Jeudi 28 mai 2015, plusieurs mélomanes ont eu la chance d’assister à la première de La Cenerentola de Rossini à l’opéra de Rennes. Réjouissez-vous, Rennais : ce conte de fée jubilatoire à la Jérome Savary est de nouveau donné le samedi 30 mai, lundi 1er juin, mercredi 3 et vendredi 5 à 20h avec une retransmission en simultané Place de la Mairie (et en 14 autres villes de Bretagne).
L’indication choisie par Rossini pour cette œuvre majeure de son répertoire a quelque chose de contradictoire, elle est décrite comme « Mélodrama giocoso ». Concept pas évident à saisir, un mélodrame n’ayant rien qui procure une jouissance particulière. Pourtant avec cette Cendrillon à l’italienne, l’idée fait son chemin. Entre le destin un brin tragique de cette pauvre jeune fille et les péripéties grotesques qui accompagnent les actes de son beau-père et de ses deux demi-sœurs, l’antithèse devient plus évidente. Si vous rajoutez à cela le talent de mise en scène de Jérôme Savary, vous obtenez une soirée des plus divertissantes dont il vous est encore possible de profiter.
Notre petit théâtre rennais bourdonne d’impatience tandis que les musiciens de l’Orchestre Symphonique de Bretagne s’accordent avant de saluer l’arrivée du chef Darrell Ang. Plus une place de libre, ce qui est bien normal un soir de première. À la place de l’habituel rideau, une immense fresque ou deux châteaux se font face, perchés sur de hautes collines boisées.
C’est avec une longue ouverture que débute le spectacle. On dirait une présentation de tout ce qui va être développé ensuite. De notes sombres et lentes, on passe à des envolées lyriques puissantes et incantatoires auxquelles succèdent des mélodies sautillantes, ponctuées par les appels du hautbois et les pizzicati des violons. Pas d’erreur, c’est bien de l’italien !
C’est avec les deux méchantes sœurs de Cendrillon que nous faisons d’emblée connaissance. Anna Steiger, dans le rôle de Tisbé, accompagnée de Jeannette Fisher, qui de son côté interprète celui de Clorinda. Si les deux faisaient partie de la distribution initiale, du vivant de Jérôme Savary, il faut reconnaître que Jeannette Fisher a su préserver son capital énergie de manière proprement époustouflante. Elle nous plante un splendide grand écart, se livre à toutes sortes d’entrechats de pirouettes et de cabrioles se jetant souvent à terre ( un peu trop), et se relevant comme une gamine, elle est stupéfiante. Vocalement, elle ne n’a rien perdu de ses qualités et impose avec une énergie incroyable un personnage burlesque, tonitruant et semblant par son aspect tout droit sorti d’un dessin animé de Walt Disney. Mais la grande question reste celle du rôle-titre, quid de Cendrillon ?
C’est l’interprète José Maria lo Monaco qui va nous apporter la réponse. Cette charmante cantatrice Sicilienne, assez jeune et gracieuse pour proposer une jeune fille de façon crédible joue son rôle plaisamment, sa voix est à la mesure des dimensions de l’opéra de Rennes, mais elle n’hésite pas à démontrer lors de certains passages qu’elle est parfaitement capable de donner de la puissance. Elle sait user des ornements si propres à la musique italienne avec modération et nous évite ainsi les pénibles rodomontades de certaines « prima donna » déplaisantes à écouter. C’est une remarque similaire qui accompagne l’interprétation du ténor napolitain Daniel Zanfardino. Il est parfaitement à sa place dans ce rôle et dans cette salle d’opéra. Tenant de beaux aigus avec fierté il campe un personnage touchant et sensible et sa voix de ténor Rossinien est digne d’éloges. Ses duos avec José Maria do Monaco seront de jolis instants d’émotion tout au long de l’œuvre.
Le personnage de Don Magnifico, interprété par Bruno Pratico est peu être un peu plus sujet à caution. Sa voix n’est pas toujours plaisante et paraît poussée dans ses ultimes retranchements. Mais il faut lui rendre justice, d’un point de vue strictement théâtral, il remporte la palme haut la main, de toute évidence l’expérience parle. Son Don magnifico est truculent, ridicule, colérique, bedonnant à souhait, servile quand cela s’impose et sa seule arrivée sur scène dans un ascenseur en chute libre nous le rend sympathique. Théâtralement, il est talonné par un habitué des lieux en la personne de Marc Scoffoni.
