Dans le cadre des Mardis de l’Espace des Sciences, Nathalie Cabrol,astrobiologiste et directrice du centre Carl Sagan à l’institut SETI en Californie, a présenté mardi 7 novembre 2023 la conférence “L’Univers, notre miroir cosmique” aux Champs Libres, suite à la parution de son livre L’énigme cosmique de la vie publié aux éditions Seuil. La conférence reste accessible sur la chaîne Youtube de L’Espace des Sciences. Rencontre avec l’astrobiologiste.
Avec une passion infaillible dans la voix, Nathalie Cabrol, directrice du centre Carl Sagan à l’institut SETI, a montré le lien intime qui existe entre la vie sur Terre, la planète et l’univers dans l’auditorium des Champs Libres mardi 7 novembre 2023. La salle était comble pour une nouvelle conférence organisée dans le cadre des Mardis de l’Espace des Sciences de Rennes, à l’occasion de la parution de son livre L’Énigme Cosmique de la vie (Seuil, 2023).
L’astrobiologiste Nathalie Cabrol a un parcours atypique : passionnée par l’astronomie, elle intègre pourtant d’abord une classe prépa littéraire où son professeur de géographie, Jean-Pierre Alix, la fait travailler sur sa première planète : la nôtre. Quelques années plus tard, elle achève une thèse sur l’existence potentielle d’anciens lacs dans les cratères de Mars. « Le temps que j’ai passé à faire ces études en sciences de la terre, ça me préparait sans le savoir à une discipline qui était en train de naître de l’autre côté de l’océan, la planétologie », explique-t-elle.
D’abord contactée par Christopher McKay, chercheur à la NASA, et après avoir rejoint l’équipe scientifique de la mission Mars Exploration Rover, mission d’étude de la planète rouge lancée en 2003 où deux rovers ont été posés dans des cratères, Nathalie Cabrol s’installe aux États-Unis pour y travailler. En riant, la directrice de l’institut Carl Sagan réfère au cratère Gusev : « je disais toujours à mon mari que je devais ma carrière à une catastrophe qui a 4 milliards et demi d’années sur Mars ».
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Unidivers : Qu’est-ce que vous mettez de vous et de votre passion dans ce métier au quotidien ?
Nathalie Cabrol : Pour moi, c’est très clair, ce n’est pas un métier, c’est véritablement une passion. Le jour où on m’a proposé de diriger le centre de Carl Sagan à l’institut SETI, j’ai refusé : c’est la recherche qui m’intéresse. J’aime faire de la recherche et pas seulement sur le terrain, mais y réfléchir intellectuellement et épistémologiquement aussi. Est-ce qu’à l’heure actuelle nos méthodes sont toujours adaptées aux progrès qu’on a faits ? Cette question me passionne. J’ai finalement accepté de reprendre la chaire de Carl Sagan à condition de pouvoir faire au moins 50 % de recherche. Cet aspect du travail m’oblige à rester au top de ce qui se fait en astrobiologie et ça nourrit la vision de l’institut, parce que ça me permet d’en voir les grands courants et d’y participer.
U. : Au sein de vos recherches à l’institut SETI, vous recherchez la vie extraterrestre. Cela vous pousse-t-il aussi à réfléchir aux conditions de la vie terrestre ?
Nathalie Cabrol : Quand on cherche la vie dans l’univers, on est obligé de penser à des concepts pour essayer de comprendre ce qu’est la vie et comment elle est apparue sur Terre. De cette façon, on réalise que la vie et l’environnement ne sont pas séparés. La vie a émergé de l’environnement planétaire et il y a une fusion entre les deux : il y a coévolution. Ça signifie que l’environnement a permis à la vie terrestre d’apparaître dans les limites physiques et chimiques qui sont propres à notre planète. Notre vie et la planète sont intimement liées. Et quand elle est apparue sur Terre, elle a commencé à tout changer. L’atmosphère est modifiée par la vie et la vie est modifiée par les changements climatiques. Ça nous oblige à essayer de comprendre ce qu’est une pollution pour essayer de la détecter ailleurs. Quand on explore d’autres planètes, on comprend comment les atmosphères d’une planète peuvent évoluer, quelle est la limite d’habitabilité d’une planète et quels sont les seuils à ne pas dépasser… On ramène des données de nos explorations qui nous permettent de mieux comprendre la Terre et d’essayer de préserver son environnement pour l’humanité dans le futur.
