Champs Libres au Goncourt des Lycéens, Foenkinos, Ruben, Decoin

Les jeunes ne lisent plus ! Rien de mieux pour tordre le cou à cette assertion de vieux ronchons que d’assister à la remise des prix du Goncourt des Lycéens jeudi 28 novembre à Rennes. Deux vibrantes demoiselles, issues des cinquante-deux classes de France et de Navarre qui forment ce jury, ont expliqué leur choix aux Champs-Libres, en bonne compagnie.

champs libres prixLancé en 1988 en Bretagne sur l’idée de Bernard Le doze, ce prix est aujourd’hui national. Il est organisé par la Fnac et le ministère de l’Éducation nationale en coopération avec l’Académie Goncourt et conduit par l’association Bruit de Lire. De jeunes gens doivent se plonger dans la lecture d’une quinzaine de romans pré-sélectionnés par l’Académie Goncourt et offerts par la Fnac à la rentrée. « Au début, çà fait peur » convient Léonie (de Châteaulin), fan de Conan Doyle « mais, après, on se dit qu’il n’y avait pas de quoi ». Pour la classe de Lola (au Puy-en-Velay), la grande nouveauté était la découverte du roman contemporain. Visiblement, les jeunes lectrices ont aimé le processus de ce marathon jalonné de lecture, fiches, débats, présélection de trois livres puis finale à Rennes, berceau du Prix, offrant la possibilité d’échanges avec les auteurs. Si ce Prix a couronné plusieurs fois le même livre que l’Académie des « grands » (Erik Orsenna en 1988, Andreï Makine en 1995…), il a été décerné cette année à David Foenkinos, lauréat aussi du Renaudot. « Je suis heureux qu’il ait eu le prix » prétend Grégoire Delacourt (aussi dans la course) « quoique… » ajoute-il en riant, « vous comprenez, un jury de 2000 jeunes, c’est impossible à corrompre » ! « Son roman – On ne voyait que le Bonheur – était un des plus gros » souligne Léonie, « j’ai attaqué ; le style était familier, très accessible, sans adjectif. J’ai compris le point de vue de l’héroïne, Joséphine, une jeune fille de notre âge. Ce roman parle de la vie, de tout ».

charlotte

L’héroïne de Foenkinos n’entre pas dans le même registre, tant s’en faut. L’auteur a d’ailleurs été « surpris de l’adhésion des jeunes à cette histoire » – celle d’une jeune artiste juive assassinée par les nazis. Pour lui, « Charlotte est rattrapée par la malédiction familiale, son drame commence bien avant le nazisme » ; il rappelle qu’« elle a appris à lire son nom sur une tombe » – celle de sa tante qui s’est suicidée avant sa naissance. Léonie s’est tellement attachée à elle qu’elle a « ralenti la lecture pour freiner l’arrivée du mot FIN ». Foenkinos précise qu’il a été bouleversé lors de la proclamation du prix parce que « la jeune fille parlait de Charlotte comme si elle était vivante ». On a l’impression que pour lui, c’est pratiquement le cas : elle l’habite depuis si longtemps qu’il s’était déjà essayé à écrire sur elle, sans satisfaction. Finalement, l’idée de rédiger ce roman incantatoire en une succession de courtes phrases qui tiennent sur une ligne l’a aidé, apportant une sorte de respiration, allégeant le poids de cette histoire « d’abord celle d’une femme, d’une artiste, sans écarter le contexte juif ».

ligne des glacesMoins médiatique, mais à suivre assurément, Emmanuel Ruben ne s’attendait pas à être dans la ligne de départ de la présélection du Goncourt des lycéens (« 640 mecs… et tout de suite, y’a 500 morts » – dixit Delacourt) pour la simple raison que son livre est sorti au printemps (la préhistoire à l’échelle de la rentrée littéraire !). Mais Didier Decoin a insisté : « j’ai eu un coup de cœur sans doute en raison de ma passion pour la géographie, parce que l’Homme y remplace Dieu. Dieu a créé les montages, les forêts, les lacs, mais l’Homme conçoit les frontières. Je n’ai pas eu de mal à convaincre Régis Debray, puis à nous deux on a persuadé les autres ». Ruben est effectivement un as dans cette discipline (géo à Normale Sup de Lyon, Institut de géographie de Panthéon-Sorbonne, major de l’agreg » géo en 2004). Son troisième roman La ligne des glaces questionne le sens de la frontière et de l’identité aux confins de l’Union européenne, dans un pays balte. L’excellent animateur Philippe-Jean Catinchi signale que « l’intrigue simple se nourrit de l’obsession du cartographe, avec une écriture à la fois poétique et onirique ». Léonie a eu du mal à le lire : elle a trouvé « le héros un peu plat », mais a bien aimé Lothar, le voisin de Samuel. Après avoir enseigné à Jérusalem (« lieu d’où partent toutes les frontières ») Ruben a l’immense plaisir de faire partie de la première « promo » d’écrivains en résidence à la maison voulue par Julien Gracq dans sa ville ligérienne de Saint-Florent-le-Vieil (voir notre article) : « vous imaginez ? Je peux faire envoyer mon courrier à la même adresse que l’écrivain avec qui j’entretenais des relations épistolaires à la fin de sa vie » !

didier decoinAu cours de cette rencontre, Didier Decoin a évoqué aussi son « Dictionnaire amoureux des faits divers », à travers une histoire cruelle, celle d’une apprentie comédienne à Hollywood. Découvrant lors d’une avant-première que les scènes où elle jouait avaient disparu au montage, elle s’est suicidée en se jetant du haut du H de Hollywood, sur les hauteurs de la ville… au moment où un messager sonnait à sa porte pour lui apprendre qu’elle était choisie pour le premier rôle dans un film à gros budget… David Foenkinos ajoute qu’il a travaillé aussi pour cette collection, en s’inspirant de l’histoire de Florence Rey, qu’il croisait à la Sorbonne. « J’étais allé lui rendre visite à la prison de Rennes… où je suis retourné cet après-midi ». Décidément, un homme plein de… délicatesse.

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Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

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