Carmen à l’opéra de Rennes… Depuis plusieurs semaines, tout Rennes attendait, avec une impatience croissante, que Carmen soit donnée dans notre opéra breton. Chose faite le 30 mai. Cet engouement sans doute explique qu’il était impossible, après les premières heures de réservation, d’obtenir jusqu’à un strapontin. Tout ce que Rennes compte d’amateurs d’opéra ayant fait le siège du guichet aux premières heures, ils n’avaient laissé aucune chance aux retardataires. Mais rien n’était perdu, car le jeudi 8 juin 2017 à 20h00, en sus de la projection en plein air place de la mairie de Rennes, les Bretons ont eu à disponibilité 28 lieux de projection (voir la liste plus bas). L’opéra a rassemblé plus de 16 000 personnes sur les places publiques et dans les salles partenaires à Rennes, Rennes Métropole et en Bretagne !
Mais venons-en à Carmen notre sujet, tout en rétablissant quelques vérités sur Georges Bizet (1838-1875) et son œuvre majeure. Primo, il ne s’appelait pas Georges, mais Alexandre, César, Léopold. Fils d’un professeur de chant et d’une pianiste, il a été élevé dans l’omniprésence de la musique, ce qui explique cette connaissance parfaite des techniques liées à la composition.
Dire que Carmen fut, à l’époque, un échec est une fausse vérité. Prétendre que Bizet, terrassé par ce prétendu échec en mourut de tristesse, relève d’une approche romantique quelque peu exaltée. Ce qui est sûr, c’est que cet opéra causa une véritable levée de boucliers, il choqua beaucoup la morale bourgeoise de l’époque et la presse à son service se fit le porte-parole des bien-pensants outragés. Pourtant, si l’on compare avec ses autres œuvres, Carmen n’eut pas un destin difficile. « Les pêcheurs de perles » et « La jolie fille de Perth » eurent droit à dix-huit représentations, « Djamileh » quitta la scène au bout de onze. C’est à la trente-troisième de Carmen, que Bizet, à son tour, quitta la scène alors qu’il n’avait que trente-six ans ; c’était le trois juin 1875, et sans le savoir, le monde perdait un authentique génie de la musique. Cruel destin que celui d’être reconnu alors qu’on n’est plus en situation que d’être encensé.
L’orchestre de Bretagne était, pour cet événement, placé sous la direction de Claude Schnitzler, pas un inconnu puisqu’il était déjà chef attitré de cette formation de 1989 à 1995 ; impossible de dire si cette proximité a joué en la faveur de l’OSB, mais la prestation musicale fut de haute volée, un régal.
Le décor de Carmen, confié à Rifail Ajdarpasic, était simple et efficace. Il s’avère adapté, tout s’y déroule naturellement, les ambiances y sont bien rendues. Les éclairages de Marco Giusti, subtils, donnent en permanence l’impression de changer de lieu en fonction des besoins.
Les costumes sont également une réussite, Ariane Isabell Unfried, par la sobriété de ses créations, participe pour beaucoup à donner à cette production, une cohérence et une homogénéité qui en rendront la lecture aisée. Tout marche dans une seule direction et contribue a faire de cette Carmen rennaise une réussite. Du point de vue vocal, et c’est avec l’orchestre le point le plus important, le public a été gâté.
Dans un premier temps, c’est la maîtrise de Bretagne qui se fait remarquer par l’interprétation d’une « garde montante » exempte de tout reproche ; ce groupe d’enfants, sous la direction d’un petit tambour major énergique et sérieux comme un chaton découvrant sa première pelote de laine, place, par la qualité de son travail, la barre très haut ! La concurrence viendra sans tarder d’une autre formation : celle des chœurs de l’opéra. Un seul mot : chapeau ! Tout est réglé au cordeau, net, irréprochable. Du travail à la Gildas Pungier, directeur du bel ensemble « Mélismes ». Au plan des solistes, la satisfaction est au plus haut.
Julie Robard-Gendre est une Carmen parfaitement à la hauteur, tantôt provocante, l’instant d’après tendre, elle donne vie à un personnage crédible. Pas tout à fait assez audacieuse durant la première, elle s’est habilement rattrapée et a démontré des qualités vocales et un sens de l’interprétation qui bien souvent serrent la gorge d’émotion. Même appréciation pour Le sympathique ténor québécois, Antoine Bélanger, qui est simplement époustouflant. Comme on dit dans sa belle province natale : « une maudite pièce d’homme » ! Il est fabuleux de puissance, d’émotion, de présence scénique. Il a conquis tout le public, béat de surprise et de ravissement, particulièrement au troisième acte lors d’un poignant dialogue avec Carmen alors qu’il essaie de reconquérir son amour.