U. : La connaissance et l’exploration de l’espace sont de grands enjeux pour l’humanité, mais en quoi est-ce si important pour vous de partager vos recherches avec le public ?
Nathalie Cabrol : Pour beaucoup de gens, chercher la vie dans l’univers, c’est une passion. Et ils comprennent cette passion, mais ils disent souvent que ça coûte beaucoup d’argent qu’on pourrait mettre ailleurs pour essayer de régler les problèmes sur Terre. Il y a une méconnaissance évidente de ce que coûtent la recherche et l’exploration spatiale. Ce n’est même pas 0,4 % du produit national brut dollars des États-Unis. Or, les gens n’en ont pas la moindre idée : ils pensent qu’aller dans l’espace, ça coûte beaucoup d’argent. Ce n’est pas vrai. Il y a des missions qui coûtent cher, mais ce sont des missions qui peuvent durer dix, peut-être vingt ans. Je dirais qu’une mission comme les rovers martiens, un des tout premiers, n’a pas coûté plus que quelques contrats de bons footballeurs dans de très grands clubs.
Et d’un autre côté, si on met le budget de l’espace à côté de celui de l’armée par exemple, c’est ridicule. Une mission sur Mars, du point de vue du coût, ça représente quelques heures ou quelques jours de guerre. Si vous préférez faire la guerre plutôt que d’engranger des connaissances, alors dans ce cas, pas de problème. La question est de savoir où vous mettez vos priorités et, dans ce cadre, il y a une méconnaissance du domaine spatial.
U. : Face à la question du changement climatique, vous évoquez régulièrement une mauvaise conception que l’on peut avoir : ce n’est pas la Terre qu’on tue, c’est l’environnement qui nous était favorable.
Nathalie Cabrol – Une partie du problème et du manque de réaction des populations, c’est la manière dont le message est délivré au public. On dit toujours que l’environnement est en danger, que la planète est en danger. Non, ils ne sont pas en danger. La planète, elle change comme elle l’a toujours fait. Aujourd’hui, on a les preuves scientifiques que les humains sont responsables, sinon en toute partie, au moins en grande partie, de l’accélération du changement climatique. Mais ce message distance les gens par rapport à leur responsabilité vis-à-vis de la planète. C’est tellement immense et ils se demandent ce qu’ils peuvent faire à leur échelle. C’est peut-être le seul moment où le fait qu’on soit 8 milliards sur Terre peut nous aider. Si chacun faisait un tout petit geste chaque jour, ça ferait une énorme différence. L’environnement a une capacité de récupération plus grande que ce qu’on croyait, mais on ne lui en laisse pas le temps. Il faut essayer de faire comprendre aux gens qu’ils ne sont pas extérieurs à la Terre, ils en ont émergé ! Notre vie et notre planète sont intimement liées. Si l’un change, l’autre aussi.
U. : Comment la pensée de la coévolution peut-elle permettre au public de prendre conscience du problème climatique ?
Nathalie Cabrol – Avec le changement climatique, la planète va continuer d’évoluer, de se mettre en équilibre, mais dans un équilibre qui ne nous est pas favorable. Il faut penser à ces systèmes comme à des vêtements. Enfant, vous mettez des vêtements, mais vous grandissez. Si vous gardez les mêmes, ils ne vous iront plus et finiront par craquer. À l’heure actuelle, avec toutes nos connaissances, il n’y a pas d’excuse pour ne pas agir. Tout le monde connaît les conséquences du changement climatique, alors en prenant conscience que l’on fait partie d’un système, on se rend compte que la coévolution, c’est nous. Si on ne règle pas le problème, on disparaîtra, et je ne pense pas que cela changera l’univers en quoi que ce soit. Un autre grand message que j’ai souvent à dire au public, c’est que dans cette crise que nous traversons, la science est leur meilleure alliée. Il ne faut pas s’informer sur les médias sociaux où les informations sont peu vérifiables, il faut chercher les informations directement à la source. Plus on a de connaissances, plus on est capable de prendre des décisions en connaissance de cause.
