Nouvelle étape dans la stratégie de valorisation de son patrimoine par temps d’affaissement budgétaire, la Ville de Rennes engage un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) pour la vente et la reconversion de la Chapelle Saint-Yves, édifice classé aux Monuments historiques et situé en plein cœur du centre ancien. Objectif affiché : lui donner une nouvelle vie, compatible avec sa valeur patrimoniale, tout en restant accessible aux Rennaises et aux Rennais.
Édifiée au XVIe siècle à l’angle des rues Saint-Yves et Le Bouteiller, la chapelle est l’ancien lieu de culte de l’hôpital Saint-Yves, détruit à la fin du XIXe siècle. Transformée en entrepôt de quincaillerie, elle est acquise par la Ville en 1983 et classée au titre des Monuments historiques depuis 1945. Longtemps siège de l’Office de tourisme de Rennes, puis ponctuellement lieu d’expositions, elle attend aujourd’hui un projet pérenne capable de conjuguer mémoire et usages contemporains. C’est à notre sens l’un des trois plus beaux édifices religieux de Rennes, et le seul de style gothique flamboyant. Aussi est-ce bien triste qu’il ne reste pas au sein du patrimoine religieux de Rennes.
De fait, la Chapelle Saint-Yves est un remarquable exemple de l’architecture gothique flamboyant, typique de la fin du Moyen Âge breton. Sa façade en pignon présente un grand portail orné de moulures et d’accolades, surmonté d’une large baie à remplages finement travaillés. Les lignes brisées, motifs en « flamme » et pinacles décoratifs traduisent la virtuosité de ce style, qui cherchait à donner mouvement et légèreté à la pierre.
Les matériaux employés reflètent la tradition rennaise : schiste sombre pour les murs et pierre calcaire claire pour les encadrements et éléments sculptés, créant un contraste saisissant. L’édifice adopte un plan simple, sans transept, correspondant à sa fonction originelle de chapelle hospitalière. Sa nef unique, lumineuse grâce à ses baies élancées, offre un espace sobre mais solennel.
Par son élégance et sa valeur symbolique, la chapelle demeure l’un des derniers témoins de l’histoire hospitalière médiévale de Rennes. Elle incarne aussi une transition vers la Renaissance, perceptible dans certains détails décoratifs plus géométriques. Son classement en 1945 souligne son importance comme pièce maîtresse du patrimoine religieux et civique de la capitale bretonne.
Un AMI en deux phases
L’AMI, lancé le 12 septembre 2025 à 12h sur la plateforme Mégalis Bretagne, se déroulera en deux temps :
- Phase 1 (12 septembre – 3 novembre 2025) : dépôt des candidatures et intentions sommaires, incluant une proposition d’usage futur du site.
- Phase 2 (novembre 2025 – janvier 2026) : affinement des projets retenus et dépôt des offres financières d’acquisition.
Les candidats devront montrer leurs compétences en aménagement, architecture, gestion et animation, avec l’obligation de recourir à un architecte habilité au titre du Code du patrimoine. La Ville ne fixe pas d’usage prédéterminé : commerces, culture, loisirs, restauration ou autres fonctions sont envisageables, dès lors qu’ils respectent et mettent en valeur le lieu.
Entre valorisation et privatisation : un débat sensible
Si la cession de la Chapelle Saint-Yves s’inscrit dans une logique de valorisation du patrimoine, elle soulève aussi des interrogations. Dans un contexte de budgets municipaux très contraints et d’affaissement budgétaire de l’Etat, la vente d’édifices historiques devient un levier pour réduire les charges publiques. Mais cette stratégie, largement adoptée en France, interroge sur la privatisation progressive des biens communs : un patrimoine acquis et entretenu pendant des décennies par la collectivité pourrait se retrouver à l’initiative et sous la responsabilité d’acteurs privés.
Les partisans de cette démarche mettent en avant la capacité d’investisseurs ou d’opérateurs privés à donner une seconde vie à des lieux qui, faute de projet municipal, risqueraient l’abandon. Ils soulignent également l’importance de garantir une accessibilité publique minimale, inscrite dans le cahier des charges de l’AMI.
Les critiques, au contraire, alertent sur le risque de voir ces bâtiments emblématiques transformés en espaces marchandisés, dont l’usage pourrait s’éloigner de l’intérêt général. La question de l’équilibre entre attractivité économique et vocation culturelle demeure centrale. À Rennes comme ailleurs, la reconversion de biens patrimoniaux cristallise une tension : comment conjuguer sauvegarde, ouverture et rentabilité ?
Le devenir de la Chapelle Saint-Yves dépasse le seul cadre architectural. Au cœur du centre historique, il engage la visibilité de Rennes comme capitale culturelle et patrimoniale de Bretagne. Il s’agit de trouver un équilibre entre transmission et transformation, entre la mémoire d’un lieu sacré et la vitalité (économique) d’une ville.
