Parue dans Le Monde le 17 juillet 2025, la tribune co-signée par une dizaine de responsables de mouvements politiques de jeunesse appelle à moderniser le statut des jeunes élus locaux. Une initiative salutaire, mais qui n’épuise pas les raisons du désamour entre la jeunesse et les institutions. Car si les jeunes désertent les urnes ou les conseils municipaux, c’est peut-être que la politique institutionnelle s’est vidée de son pouvoir de transformation. Et de sa capacité d’écoute.
Signée par les représentants des Jeunes Socialistes, Écologistes, Démocrates, Républicains, En Marche, Radicaux et Horizons, la tribune publiée dans Le Monde a le mérite de l’unité et du pragmatisme. Devant ce chiffre accablant — seulement 4,7 % des élus locaux ont moins de 35 ans — les jeunes responsables réclament quatre réformes simples :
- un statut du jeune élu aligné sur celui des étudiants engagés, avec des aménagements pour les études ou le premier emploi ;
- la reconnaissance de la participation à distance dans les conseils municipaux ;
- une formation renforcée et un meilleur accompagnement pendant et après le mandat ;
- une protection juridique et morale en réponse aux violences ou au harcèlement.
Ces propositions répondent à des freins réels : incompatibilité des horaires, précarité de début de carrière, instabilité résidentielle ou encore sentiment d’illégitimité. Elles constituent des avancées nécessaires que les parlementaires seraient bien inspirés d’intégrer à la réforme du statut de l’élu actuellement en discussion. Mais elles ne répondent qu’à une partie du problème.
Non, les jeunes ne se désengagent pas de la politique
Il faut en finir avec une idée fausse et persistante : les jeunes ne sont pas désengagés, ils se sont déplacés. Ils sont massivement présents dans les luttes, écologistes notamment, dans des collectifs, de toutes sortes, dans les associations d’entraide, là encore de toutes sortes, autour de chez eux ou plus loin, dans les mobilisations sur TikTok ou Instagram, dans les pétitions, les marches, les budgets participatifs. Ce qu’ils rejettent, ce n’est pas la politique, c’est la politique telle qu’elle est pratiquée dans les enceintes institutionnelles : lente, hiérarchique, biaisée, opaque, clanique, souvent déconnectée de l’urgence et des réalités.
Un monde politique qui ni se réforme ni se renouvelle
L’un des grands freins à l’engagement dans les structures classiques reste le monde politique lui-même, perçu comme :
- fermé : les partis restent largement dominés par des figures quinquagénaires et sexagénaires, souvent issues du même moule ; des élites qui récitent les mêmes postures depuis Pompidou, incapables d’imaginer un monde où elles ne seraient pas au centre du jeu ; ok, boomers ! ;
- irreprésentatif : tous les partis sont systématiquement dirigés par des hommes blancs ; que cela soit le cas des partis de droite traditionnellement conservateurs n’étonne pas, mais que les partis LFI, PC et écolos se gargarisent de faire la promotion des femmes issues de l’immigration alors qu’elles y sont bien peu aux commandes ne lasse pas d’étonner… Le progressisme bobo-white à la française, l’habituel piège de l’affichage sans transfert réel de pouvoir…
- verrouillé : peu de place est laissée à l’expérimentation, à l’innovation démocratique ou à la parole citoyenne hors du vote ; ce sont des structures lourdes, comme le dit le lexique techno-libéral : ce sont des structures peu agiles qui se nourrissent de leur auto-production intoxiquante. La politique institutionnelle ne transforme plus car elle ne décide plus : entre technocratie centrale, injonctions budgétaires européennes, pression des lobbys et déconnexion du terrain, elle gère l’existant, elle ne l’invente plus.
- saturé : la France compte plus de 500 000 élus, un chiffre sans équivalent dans le monde entier ! Si certains élus sont indispensables à la cohésion locale, beaucoup s’empilent en doublon, s’auto-reproduisent en vase clos et s’ajoutent aux strates décisionnelles sans jamais clarifier leur utilité démocratique. Un maillage qui entretient une professionnalisation excessive, un clientélisme systémique et une confusion des responsabilités.
