Les Amants magnifiques étaient donnés par un Opéra de Rennes qui ne cesse de surprendre par l’originalité de sa programmation. Avec la renaissance des Amants magnifiques, un nouveau stade est atteint qu’il sera difficile d’égaler. Le spectacle offert par les nombreux intervenants, musiciens, chanteurs, danseurs ou comédiens a été d’un bout à l’autre la source d’un émerveillement que pas moins de huit rappels ont salué de manière plus que méritée.
La première conclusion qui s’impose au sortir de cette représentation est la compréhension et l’intelligence de la mise en scène et de la scénographie. Vincent Tavernier et Claire Niquet ont su avec une incomparable clairvoyance restituer l’ambiance de magie et de fantasmagorie exigée par le roi Louis XIV lors de la commande de cette œuvre. Le public a été véritablement subjugué par tous les artifices de théâtre et les multiples inventions qui, à tous moments, ont attiré notre attention. Nous nous sommes trouvés dans la situation d’enfants admirant d’un œil brillant les plus étincelantes vitrines animées de Noël.
Si le livret raconte une histoire assez simple de princes éconduits et d’amours contrariées (qui finiront bien) la conjonction des disciplines artistiques que sont la danse, le chant, la musique et le théâtre ont atteint un tel niveau de cohérence que les cinq actes de la pièce sont passés avec la douceur d’un printemps.
L’ouverture est accompagnée d’une longue scène sous-marine ou poissons et créatures des abysses exécutent un ballet chatoyant et mobile, mettant en œuvre toutes les ressources de lumières, de fantaisie et de rêve, tel que le théâtre peut nous les offrir. Un ballet de méduses plein de légèreté et de grâce achève de nous capturer et c’est bien volontiers que nous nous laissons prendre dans les filets tendus par un Neptune débonnaire.
Les dix-neuf instrumentistes de l’ensemble Le Concert spirituel sous la baguette du jeune et énergique Nicolas André ont véritablement séduit par la beauté un peu rigide de ces pages musicales, pleines d’une certaine élégance à la française. La rigueur de l’exécution et la direction précise ont offert au spectacle un écrin musical proche de la perfection. Ce compliment vaut pour la troupe Les Malins plaisirs dont l’interprétation drôle et pleine de verve recueille sans restriction l’assentiment du public. De la diction très « Comédie Française » de Laurent Prévot, remarquable dans le rôle du général Sostrate, sans oublier Marie Loisel, touchante dans celui de la princesse Eriphile, tout nous est sujet de satisfaction. Notre habituel petit coup de cœur reviendra cette fois au virevoltant Clitidas ou Pierre-Guy Cluzeau, véritable feu-follet, fil rouge jubilatoire qui, en demi-teinte, amène tout ce beau monde aux fins qu’il a déterminées. Il incarne parfaitement le personnage du valet malicieux et inventif, tel qu’on le retrouve souvent dans les pièces de Molière, c’est un Leporello à la française. Si tous ne sont pas cités, tous du moins sont dignes des mêmes éloges.
Les neuf chanteurs ne sont pas en reste et savent tout aussi bien enchanter qu’amuser par la qualité théâtrale de leurs interventions. Il n’y a pas à proprement parler de soliste tel qu’on le conçoit habituellement dans un opéra classique, mais c’est justement l’homogénéité des voix qui confère, comme dans le cas de l’orchestre, une véritable assise sur laquelle toute l’œuvre assure ses bases.
Dernier élément et pas des moindres, puisqu’il s’agit d’une comédie-ballet, les danseurs de la troupe L’Éventail ont contribué avec talent à restituer l’ambiance si particulière de ces divertissements royaux au cours desquels le monarque lui-même ne répugnait pas à monter sur scène pour se produire devant la cour. Le Roi-Soleil avait la réputation d’être d’ailleurs un assez bon danseur. Louis le quatorzième plaçait au-dessus de tout l’image de la royauté. Pour la première et la dernière fois, il tint son rôle lors de la représentation du 4 février 1670, avant de laisser la place à des professionnels, impressionné qu’il avait été par les vers de Racine, tirés de Britannicus, et qui font dire à Narcisse en parlant de Néron:
Il excelle à conduire un char dans la carrière,
À disputer des prix indignes de ses mains,
À se donner lui-même en spectacle aux Romains,
À venir prodiguer sa voix sur un théâtre.
