Pour la première fois en Bretagne, l’exposition du Musée départemental breton de Quimper, du 18 juin au 19 septembre 2021, présente l’œuvre d’un des plus illustres créateurs européens de l’Art nouveau, Alphonse Mucha (1860-1939). Initialement prévue pour l’été 2020, mais reportée suite à la crise sanitaire, cette rétrospective, organisée en coopération avec la Fondation Mucha de Prague, présente une centaine d’œuvres et de documents exceptionnellement prêtés par le « Mucha Trust Collection ».
« Je préfère être un artiste pour le peuple qu’un défenseur de l’art pour l’art », Alphonse Mucha
Né en Moravie, Mucha gagna Paris pour y poursuivre sa formation artistique et se lia d’amitié avec Paul Gauguin. Il ne tarda pas à se faire une grande réputation comme affichiste, spécialement à travers ses nombreuses créations pour les pièces jouées par Sarah Bernhardt. Sa carrière lancée, les commandes affluèrent : Mucha créa alors quantité d’affiches publicitaires et de panneaux décoratifs, célébrant la beauté féminine dans un style immédiatement reconnaissable qui lui vaut encore une très grande célébrité des États-Unis au Japon.
L’exposition, qui rassemble ses œuvres les plus renommées, rappelle aussi son dévouement à la cause de l’indépendance des peuples et de leur réconciliation. « Les affiches étaient un bon moyen d’éclairer le grand public. Les gens s’arrêtaient et voyaient les affiches en se rendant au travail, ils en tiraient un plaisir spirituel. Les rues devenaient des expositions d’art en plein air », disait-il. Elle révèle également sa découverte de la Bretagne, à travers des dessins encore inédits.
LA FEMME MUCHA : MUSE ET ICÔNE
Les femmes occupent une place centrale dans ce que l’on a appelé « le style Mucha ». Belles, voluptueuses, sensuelles, elles séduisent le spectateur par leur charme magnétique et le réconfortent par leur regard serein. Dans l’élaboration de son style artistique, c’est la grande Sarah Bernhardt (1844-1923) – l’actrice parisienne surnommée “la Divine” – qui catalysa les forces créatrices de Mucha. Apparue sur les panneaux d’affichage parisiens le jour de l’An 1895, Gismonda, la première affiche de Mucha pour la tragédienne électrisa le Tout-Paris.
Mucha établit un style de composition cohérent, en harmonie avec les formats choisis, et présente ses figures féminines comme des icônes ou des muses en les associant à divers motifs décoratifs et symboliques. Avec les arabesques, les contorsions des corps, et un subtil jeu de courbes, Mucha crée ainsi un nouvel idéal féminin. Reconnaissables, attirantes et accessibles, les affiches de Mucha donnèrent naissance à ce que l’on appelle “le style Mucha”, dont les caractéristiques vont devenir celles de l’Art nouveau naissant. Lorsqu’après 1910, l’artiste abandonna le monde de la publicité pour se consacrer à la gloire des peuples slaves, il veilla à ce que la femme incarne toujours un message, mais sans le foisonnement qui caractérisait sa production parisienne.
L’ILLUSTRATEUR DES BISCUITS BRETONS
Alphonse Mucha eut parmi ses principaux commanditaires, après Sarah Bernhardt, l’industriel Louis Lefèvre-Utile (1858-1940), directeur de la biscuiterie établie dans la capitale historique de la Bretagne, dont le château de Nantes a consacré une exposition, LU, un siècle d’innovation (1846- 1957). Entre 1896 et 1903, il dessina pour LU quatre affiches, treize emballages de boîtes et le décor d’une bonbonnière. En 1903, l’actrice posa devant son ami tchèque pour un panonceau-calendrier.
La biscuiterie Lefèvre-Utile puisa parfois dans la thématique bretonne l’inspiration de ses campagnes publicitaires et du conditionnement de ses produits. Elle s’adressa à des spécialistes du genre tels qu’Alexis Vollon (1865-1945), Alfred Guillou (1844-1926) ou Hippolyte Berteaux (1843-1928). En revanche, cette veine bretonne est complètement absente des créations de Mucha pour la manufacture : accompagner des biscuits nommés Champagne, Boudoir, Flirt ou encore Table d’hôte requérait un talent plus adapté à l’évocation des élégances et du mode de vie fin de siècle. Il est attesté que Mucha rencontra personnellement Louis Lefèvre-Utile dès 1896 ou 1897.