Belle prestation également de Marie-Adeline Henry qui plante un personnage façonné de souffrance et de sacrifice. A l’instar des drames cornéliens, en arrière-plan de Carmen, c’est l’opposition de la pure énergie brute avec la sensibilité. Léger bémol (là encore effacé durant la représentation du 8 juin) : durant certains passages, des aigus un peu plus en retrait feraient perdre aux décibels ce que gagnerait l’émotion… Elle n’en mérite pas moins une palme particulière pour la qualité théâtrale de ses interventions.
Les airs de Carmen étant tous connus du grand public, le plus fameux d’entre eux est porté avec brio par Régis Mengus qui interprète un Escamillo de belle facture et revêtu d’un étincelant habit de lumière. Le public subjugué aura bien du mal à ne pas entonner avec lui le plus que célèbre air du toréador qu’il interpréte fièrement sous l’œil admiratif des belles señoritas.
Marie-Bénédicte Souquet et Sophie Pondjiclis, respectivement Frasquita et Mercédès, feront preuve d’une belle complicité, jouant avec adresse le rôle de gitanes facétieuses et cartomanciennes. Un vrai plaisir que de les voir tourmenter la pauvre Carmen…jusqu’à ce que les cartes lui révèlent son destin tragique et proche.
Citons-les tous, tant les mérites de cette excellente production sont partagés. Pierre Boisseau et son complice en contrebande, Olivier Hernandez, imposent les personnages du « Dancaire » et du « Remendado » avec une assez belle présence. Idem pour Jean-Gabriel Saint-Martin, en « Morales » ou Ugo Rabec en « Zuniga », sans oublier Benjamin Leblay, « Lillas Pastia », qui donnerait envie d’aller chez lui déguster un petit verre de Manzanille en admirant les charmantes danseuses venues animer la scène de leurs pas gracieux…
Si tous les ingrédients se sont avérés de remarquable qualité, rien n’aurait été possible sans le travail de mise en scène de Nicola Berloffa. Un vrai travail de pro ! Par son approche vivante et dynamique, on ne s’ennuie pas un instant ; on est saisi par l’incroyable cohérence de sa vision. Tout s’imbrique, tout fonctionne, il ne nous reste qu’à nous laisser porter. Nous ne nous en priverons pas.
Les villes et les lieux qui ont diffusé l’opéra Carmen en direct le 8 juin 2017 à 20h00
RENNES :
Place de la Mairie
Patinoire Le Blizz
Les Champs Libres (Salle Hubert Curien) Gare de Rennes
BETTON, Place de la Cale
BRUZ, Place du Dr Joly
CESSON SÉVIGNÉ, Château de la Monniais
GÉVEZÉ, Salle polyvalente (complexe sportif)
LE RHEU, Auditorium de l’Autre Lieu
ROMILLÉ, Cinéma Korrigan
VERN SUR SEICHE, Vallée de la Seiche, Théâtre de Verdure
BRETAGNE :
ANTRAIN, Ferme de Chauvigné
BRÉAL-SOUS-MONFORT, Cinéma la Bobine
DINAN, Esplanade Bibliothèque
DINARD, Palais des Arts et du Festival
FOUGÈRES, Cinéma Le Club
LA BOUËXIÈRE, salle polyvalente A. Blot
LANNION, Espace Ste Anne,
LOUDÉAC, Palais des Congrès et de la culture
MORLAIX, Amphithéâtre du Parc d’Expositions de Langolvas PONTIVY, Palais des congrès.
REDON, Cinéma Manivel
ROSTRENEN, Ciné Breizh
VITRÉ, Jardin du parc
EN DIFFÉRÉ :
BELLE-ÎLE-EN-MER, salle Arletty, Le Palais le 08 juillet JERSEY, le 08 juillet
GUERNESEY, le 10 septembre
Diffusion en direct sur TVR (Ille et vilaine), TEBEO (Finistère), TEBESUD (Morbihan), France Bleu Armorique, France Bleu Breizh Izel
Photos de cet article : Laurent Guizard