Le Prix Bayeux des correspondants de guerre propose un autre regard sur le monde. Au total, 55 reportages photo, vidéos, radios ou écrits sont en lice pour dix récompenses dans chaque média. Elles seront décernées samedi soir à 18h30 place Gauquelin-Despallières à Bayeux. En attendant, de nombreuses expositions, rencontres et avant-premières sont ouvertes au public jusqu’à dimanche.
Un rendez-vous hors du commun, mais nécessaire. La 25e édition du Prix Bayeux s’est lancée lundi 8 octobre pour se terminer dimanche 14 octobre. C’est l’occasion de percevoir autrement les conflits actuels et de récompenser les journalistes qui sont sur place pour être le témoin des horreurs de la guerre. « C’est un métier qui véhicule à la fois de la fascination, de la répulsion, car l’éthique est souvent mise en jeu, et du scepticisme au vu de l’authenticité de certains reportages », explique Adrien Jaulmes, grand reporter au Figaro.
Il est aussi le commissaire de l’exposition exceptionnelle à l’hôtel Doyen de Bayeux. Elle retrace l’histoire du reporter de guerre de 1853 à aujourd’hui et séparé en sept grands chapitres. « C’est une commande du Prix-Bayeux. Cette exposition raconte à la fois une histoire et des histoires », décrit Adrien Jaulmes. On y découvre ou redécouvre des portraits des journalistes comme Ernest Hemingway, Nick Ut ou plus récemment la famille Chauvel, dont la passion du reporter de guerre s’est transmise de père en fils. Le matériel de Patrick Chauvel, jury de cette 25e édition, est d’ailleurs visible à l’hôtel Doyen.
« Grâce au soutien de l’ECPAD, la branche audiovisuelle de l’armée, nous avons pu avoir accès à des archives monumentales. Des chercheurs, des documentalistes et des journalistes nous ont prêté du vieux matériel », se félicite Raeshel Isolda, documentaliste de l’exposition. Parmi les autres pièces remarquables, on y trouve un jeu d’échecs fabriqué avec de l’emballage de fromage et un coupe-ongle par le journaliste Édouard Elias et Didier François alors qu’ils étaient retenus en otage en Syrie.
Car le Prix-Bayeux, ce sont aussi des expositions photo et vidéos sur les conflits actuels pris par des reporters de guerre parfois au péril de leur vie. C’est le cas du journaliste de l’AFP Shah Marai à qui le musée de la Bataille de Normandie lui consacre une exposition. Des clichés saisissants, poignants, mais terriblement descriptifs de la situation en Afghanistan. Un mur de messages est affiché à côté de ses plus belles photos. Selon RSF, plus de 30 journalistes ont été tués dans le monde en 2018. Une stèle pour leur rendre hommage sera inaugurée jeudi à 17h30 en présence de quelques familles de victimes.
D’autres expositions sont nichés dans le cœur de la ville. C’est le cas pour l’exposition « Please Slow Freedom » de l’agence photo NOOR, qui propose de revenir sur les quinze ans du conflit irakien. À travers une balade dans le centre calme de Bayeux, surgissent des clichés très sombres sur la guerre irakienne et ses conséquences. Une prise de conscience immédiate, tout comme la crise des réfugiés congolais et l’exposition des photos de Colin Delfosse et Michel Sibiloni, consacrée aux camps installés à la frontière congolaise au Musée d’Art et d’Histoire Baron Gérard. Enfin, l’exposition « Yémen, la guerre loin des yeux » à la tapisserie de Bayeux, revient sur trois ans de conflit avec l’Arabie Saoudite et sa coalition, peu couverte par les médias. Là encore des images intenses et choquantes. Cette exposition sur le Yémen s’accompagne d’une soirée au Pavillon central le vendredi à 21h, animée par Jean-Philippe Rémy, journaliste au quotidien Le Monde.
Parmi les reportages sélectionnés, aucun conflit n’est épargné. La lutte contre Daech et le Yémen bien sûr, mais aussi le Vénézuéla, Le Mexique, le Soudan, la Somalie, la crise des Rohingyas… la liste des guerres couvertes s’avère plus diverse que l’an passé. La remise des prix de samedi à 18h30 place Gauquelin-Despaillères et rendra compte de la situation pour chacun de ces conflits. L’intégralité des documentaires et des photos sélectionnés est consultable à l’espace Saint-Patrice de Bayeux. Un jury composé de 47 journalistes et présidé par Christiane Amanpour, cheffe du service international de CNN, départagera les candidats.
En plus des expositions et de la remise des prix, plusieurs rencontres sont proposées à l’issue des soirées cinémas. Notamment une projection du film « Libye, Anatomie d’un crime » suivi d’un échange avec Cécile Allegra, la réalisatrice, et Céline Bardet, juriste spécialisée dans les crimes de guerre. Diffusion en avant-première ce mercredi 10 octobre. Ce film raconte le témoignage victime de viol. En Libye, ce sont surtout les hommes qui sont touchés.