Peu habitués au spectacle de danse et pas forcément meilleur juge, il nous a semblé pourtant qu’un danseur en particulier méritait un petit coup de chapeau en la personne de Artour Zakirov. Remarqué en pantomime lors d’un agréable pas de trois, le jeune danseur originaire de Kazan a confirmé cette bonne impression en marquant le final par une magistrale interprétation du Roi-Soleil. À cette occasion, en digne représentant de la très exigeante école russe, il a mis en valeur ses qualités de danseur, la souplesse, la légèreté et la grâce. Il serait un peu injuste de ne pas évoquer tous ces hommes de l’ombre que sont les machinistes, éclairagistes et autres techniciens, pas toujours mis en valeur, mais dont le travail, et c’est particulièrement vrai pour « les Amants magnifiques » a contribué à l’éclatante réussite de cette coproduction réunissant 6 maisons d’opéra.
LES AMANTS MAGNIFIQUES, de Lully et Molière, comédie en cinq actes en prose mêlée de musique et d’entrées de ballet a été représentée du 26 au 29 janvier 2017 à l’Opéra de Rennes.
La collaboration de Molière et Lully appartient à la légende du Grand Siècle.
Pourtant, on connaît mieux les pièces de théâtre de l’un et les tragédies lyriques de l’autre. Leurs réalisations communes de « comédie mêlée de musique et d’entrées de ballet » ont en revanche été oubliées, à l’image de ces Amants magnifiques, commande de Louis XIV pour le carnaval de 1670.
Crédit photo : Erwan Floc’h
Les Malins Plaisirs
Mise en scène et direction artistique
Vincent Tavernier
Le Concert Spirituel
Direction musicale
Nicolas André (les 26 et 27 janvier) /Hervé Niquet (les 28 et 29 janvier)
L’Éventail
Chorégraphie
Marie-Geneviève Massé
Scénographie
Claire Niquet
Costumes
Erick Plaza-Cochet
Lumières
Carlos Pérez
Les comédiens
Mélanie Le Moine, Marie Loisel, Claire Barrabès,
Laurent Prévôt, Maxime Costa,
Benoît Dallongeville, Pierre-Guy Cluzeau,
Quentin-Maya Boyé, Olivier Berhault
Les chanteurs
Lucie Roche, Eva Zaïcik, Margo Arsane,
Laurent Deleuil, Clément Debieuvre,
Victor Sicard, Virgile Ancely, Geoffroy Buffière
Les danseurs
Anne-Sophie Berring, Bérengère Bodénan
Romain Arreghini, Bruno Benne, Olivier Collin
Pierre-François Dollé, Robert le Nuz
Artour Zakirov
Nouvelle production
Les Malins Plaisirs en Coproduction le Concert Spirituel, L’Eventail, L’Opéra de rennes, L’Opéra de Massy, L’Opéra Grand Avignon, Le Centre de Musique Baroque de Versailles et la Ville du Touquet-Paris-Plage.
Les Malins Plaisirs, Ensemble théâtral et lyrique du Pays de Montreuil-sur-Mer, est subventionné par le Conseil Régional Hauts de France, le Conseil Départemental du Pas-de-Calais, les quatre Communautés de Communes du Syndicat Mixte du Montreuillois et la Ville du Touquet Paris-Plage.
Le Concert Spirituel est subventionné par le Ministère de la Culture et de la Communication et la Ville de Paris. Le Concert Spirituel remercie les mécènes de son fonds de dotation, en particulier le Groupe SMA, mécène de la grande production lyrique de la saison, ainsi que les mécènes individuels de son « Carré des Muses ». Le Concert Spirituel bénéficie du soutien de ses Grands Mécènes : Mécénat Musical Société Générale et la Fondation Bru.
La Compagnie de danse L’Eventail est conventionnée par le Ministère de la Culture, DRAC des Pays de la Loire. Avec le soutien de l’Etat-Préfet de la région Pays de la Loire, le Conseil Régional des Pays de la Loire, le Département de la Sarthe, la Ville et Communauté de Communes de Sablé-sur-Sarthe. Avec le soutien du Centre National de la Danse pour la mise à disposition de studios.