LE MESSAGE DE LA BEAUTÉ
Durant le séjour de l’artiste tchèque à Paris, entre 1887 et 1906, la capitale française – qui était alors la capitale artistique du monde – vit se succéder de nouvelles doctrines artistiques, du néo-impressionnisme aux prémices du cubisme, parallèlement à la vogue internationale de l’Art nouveau. Remise en question, la notion traditionnelle de beauté s’ouvrit donc à de nouvelles idées. En cette période de mutations, Mucha figura parmi les artistes restés fidèles aux valeurs universelles et immuables de l’art. Mucha croyait qu’une belle œuvre d’art – « le symbole de la bonté » – contribuait à améliorer les valeurs morales et la qualité de vie des gens, pour, en définitive, créer une société meilleure. En 1896, quand F. Champenois conçut l’idée des panneaux décoratifs, Mucha vit dans cette entreprise une occasion rêvée de réaliser sa mission artistique : diffuser l’art parmi les gens ordinaires en tant que forme d’art démocratique.
Mucha aimait à choisir des thèmes accessibles et universels tels que les saisons, les fleurs et les moments de la journée. Par le choix d’un format rectangulaire constant, l’artiste sut créer une tension dynamique entre les formes gracieuses des corps féminins et les lignes sinueuses de la nature. Les dessins de Mucha pour les panneaux décoratifs furent déclinés sous diverses formes (calendriers, cartes postales et même objets décoratifs) et reproduits dans de nombreuses revues d’art en France et à l’étranger, assurant ainsi la diffusion du style Mucha.
MYSTICISME ET SPIRITUALITÉ
Intéressé par l’occultisme et la théosophie, persuadé que des forces mystérieuses guident la vie de chacun, Mucha entre en 1898 au Grand Orient de France, l’obédience maçonnique prônant les progrès de l’humanité et la conscience de la liberté autour de trois vertus (Beauté, Vérité et Amour), véritables pierres angulaires de la condition humaine.
Il poursuit ses idéaux artistiques de jeunesse, mais – sous l’influence de ces nouveaux courants, sa vision nationaliste initiale s’ouvre sur des préoccupations plus universelles. Porté par des valeurs humanistes et spirituelles, en quête perpétuelle d’une vérité universelle, l’artiste philosophe est persuadé que son art peut participer à l’avènement d’un monde meilleur.
MUCHA PHOTOGRAPHE
Mucha s’initia à la photographie au milieu des années 1880, à l’époque où il étudiait à l’Académie des beaux-arts de Munich. Il poursuivit cette pratique tout au long de sa vie. Il emprunta d’abord un appareil pour photographier ses amis et des scènes de rue (format 7 x 7 cm) ; puis, il fit l’acquisition à Paris de son premier appareil photographique à plaques de verre (format 10 × 13 cm). La photographie occupa dès lors une place importante dans son processus créatif, complétant ses carnets de notes, ses croquis et ses dessins préparatoires.
Avec un goût particulier pour la mise en scène, il sollicita des amis comme Gauguin, des modèles ou sa propre famille. Les modèles d’atelier furent le sujet de bon nombre de photographies prises durant cette période. Souvent, Mucha, s’il n’avait pas de projet particulier, travaillait spontanément avec ses modèles, improvisant diverses poses qu’il reprenait plus tard dans ses œuvres dessinées ou peintes.
MUCHA À L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE PARIS 1900
Alors que la renommée de Mucha s’accroit et que l’Art nouveau s’invite dans toutes les grandes villes d’Europe, Paris inaugure en 1900 la cinquième exposition universelle. Célébrant les progrès accomplis par l’humanité depuis cent ans, réunissant cinquante-huit nations et accueillant plus de cinquante et un millions de visiteurs, elle est considérée comme « le plus grand événement du siècle ». Mucha, alors maître de l’affiche et décorateur le plus recherché de Paris, contribua à plusieurs projets. En tant qu’artiste représentant officiellement l’Empire austro-hongrois, il fut chargé de la décoration du pavillon de la Bosnie-Herzégovine (région slave annexée à l’Autriche-Hongrie depuis 1878) – l’un des pavillons phares de l’Empire – et de la conception du matériel promotionnel.
En tant qu’artiste « parisien » de premier plan, représentant de l’Art nouveau, il travailla pour de prestigieux fabricants français, comme Houbigant, l’une des plus anciennes parfumeries de France, ainsi que pour le grand orfèvre et joaillier parisien Georges Fouquet (1862-1957), qui lui confia pour l’occasion la conception de toute une collection de bijoux.
LE LANGAGE VISUEL UNIVERSEL
Entre la fin de 1896 et 1898, Mucha affina la conception de ses motifs en y intégrant les caractéristiques considérées comme constitutives du style Mucha. D’une part, une figure féminine, dont la beauté idéalisée reflète sa conviction que « dans l’art, la vérité d’une idée doit être accompagnée de la vérité de la forme », chargée de communiquer un message sublime. D’autre part, les somptueux motifs décoratifs qui utilisent cercles, lignes en coups de fouet et autres formes géométriques censées procurer un plaisir esthétique et diriger l’œil du spectateur vers le point focal de l’image ou vers son message central. Ces figures sont ensuite disposées dans des constructions harmonieuses – soigneusement calculées en fonction de proportions précises – pour déterminer les formes et leurs relations dans la composition globale.