U. : Nous pouvons donc nous servir des connaissances acquises sur l’Espace pour mieux appréhender ce qu’est la vie sur Terre. Est-ce que, à l’inverse, notre Terre, voire notre Système Solaire, peuvent nous permettre de mieux comprendre l’univers ?
Nathalie Cabrol – Dans une certaine mesure, parce que notre système planétaire est né dans un endroit d’une galaxie bien particulière à une époque bien donnée qui va nous donner quelques clés. Mais il nous permet effectivement de comprendre comment la vie se développe, quelles sont ses limites et celles de la coévolution. La Terre nous a permis d’évoluer en tant que vie, d’arriver à une forme complexe, intelligente, avec une technologie avancée. Les planètes et les mondes autour de nous permettent de comprendre les limites de la vie telle qu’on la connaît. Il y a aussi des planètes comme Titan qui pourraient nous permettre d’essayer de comprendre à quoi une autre forme de vie pourrait ressembler. En quelque sorte, le système solaire nous sert de laboratoire à l’échelle planétaire. Ça ne veut pas dire qu’on peut comprendre tout l’univers puisqu’on est l’expression de la vie et de l’environnement à un moment particulier. Mais ça nous permet quand même de commencer à comprendre les principes de la vie telle que nous la connaissons.
U. : Dans votre livre L’Énigme cosmique de la vie, on retrouve beaucoup de magnifiques images des télescopes James Webb et Hubble. Est-ce que vous en avez une favorite que vous pourriez nous expliquer en quelques mots ?
Nathalie Cabrol – Oh, c’est tellement difficile! Ce sont toutes des merveilles. L’image en couverture de L’Énigme Cosmique de la Vie, Les Piliers de la création prise par le télescope James Webb, a quand même une place particulière pour moi. On y voit cet élan de formation des gaz qui se mélangent dans l’univers, c’est l’énergie de la création. Quand vous regardez la pointe de ce nuage de gaz, vous voyez des régions qui sont plus rouges : ce sont des berceaux d’étoiles. Et autour de ces étoiles, il y a des disques de poussière qui sont des systèmes planétaires en train de naître. Tout ça, ce sont des tas de promesses et de possibilités pour l’avenir. Même quand nous n’existerons plus en tant que système planétaire, ceux-là seront probablement en pleine activité. L’image illustre l’histoire du cycle de vie et de mort toujours renouvelé dans l’univers ; et en quelque sorte d’une réincarnation car depuis les origines, ce sont toujours les mêmes éléments qui apparaissent dans les systèmes planétaires.
U. : Quelles sont les recherches que vous scrutez pour le futur ? Quelles découvertes espérez-vous faire ?
Nathalie Cabrol – La question qui nous porte reste toujours la même : définir la vie. On n’en a pas de définition. On sait comment ça fonctionne, mais on ne sait pas ce que c’est. On ne sait pas comment on est passé de la chimie prébiotique à la vie. De la même manière, on ne sait pas ce que sont l’intelligence et la conscience. Ce sont les grands paradoxes de l’astrobiologie. Mais parce qu’on n’a pas de définition, ça ne signifie pas qu’il ne faut pas se mettre en chemin. Un grand rôle de la science n’est pas de toujours avoir des réponses aux questions, mais d’articuler de meilleures questions afin d’acquérir une perspective plus riche. Pour ce qui est des découvertes, j’aimerais bien sûr qu’on découvre la vie ailleurs, quelle qu’elle soit, de mon vivant. J’aimerais bien que ce soit dans le système solaire. Sur une exoplanète, ce sera peut être un peu plus difficile, à moins qu’on ait une preuve claire d’une techno signature (c’est-à-dire d’une civilisation avancée). Mais je crois que là où on a le plus de chances à l’heure actuelle d’avoir une réponse définitive, ce serait dans le système solaire.
L’énigme cosmique de la vie de Nathalie Cabrol (Seuil, 2023) disponible à l’achat.