Vous connaissez les Prairies Saint-Martin à Rennes ? Un espace enclavé de 30 hectares situé le long du canal de l’Ille-et-Rance au nord du centre-ville. Convoitées par les promoteurs et les élus, les Prairies sont riches d’un patrimoine industriel, artistique et écologique souvent méconnu des Rennais. Si Rennes Métropole a prévu sa transformation en « parc naturel urbain » entre 2016 et 2021, de nombreux riverains et Rennais s’unissent contre les expropriations engagées. Alors que, curieusement, le projet même de transformation des Prairies Saint-Martin s’opère dans un silence entretenu. De fait, aller aux Prairies sous-entend de traverser le temps et de prendre la juste mesure d’un processus historique complexe.
[MAJ 31 août 2016 : La commission d’enquête publique vient de rendre un avis favorable au projet d’aménagement des Prairies Saint-Martin, considérant notamment son utilité en matière de protection de l’environnement et de la biodiversité. Dans le même temps, elle a aussi affirmé que l’expropriation des maisons encore habitées en bord de canal n’était pas nécessaire à la réalisation du projet de parc. Les habitant-e-s ont finalement obtenu gain de cause. Cette semaine, la Ville a pris la décision de faire une croix sur les possibilités d’expropriation et de faire simplement valoir son droit de préemption en cas de vente des maisons du canal. Une très bonne nouvelle pour les habitantes et habitants du canal.]
Prends garde à la Sainte-Martine, car souvent l’hiver se mutine.
Les Prairies Saint-Martin, c’est quoi ?
Pour bien saisir le projet de parc naturel urbain lancé par la mairie de Rennes en 2012, il convient de comprendre la nature du lieu.
Les Prairies Saint-Martin bénéficient d’une localisation particulière : à la jonction entre quatre quartiers de Rennes, au nord du centre et du Thabor, à l’est de Saint-Martin et à l’ouest de Maurepas. Cette enclave semi-naturelle navigue entre ville et campagne. À seulement deux kilomètres de la place Sainte-Anne, les Prairies sont relativement méconnues des Rennais. Même si le canal est un lieu de promenade idéal.
En matière culturelle, on y trouve à son orée la maison de la Poésie sur la rive ouest puis le Bon Accueil et la Presse Purée sur le versant est ainsi qu’un atelier de peinture « Accroche-toi au pinceau ». Jusqu’à leur fermeture, désormais entamée, les jardins familiaux – petite enclave souvent vivrière – ont fait l’utile et l’agréable de nombreux Rennais, particulièrement des riverains du quartier Maurepas.
Plusieurs reportages, dans les années 80 et 90, se sont penchés sur cet endroit pittoresque. Ces habitants, souvent d’anciens ouvriers des Tanneries de France, ont construit à l’écart de la ville de petites maisons basses avec jardins et ouvertures directes sur le cours principal de l’Ille. Un habitant du canal, dont la maison est aujourd’hui menacée de démolition, décrit avec détails l’époque où les gens des Prairies vendaient sur le bord de la route les légumes de leur jardin. Vous l’aurez compris, l’histoire des Prairies est avant tout ouvrière et paysanne.
L’ouverture des Tanneries en 1830 suit le mouvement de la révolution industrielle. Sa délocalisation vers l’Est de la France en 1948 entraîne d’ailleurs le départ de certains ouvriers. Par la suite, le bâtiment servira d’entrepôts pour des camions frigorifiques. Les Tanneries, dans leur versant ouest, ont conservé la morphologie stratifiée de leur passé industriel. Depuis leur bien regrettable incendie en août dernier, les anciennes Tanneries sont laissées à l’abandon et au pillage.