L’un des archétypes du style Mucha est la formule Q : une figure féminine est assise, entourée d’un motif circulaire ou en fer à cheval, avec un pan de robe qui flotte vers le bas, le tout formant la lettre « Q ».
LES ÉLÉMENTS SLAVES DANS LE STYLE MUCHA
Pour créer ses motifs, Mucha s’inspire des caractéristiques ornementales d’une grande variété de cultures (celtique, grecque, gothique et rococo, mais aussi islamique, juive, égyptienne et japonaise). Cependant, son style évolue et à compter de 1896, Much intègre consciemment des éléments traditionnels de son pays d’origine : robes slaves que portent ses sujets, décors floraux et autres motifs botaniques inspirés des arts et artisanats populaires moraves, motifs circulaires évoquant des halos ou des courbes, décors géométriques rappelant ceux des églises baroques tchèques.
LA BEAUTÉ, LE POUVOIR DE L’INSPIRATION
En 1910, après une absence presque continue de vingt-cinq ans, Mucha retourna dans sa patrie pour y réaliser une ambition qu’il nourrissait de longue date : mettre son art au service de son pays et de son peuple. Un objectif qu’il poursuivit avec détermination en travaillant sur un projet personnel, L’Épopée slave. Parallèlement à ce projet, qui l’occupa dix-sept ans, il accepta des commandes pour des causes qui lui tenaient à cœur : Maison municipale de Prague (1910), vitrail pour la cathédrale Saint-Guy à Prague (1931), affiches pour les festivals sportifs panslaves du Sokol en 1912 et en 1926…
Dans les affiches et peintures à thème tchèque qu’il réalise alors, les femmes, vêtues de costumes folkloriques cérémoniels, restent au centre de la composition, mais elles deviennent des symboles spirituels, chargés d’inspirer et d’unir les peuples slaves autour d’objectifs politiques communs. Durant toute cette période, l’artiste continua de développer le style Mucha, conçu comme un langage visuel universel capable d’exprimer la beauté intemporelle.
« La mission de l’art est d’exprimer les valeurs esthétiques de chaque nation en accord avec la beauté de son âme », Alphonse Mucha
ALPHONSE MUCHA ET LA BRETAGNE
Alphonse Mucha voyait dans l’art populaire, et en particulier dans les costumes traditionnels et les motifs décoratifs, une forme importante d’expression de l’identité culturelle et idéologique. C’est probablement ce sentiment qui explique l’affinité que ressentait l’artiste pour la Bretagne. En outre, l’intérêt croissant qu’il portait à l’ancienne culture tchèque et à son lien avec l’héritage celtique semble l’avoir incité à explorer l’art traditionnel breton.
Mucha s’est rendu régulièrement en Bretagne, où il a passé des vacances, profitant d’une vie paisible au bord de la mer, parlant philosophie avec ses amis et envisageant de nouveaux projets. Parmi ces séjours, ceux de 1902-1903 semblent l’avoir particulièrement inspiré. Grâce aux recherches menées conjointement par la Fondation Mucha et le Musée départemental breton, il apparaît qu’un grand nombre de photographies et de croquis des collections du Mucha Trust, jusqu’ici non identifiés, sont en réalité des études de paysages et de costumes de la région bretonne, dont beaucoup ont un lien avec des œuvres réalisées par l’artiste durant cette période. Les documents présentés dans l’exposition confirment l’intérêt de ce génie de l’ornementation pour les traditions populaires décoratives de la région telles qu’elles s’épanouissaient en particulier dans les costumes traditionnels et la broderie.
Du 18 juin au septembre 2021, exposition Alphonse Mucha, La Beauté Art Nouveau au musée départemental breton.
MUSÉE DÉPARTEMENTAL BRETON
1, rue du Roi Gradlon – 29000 Quimper
02 98 95 21 60
musee.breton@finistere.fr
HORAIRES
Du 18 juin au 19 septembre :
Tous les jours de 10h à 19h
Fermeture de la billetterie 30 minutes avant la fermeture du musée
TARIFS
INDIVIDUEL
Entrée tarif plein : 7,00 €
Entrée tarif réduit : 4,00 €
(groupes à partir de 10 personnes, Passeport Finistère)
Entrée gratuite : moins de 26 ans / Demandeurs d’emploi
Bénéficiaires du RSA / Public en situation de Handicap
Carte ICOM / Amis du Musée / Carte Presse
Sur réservation :
Activités (visite guidée, atelier, évènements…) :
de 1,50 € à 8,00 € par personne (entrée comprise)
GROUPES sur réservation
Visite guidée adultes : 7,00 € par personne
Visite guidée scolaires, centres de loisirs et publics spécifiques :
35,00 € pour le groupe