Le diable d’homme nous étonne, il n’était pas évident de l’envisager dans ce genre de rôle et pourtant il s’en sort vraiment avec les honneurs. En poussant l’analyse un tout petit peu plus loin il est juste de reconnaître que Marc Scoffoni a un vrai talent lorsqu’il s’agit de faire rire. C’est peut-être dans ses racines Marseillaises qu’il convient de chercher cette aptitude à la bonne humeur communicative, mais son succès ne se limite pas à ses dons pour le théâtre, il est lié également a sa performance de chanteur qui est tout à fait louable, il est juste de le souligner. Son « Dandini » bien proche des Scapin et Leporello est un personnage clé du drame et Marc Scoffoni l’incarne avec une belle autorité. Nous avons presque fait le tour des acteurs de cette divertissante farce, seul nous manque Alidoro, le philosophe, fièrement campé par la basse italienne Luigi di Donato. Déjà largement plébiscité lors de son interprétation de Zoroastro de L’Orlando de Georg Friedrich Haëndel, il revient imposer crânement son imposante stature et sa belle voix grave à la plus grande joie du public rennais heureux de retrouver un chanteur apprécié.
Bien des raisons donc d’être satisfaits, mais puisque nous avons l’ivresse… examinons le flacon….
Décors et costumes d’Ezio Toffoluti servent parfaitement la pièce. De l’intérieur sombre où s’étiole Cendrillon à la jolie galerie romaine où se dénoue le drame, tout est équilibré et suffisant. Les costumes soulignent intelligemment les personnalités des intervenants, de redondants à grotesques, ils savent être sages et élégants pour mettre en valeur des aspects psychologiques particuliers. Le message n’a rien de subliminal, mais donne une lisibilité qui contribue à la fluidité du spectacle.
La mise en scène de Jérome Savary, reprise par Frédérique Lombart est en correspondance avec le personnage et en parfaite adéquation avec ce qui est son véritable testament artistique. Un théâtre total, jubilatoire et ouvert à tous. Il y aurait encore bien des choses à dire…le chœur de l’opéra.…proprement formidable, confirmant tout le bien qu’on en avait pensé lors de ses bouleversantes interventions dans un Lohengrin rendu inoubliable. La figuration même est une réussite, l’arrivée sur scène de charmantes jeunes filles encore adolescentes tantôt vêtues en servantes tantôt grimées en laquais et toutes plus charmantes les unes que les autres, puis de petites filles entre six et huit ans, ravies de venir sur scène danser avec les grands, tout est rafraîchissant et donne à ce spe
ctacle un mélange de grâce enfantine et de profonde humanité.
Rassurez-vous, nous n’allions pas oublier notre cher orchestre de Bretagne. À dire la vérité, c’est un peu lui qui se fait oublier, dissimulé dans sa fosse où il ne manque pas d’être copieusement enfumé. Il se met si totalement au service d’un spectacle qui captive le public qu’on l’oublie un peu. C’est injuste, mais en tout cas le travail est fait et bien fait. D’ailleurs le temps ne nous paraîtra pas si long. Si l’on considère que le premier acte dure une heure et quarante-cinq minutes et qu’après une demi-heure de pose, le second vous entraîne encore une heure complète, il est souhaitable d’être comme happé par la scène. C’est bien ce qui se passe et des plus jeunes aux grands-parents nous nous trouvons tous comme des enfants avides de connaître la suite de l’histoire et pas du tout pressés de la voir se terminer. Magie des contes de fées… Merci, Monsieur Perrault !
Le plus grand des plaisirs est de savoir que, en plus des autres représentations, le vendredi cinq juin à 20h, il sera possible à tout un chacun d’aller assister à la représentation gratuite donnée sur grand écran place de la mairie à Rennes. N’allez pas penser que l’opéra n’est pas pour vous, essayez le comme on goutte pour la première fois à un met délicat, vous découvrirez peut-être l’amateur d’art lyrique qui est en vous. À suivre… !
Opéra de Rennes La Cenerentola
Melodramma giocoso en deux actes de Gioachino ROSSINI
Livret de Jacopo Ferretti (1817)
Editions Ricordi
Ouvrage chanté en italien, surtitré en français
DIRECTION MUSICALE DARRELL ANG
MISE EN SCENE JEROME SAVARY réalisée par FREDERIQUE LOMBART
DECORS ET COSTUMES EZIO TOFFOLUTTI Assisté de LUCIA LUCCHESE
LUMIERES ALAIN POISSON
CHOREGRAPHIE FREDERIQUE LOMBART
ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE BRETAGNE
CHŒUR DE L’OPERA DE RENNES, DIRECTION GILDAS PUNGIER
ANGELINA JOSÉ MARIA LO MONACO
DON RAMIRO DANIELE ZANFARDINO
DANDINI MARC SCOFFONI
DON MAGNIFICO BRUNO PRATICÒ
TISBE ANNA STEIGER
CLORINDA JEANNETTE FISCHER
ALIDORO LUIGI DE DONATO
Nouvelle coproduction de l’Opéra de Rennes et de l’Opéra Balet Ljubljana, d’après la production du Grand Théâtre de Genève
Photos : Laurent Guizard