Elles recouvrent la surface de la Terre de leurs formes et de leurs couleurs. Les fleurs, ou plus exactement les plantes à fleurs (angiospermes), constituent aujourd’hui le groupe végétal dominant sur notre planète, avec environ 300 000 espèces recensées. Pourtant, malgré leur omniprésence et leur diversité spectaculaire, leur origine reste l’une des plus grandes énigmes de l’évolution biologique. Une énigme que Darwin lui-même qualifiait de « mystère abominable » (abominable mystery), tant l’émergence soudaine et explosive des angiospermes au cours du Crétacé défiait les logiques graduelles qu’il observait ailleurs dans la nature.
Aujourd’hui, des équipes pluridisciplinaires, telles que celle du CNRS à Lyon, s’emploient à élucider ce mystère ancestral en combinant paléobotanique, génétique évolutive et bioinformatique.
Un surgissement soudain dans l’histoire de la vie
Les premières traces indiscutables de plantes à fleurs apparaissent dans les archives fossiles il y a environ 130 millions d’années, au début du Crétacé. Pourtant, la rapidité de leur diversification pose problème. Comment expliquer une telle explosion évolutive en si peu de temps géologique ?
Certaines découvertes fossiles plus anciennes, controversées, suggèrent que les premiers angiospermes auraient pu émerger dès le Jurassique inférieur (il y a 200 millions d’années), voire plus tôt encore. Des fossiles tels que Nanjinganthus en Chine, datant de 174 millions d’années, ont relancé le débat ces dernières années (Fu et al., 2018). Cependant, ces interprétations restent discutées au sein de la communauté scientifique.
L’ancêtre hypothétique des fleurs : l’approche phylogénétique
Faute de fossiles nombreux et bien conservés, une autre approche s’est imposée : la reconstruction de l’arbre évolutif des angiospermes par la génétique comparée.
Grâce au séquençage massif de génomes végétaux modernes, les chercheurs du CNRS et d’autres institutions internationales reconstituent l’architecture moléculaire des premières fleurs. Ils s’appuient sur des espèces dites basales — telles qu’Amborella trichopoda, une plante endémique de Nouvelle-Calédonie considérée comme l’une des plus proches parentes vivantes de l’ancêtre commun des angiospermes.
Ces analyses permettent de modéliser les caractères probables de la première fleur : une structure spiralée de pièces florales peu différenciées, un nombre indéfini de pétales et de carpelles, des organes sexuels peu spécialisés — bien éloignée des fleurs modernes, souvent hautement spécialisées pour la pollinisation par des insectes ou d’autres animaux.
Une révolution génétique silencieuse
Derrière l’apparition des fleurs se cache une transformation génétique progressive et complexe. L’évolution des gènes de développement floral, en particulier les gènes MADS-box, aurait joué un rôle clé dans la structuration des organes floraux (sepales, pétales, étamines, carpelles). Des duplications et réarrangements de ces gènes de régulation auraient permis la diversification rapide des formes florales et leur adaptation aux pollinisateurs.
C’est cette dynamique des duplications génétiques — phénomène courant chez les végétaux — qui aurait autorisé une plasticité évolutive exceptionnelle. Les nouvelles combinaisons génétiques ont ouvert la voie à une coévolution avec les insectes, accélérant encore la diversification florale.
Une coévolution explosive avec les insectes
L’apparition des fleurs est indissociable de celle des insectes pollinisateurs. Cette interaction mutualiste a favorisé la sélection de formes florales attractives, optimisant la dispersion du pollen. Abeilles, coléoptères, papillons et oiseaux-mouches ont façonné, au fil des millions d’années, la diversité des formes, des couleurs, des parfums et des structures florales que nous connaissons.
Cette relation de dépendance étroite a probablement été l’un des moteurs principaux de l’explosion des angiospermes au Crétacé, dans un monde où les gymnospermes et les fougères dominaient auparavant.
Vers la résolution du mystère ?
Les travaux du CNRS, en combinant données fossiles, analyses génomiques et modélisations bioinformatiques, permettent aujourd’hui de brosser un scénario plus nuancé et moins abrupt que ne le croyait Darwin. L’origine des fleurs ne résulte sans doute pas d’un événement unique, mais d’une longue phase de préadaptations invisibles dans les archives fossiles, suivie d’une diversification spectaculaire lorsque les conditions environnementales, climatiques et écologiques se sont alignées au Crétacé.
L’origine des fleurs illustre ainsi parfaitement la complexité des processus évolutifs : un enchevêtrement de changements lents, de contingences écologiques et de boucles de rétroaction évolutives.
Bibliographie scientifique indicative
- Soltis, D. E., Soltis, P. S., & Chase, M. W. (2019). « Angiosperm phylogeny and evolutionary radiations. » American Journal of Botany, 106(3), 349-364.
- Sauquet, H., et al. (2017). « The ancestral flower of angiosperms and its early diversification. » Nature Communications, 8, 16047.
- Fu, Q., et al. (2018). « An unexpected noncarpellate epigynous flower from the Jurassic of China. » eLife, 7, e38827.
- Zeng, L., et al. (2014). « Resolution of deep angiosperm phylogeny using conserved nuclear genes and estimates of early divergence times. » Nature Communications, 5, 4956.
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