Combien de citoyens croient encore que leur demande va être écoutée dès lors qu’elle ne s’inscrit pas dans la stratégie professionnelle-carriériste de son ou ses élu.s et autres membres du grand panier de crabes et autres fainéants ou requins d’assemblée ?!
Dès lors, à quoi bon s’engager dans une structure qui absorbe mais ne transforme pas, qui multiplie les représentants sans jamais réinterroger la manière de représenter ?
- les partis sont perçus comme déconnectés, voire cyniques ;
- les institutions semblent impuissantes à répondre à la crise climatique, au mal-logement, à la précarité ;
- la parole politique est inauthentique, saturée d’éléments de langage, de calculs électoraux et de communication creuse.
- instaurer des assemblées citoyennes tirées au sort, capables de co-construire la loi avec les élus ;
- généraliser les budgets participatifs à toutes les communes, et les étendre aux enjeux climatiques ou culturels ;
- reconnaître et soutenir les formes d’engagement informel, hors cadre partisan ;
- réduire drastiquement le nombre d’élus (à commencer par les postes d’opérette), clarifier leurs compétences, redonner du pouvoir réel à l’échelon local.
Une crise de la représentation, pas de l’engagement
Le problème est moins celui de l’apathie que celui de la crise de la médiation. Les jeunes veulent peser, mais ils ne croient plus aux canaux classiques qui, à leurs yeux, stérilisent l’action. Et pour cause :
Cette situation produit un désalignement : la jeunesse cherche du sens, de l’impact, de la sincérité ; la politique classique propose des compromis, des organigrammes, des arrangements et des délais.
Et si l’institution politique ne suffisait plus ?
La tribune appelle, à juste titre, à « rouvrir les portes des conseils locaux ». Mais ouvrir les portes d’un bâtiment vide ne suffira pas. Il faut questionner le bâtiment lui-même, ses fondations, son organisation, ses règles d’entrée et ses finalités. Que signifie être élu local en 2025 si les décisions sont prises ailleurs (dans une métropole, un EPCI ou un ministère) ? Que signifie représenter des citoyens si le taux de participation est de 35 % ? Que signifie débattre si les règles sont fixées en amont, si les formes de contestation sont dénigrées, et si le désaccord est perçu comme une menace ?
Vers un nouveau contrat démocratique
Il ne s’agit pas de rejeter la démocratie représentative, mais de l’augmenter, l’hybrider, la régénérer. Quelques pistes à ouvrir :
Les jeunes n’attendent plus qu’on leur tende la main, ils veulent construire autrement
La tribune du 17 juillet est bienvenue. Bien sûr. Elle montre qu’une (petite) partie de la jeunesse politique institutionnelle tente de réinventer les conditions de l’engagement. Pour autant, elle reste prisonnière d’un schéma ancien : faire entrer les jeunes dans le moule au lieu de repenser le moule lui-même. La vraie rupture sera quand les institutions cesseront de croire qu’il suffit d’aménager les horaires et commenceront à écouter autrement, distribuer le pouvoir autrement, débattre autrement. Bref, quand des politiciens professionnels, soudain traversés par une crise de lucidité politico-morale, proposeront de lancer un vaste chantier de renouvellement de l’expression du demos ; et ce, au profit, de la Res publica.
La démocratie du XXIe siècle ne se sauvera pas avec de meilleures indemnités ou un peu de visioconférence. Elle se sauvera si elle redevient désirable. Et pour cela, il faut oser des ruptures. Créer du conflit créatif. Déléguer le pouvoir. Réinventer les mots, les lieux, les temps de la décision collective.
La jeunesse n’est pas absente. Elle est ailleurs. Et elle fait déjà de la politique. Avec le secret espoir que la classe politique bedonnante et sourde ressuscite un jour. Et que, pour commencer, elle dégonfle ; ce qui ferait le plus grand bien aux finances publiques et à la vie publique tout court !
–> La France compte plus de 500 000 élus, un chiffre sans équivalent dans le monde !
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