J’avais cet âge où l’on peut, large sourire faussement innocent, ponctuer une commande dans un fastfood d’un « Danke schön enculé ! » avant de découvrir, sidéré, que le type en face comprend très bien le français. Oui : Je sais qu’une scène de ce genre s’est déroulée mais je ne saurais dire si j’en ai été le spectateur ou l’acteur…
Je sais que nos souvenirs ne sont que des souvenirs de souvenirs de souvenirs souvent éloignés de la réalité de l’instant initialement « saisi ». Mais je crois me rappeler également que mon correspondant avait une sœur plus âgée que nous. Si mes souvenirs sont exacts, elle n’était présente que les week-ends – sans doute faisait-elle ses études ailleurs (où ? Je n’en ai pas la moindre idée). Je crois me souvenir cependant qu’un matin je l’avais surprise en train de s’habiller – peut-être était-elle en sous-vêtements, peut-être nue. Elle m’avait aperçu. Elle avait souri avant de faire deux pas, sans paniquer le moins du monde, afin de s’extraire de mon champ de vision. Je crois me souvenir que cette apparition m’avait troublé au plus haut point (je n’avais pas vu beaucoup de corps de femmes jusque-là), qu’elle m’avait subjugué incroyablement. Mais, allez savoir, tout cela est si loin, peut-être n’était-ce qu’un rêve.