« On se retrouve vraiment de l’autre côté du miroir »
Enfin, un salon du livre et des échanges avec les auteurs sera ouvert le samedi 13 octobre. Le dimanche quatre documentaires seront projetés au Pavillon de 10h à 18h. En plus du lauréat décerné la veille, des films au cœur de Daech et sur l’instabilité politique et économique du Congo seront aussi projetés. Ces films seront suivis par des questions avec les réalisateurs. Cette semaine bien chargée se conclura par un documentaire sur la journaliste Marie Colvin, tuée en Syrie après un bombardement. Elle était entrée avec le photographe Paul Conroy qui donnera une conférence à l’issue de la projection.
La première récompense de la semaine a d’ores et déjà été décernée. Il s’agit du prix des lycéens qui ont élu, lundi, la photo de Franck Fife sur Kylian Mbappé après sa victoire à la Coupe du Monde.
L’après Daech récompensé
Au terme d’une soirée de plus de 2 heures, les prix ont été remis à des journalistes correspondants de guerre après concertation du jury ou par un vote du public ou des Bayeusains. Presque tous les conflits du monde ont été récompensés, preuve que à nouveau, aucun n’a été oublié.
Nicolas Bertrand (France 2) : « Il faut continuer à parler des Rohingyas. Le conflit n’est pas terminé, loin de là ».
A noter que sur les dix prix remis « seulement » trois ont été attribué à un ou une journaliste ayant couvert la guerre en Syrie. Parmi eux, deux traitent de l’après Daech. C’est à dire le retour des femmes des soldats de Daech ou les enfants enrôlés de force ou volontairement. « On ne sait toujours pas comment on va prendre en charge ces gens là quand ils rentreront en Europe » indique la journaliste Stéphanie Pérez auteure du reportage « Les lionceaux du califat, une bombe à retardement ? » et lauréate du prix télévision des lycéens lors de la remise du trophée.
Prix Bayeux, les résultats :
Photo :
Trophée photo : Mahmud Hams (AFP) « Clashes on Gaza’s border », Palestine
Jeune reporter : Mushfiqul Alam (journaliste freelance) « The Great Exodus », Bangladesh.
Prix du public : Paula Bronstein (Getty Image) « The Rohingyas Crisis a harrowing Journey » , Bangladesh.
Télévision :
Trophée Télévision : Nima Elbagir, Alex Platt, Raja Razek (CNN) « Une vente aux enchères d’esclaves en Libye », Libye.
Prix des lycéens : Stéphanie Pérez, Nicolas Auer et Laetitia Niro (France 2) « Les lionceaux du Califat : des bombes à retardement ? », Irak.
Prix de l’image vidéo : Darren Conway (BBC) « La guerre des drogues au Mexique », Mexique.
Prix Télévision grand format : Nicolas Bertrand et Thomas Donzel (France 2) « Rohingyas: les damnés de la Birmanie », Bangladesh.
Expositions à Bayeux du 8 octobre au 4 novembre (entrées libres) :
Raconter la guerre : Hôtel Doyen (de 10 à 12h30 et de 14h à 18h); Yémen, la guerre loin des yeux : Tapisserie de Bayeux (de 10h à 12h30 et de 14h à 18h); Vénézuéla : la chute d’un rêve : Espace d’art actuel Le Radar. (De 14h30 à 18h30); République Démocratique du Congo : la crise de l’ombre : MAHB (de 10h à 12h30 et de 14hà 18h); Afghan Lives : Musée Mémorial de la Bataille de Normandie. (de 10 à 12h30 et de 14h à 18h); Afghanistan : Au royaume des insoumis : Espace Culturel E.Leclerc. (de 9h à 20h)
Attention, certaines expositions peuvent troubler les personnes sensibles.
Séances cinéma (Pavillon, place Gauquelin-Despaillères, entrées libres) :
Libye Anatomie d’un crime : jeudi 11 octobre à 20h; lauréat de la catégorie grand format : dimanche 14 octobre à 10h; Daech dans le cerveau d’un monstre : dimanche 14 octobre à 10h45, This is Congo : dimanche 14 octobre à14h; Under the Wire :dimanche 14 octobre à 16h.
Table ronde et soirées débats (entrées libres) :
Rohingyas, aux racines de la crise : espace Saint-Patrice, organisée par Amnesty International, 18h; Le Yémen, une guerre à huis clos : pavillon Gauquelin-Despallières, animée par Eric Valmir (France Inter), Jean-Philippe Rémy (Le Monde), François-Xavier Trégan (France Culture), Linda Al Obahi, Laurent Bonnefoy (politologues); Lutte contre la désinformation sur la Syrie : Auditorium, animée par Derek Thomson (France 24).
Autres événements (entrées libres) :
Inauguration de la nouvelle stèle au Mémorial des reporters 2017/2018 : mémorial des reporters (boulevard Fabian Ware), jeudi 11 octobre à 17h.
Émission de France Inter en direct et en public de Un jour dans le monde et Le téléphone sonne présentée par Fabienne Sintes, jeudi 11 octobre de 18h15 à 20h à l’Hôtel Doyen.
Enregistrement de l’émission de France Culture en public de « Grands reportages » présentée par Aurélie Kieffer de 14h à 15h et diffusée à partir de 17h.
L’intégralité des événements du Prix-Bayeux est à retrouver sur le site prixbayeux.org.