Paul Yoon sait capturer dans des phrases emblématiques et lumineuses l’essence même de ses personnages. Tout son roman, Chasseurs de neige (Snow Hunters), subtil et bienveillant, est à l’avenant.
Yohan, Coréen du Nord a passé deux ans dans un camp de prisonniers établi par les Américains à l’issue de la guerre de Corée. En 1954, on lui propose d’aller refaire sa vie ailleurs et il choisit un travail d’apprenti chez un tailleur japonais au Brésil. En descendant du bateau après un mois de traversée, il débarque sous la pluie et traverse les ruelles jusqu’à la boutique de son futur employeur.
Il vient de découvrir Kiyoshi, cette patience en lui et cette fermeté auxquelles il s’habituera avec les années.
Une relation particulière naît entre le tailleur et son apprenti. Sans grand discours, ils se comprennent, se respectent, prennent soin l’un de l’autre. Le vieux Japonais, transfuge de la Seconde Guerre mondiale, connaît cette nécessité d’oublier le passé, les traumatismes d’une guerre pour reconstruire une nouvelle vie ailleurs.
C’est vrai qu’ils ne se sont jamais beaucoup parlé, tous les deux, et il s’étonne d’autant plus que la voix du vieil homme soit parfois son seul souvenir de lui. Cette voix lui rappelait l’automne à la campagne, dans la région où il a vécu ses vingt premières années, le vent sec, les montagnes qui déversaient sur la ville leur foison de feuilles mortes.
Dans Chasseurs de Neige Paul Yoon effleure de son pinceau des moments du passé, des instants de grâce du présent pour donner une image émouvante des personnages.
Quelques touches de l’enfance de Yohan en Corée, quelques traumatisants souvenirs de la guerre avec son ami Peng nous donnent à comprendre la fragilité du personnage. Yohan est un être sensible aux autres et à la nature. Pas de grandes conversations avec les personnes qui croisent sa vie, mais une forme d’intimité, de reconnaissance envers ces êtres qui, comme lui, ont perdu une part d’eux-mêmes : Kiyoshi, Peixe, les jeunes Bia et Santi, immigrés, handicapés ou orphelins. Chacun a abandonné quelque chose, un pays, un rêve. Mais il n’y a pas de regrets, juste une trace dans la voix, la démarche ou la façon d’être.
Chacun est pour l’autre une lentille à travers laquelle regarder le monde.
Yohan se reconstruit au contact de ses nouveaux amis. À chaque livraison de tissus, il retrouve le marin qui l’a amené au Brésil. Il aime aller rêver au sommet de la colline, sous son arbre, regarder la mer au loin et partager quelques friandises avec Bia et Santi. Ou regarder les toits depuis la terrasse de l’immeuble avec Kiyoshi. Ce sont alors des moments de quiétude où tous les sens sont en éveil ou des vagabondages sous un ciel
immuable, invulnérable au temps.
Ainsi passent les jours, et les jours peu à peu se transforment en années. L’espace d’une vie d’homme.
Avec sa plume lyrique, Paul Yoon nous offre avec Chasseurs de Neige un roman lumineux sur la résilience, tout en subtilité. Émotions et sensations prennent le pas sur les grands discours. Le passage du temps garde toute son ambiguïté entre consolation et oubli.
Se peut-il qu’une vie se referme en un instant, avant qu’on ait pu la toucher une dernière fois, prendre une dernière fois la main de quelqu’un ? Et qu’un jour, plus personne ne s’interroge sur l’existence qu’il a menée avant celle-ci ?
Paul Yoon Roman Chasseurs de neige (Snow Hunters), Albin Michel, 3 mars 2016, 19 euros; e-book : 12,99 €
Titre original : Snow hunters traduit par Marina Boraso
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Américain d’origine coréenne, Paul Yoon est l’auteur d’un recueil de nouvelles (Autrefois le rivage, Albin Michel, 2014), sélectionné par le New York Times comme l’un des meilleurs livres de l’année 2010. Distingué par la National Book Foundation comme l’un des meilleurs écrivains de sa génération, il signe avec Chasseurs de neige son premier roman.