Peindre, pêcher et laisser mourir, Peter Heller conjugue naturalisme et polar

Peter Heller s’est imposé comme un grand auteur américain avec son premier roman La constellation du chien (Actes Sud 2013). Il revient avec Peindre, pêcher et laisser mourir, un récit vif, humain et proche de cette nature sauvage des grands espaces américains.

 

peter hellerJim Stegner, peintre en vogue et passionné de pêche, est à la fois un homme sanguin et un rêveur. Installé depuis quatre mois dans l’ancienne cabane d’un poète, il tente de se ressourcer entre peinture, pêche, lecture de poèmes et discussions avec Will, son plus proche voisin. Peindre, pêcher, faire l’amour avec Sofia, cette jeune femme rencontrée dans un bar, devenue son modèle, voilà tout ce dont il a besoin pour oublier sa vie d’avant. Même si Alce, sa fille mortellement poignardée par des dealers, revient souvent hanter ses rêves et lui parler, il préfère oublier ses bagarres d’antan, sa femme Cristine qui l’a quitté après la mort de sa fille, ses années à noyer son chagrin dans l’alcool. C’est Irmina, une amie guérisseuse qui l’a aidé à s’en sortir par son amour et ses conseils.

Ce n’est pas possible de garder en soi autant de douleur… Jim, même la terre se repose. La lune émerge, fine comme un brin d’herbe, puis les étoiles, et tu peux toutes les voir. C’est un chant beaucoup plus calme… Repose-toi maintenant. Pour plus longtemps que tu n’en as l’habitude. Fais le silence autour de toi, un champ de paix. Ton travail le meilleur, les plus beaux moments à vivre pousseront sur ce terreau paisible.

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Winslow Homer, Among the oaks

Toutefois, face à l’injustice et à la bêtise humaine, Jim ne peut s’empêcher de réagir. Lorsqu’il trouve sur son chemin Dell Siminoe rossant une jeune jument rouanne, le peintre profondément sensible démarre au quart de tour et se bat sauvagement avec l’agresseur. Cette bagarre avec Dell déclenche une obsession de vengeance des frères Siminoe et de leur équipe de chasseurs contrebandiers.

Jim qui rêvait d’une vie simple, faite d’errance dans la nature, de pêche et de peinture se retrouve embarqué dans une chasse à l’homme pour défendre les intérêts de ses amis.

La violence qui semblait me suivre à la trace frappait sans aucun discernement et s’attaquait à tout ce qui m’entourait : chevaux, amis, voisins.

Entre souvenirs de moments vécus avec sa fille, moments de respiration dans une nature apaisante et sauvage, course poursuite et agressions, Jim fonctionne à trois vitesses comme lui disait Alce « escargot, formule 1, point mort. » Toutefois, la peinture reste pour lui un moyen d’expression. C’est en voyant un tableau de Winslow Homer que Jim avait décidé de faire des études d’arts.

Ce tableau m’a offert une raison de ramer comme un dératé.  Je voulais faire ça. Utiliser ces moyens-là pour donner vie à des trucs.

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The Herring, Winslow Homer

Et si possible, le tourner vers le vivant. Ses états d’âme, ses pensées, ses peurs prennent forme dans ses tableaux. Ils deviennent le reflet de sa conscience. Ainsi on y retrouve la représentation des deux frères Siminoe et ils deviennent plus sombres au fur et à mesure de sa descente dans les ennuis. Le tableau du corbeau et du cheval prêt à sauter dans la falaise traduit la notion de choix. Son interprétation évolue avec évènements comme les choix de Jim entre le choix de la vie et de la mort.

Défendre les animaux, créer un monde agréable et sûr pour les deux petites jumelles, comprendre pourquoi sa dernière discussion avec sa fille fut une dispute, se libérer des secrets qui le rongent ou affronter les dégâts qu’il avait causés dans le sang .

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The Coming storm, Winslow Homer

Dieu avait créé cette dualité entre l’innocence d’un troupeau de rennes paisibles et la violence des chasseurs pour rappeler toute l’impuissance des hommes . Les vers de T.S. Eliot semblent lui dire que nous sommes sur terre pour prier et chaque tableau devient ainsi une forme de prière.

J’ai peint. Peint le rythme de ce paysage, les sons autant que le reste. Le calme. Ça me calmait. L’instant est arrivé où j’ai disparu. Excepté que là, ce n’était pas dans la pose pleine d’énergie d’une femme ni dans un paysage intime et aqueux, mais dans le ruisseau paisible devant moi, dans le commerce bruyant des corvidés, le passage indétectable d’un castor, la lente respiration du matin. C’était différent, apaisant, libérateur et je ne savais même pas que j’avais disparu jusqu’à ce que j’entende la vibration plus aiguë d’une voiture à l’approche, bien qu’encore assez loin.

Mais quand la violence vient vous narguer, l’homme redevient un animal. Il n’a plus le choix, il doit suivre le chemin de sa propre sauvegarde et de celle de ses proches. Avec ce roman vif et puissant, Peter Heller combine l’art du Nature Writing et du polar. Riche de belles descriptions dans cette nature inaccessible et chaleureuse, tendue par un suspense prenant, le récit nous comble avec l’histoire de ce héros meurtri, sensible et impulsif.

Peindre, pêcher et laisser mourir Peter Heller, Actes Sud, 2015, 23 €, 384 pages

traduit de l’anglais (États-Unis) par Céline Leroy

Bien qu’il soit né en 1959 à New York, qu’il ait étudié dans le Vermont et le New Hampshire et qu’il vive aujourd’hui à Denver, Colorado, son CV correspond à celui de tout bon auteur du Montana qui se respecte : il a été plongeur, maçon, bûcheron, pêcheur en mer, moniteur de kayak, guide de rivière et livreur de pizza.

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Marie-Anne Sburlino
Lectrice boulimique et rédactrice de blog, je ne conçois pas un jour sans lecture. Au plaisir de partager mes découvertes.

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