En somme, les Prairies sont représentatives d’une évolution historique générale. Depuis plusieurs années, les élus rennais luttent contre l’occupation illégale d’une partie des Prairies : toute la frange en zone inondable, lovée entre le canal et son affluent, délimitée par les rues Henri Monnerais, Charles Beslay et Raoul-Anthony. Du reste, cette occupation est, elle aussi, le fruit d’un événement historique. La Seconde Guerre mondiale a entraîné une forte paupérisation et une crise du logement sans précédent. Des populations en exode vinrent s’installer dans ces Prairies et construisirent, parfois sans autorisation, plusieurs habitations. Depuis lors, une sorte de tradition alternative et libertaire s’y est développée.
Toutefois, considérer uniquement les Prairies comme un endroit squatté constitue une erreur simpliste. Ce sont en partie les expropriations de la Mairie, dans les Prairies et sur la rive est, dans le quartier de Plaisance, qui ont laissé vacantes et abandonnées ces maisons, occupées autrefois par des paysans ou des ouvriers. Au demeurant, cette enclave a produit une activité économique, artisanale et culturelle conséquente.
Charles Leprince, qui tient une sellerie artisanale depuis plus de cinquante ans, explique : « J’ai commencé à travailler à quatorze ans ». L’homme est une véritable mémoire du lieu. Son atelier faisait anciennement partie des Tanneries de France, fermées en 1948. « Ici, à l’époque, il y avait une vraie activité économique, des métiers, de l’artisanat : un ébéniste, un restaurateur de tableaux, et même une agence de mannequins ! » À plusieurs reprises menacé verbalement, cet homme raconte qu’il a déjà été expulsé dans les années 70 : la maison qu’il habitait avec ses grands-parents dans la rue de Saint-Malo a été détruite pour y construire des immeubles modernes. Longtemps, il nous montre des photographies de son ancienne rue, du canal, des coupures de journaux sur ses nombreuses protestations. C’est décidé, il n’en peut plus : il partira dans quelques semaines, courant 2016. « Et puis – conclut-il – la carrosserie située à côté de son atelier a fermé il y a peu. La mairie a racheté les 12 hectares du Trublet pour… 17 000 € ».
L’aménagement des Prairies n’est pas chose nouvelle. À la fin des années 70, les habitants et les écologistes luttaient déjà pour empêcher la construction d’une grande route destinée qui devait traverser les Prairies. Aujourd’hui, les élus écologistes, en la personne notamment de Matthieu Theurier, ont approuvé le projet de parc urbain :
Aujourd’hui, plus question d’une quatre-voies. L’avenir des prairies sera vert. On ne peut que souligner le chemin parcouru.(1)»
À l’annonce de la fermeture des jardins familiaux, en 2011, une association s’est constituée : Préservons les Prairies Saint-Martin. Composée de jardiniers locataires, elle contestait deux points (qui sont, nous allons-y venir, toujours objets de controverse) : la pollution des sols et les inondations. Un cabinet d’expertise – dont l’association a remis en cause l’indépendance – a estimé que les sols étaient pollués et, donc, nocifs pour les plantations. Des analyses approfondies et des cartes détaillées ont été réclamées, notamment auprès des services de la mairie de Rennes – en vain.
En matière d’inondations, elle prend sa source dans la construction de la ZAC Armorique, en bordure des Prairies, au-dessus des anciennes Tanneries. Afin de pouvoir construire habitations et bureaux, la mairie de Rennes a décrété un prélèvement de « 60 000 m3 de terre sur les prairies Saint Martin en compensation de différents projets de développements urbains en zone inondable.(2) », notamment l’imperméabilisation et la stabilisation d’une prairie humide située sur la rive Est. Dans le cadre du PPRI (Plan de prévention contre les risques d’inondation), les élus ont décidé que les prairies serviraient de bassin de rétention, en cas de crues.
L’association Préservons les Prairies Saint-Martin s’essouffla après quelques mois de lutte pacifique. Une autre, plus radicale (et liée si l’on en croit leur site à la Maison de la Grève) vit le jour en 2013 sous le nom de Tous aux Prairies. Entre temps, à la suppression des jardins familiaux, succéda le projet de Parc naturel urbain. Ce qui nous ramène au présent…
Rappel de la situation et présentation du projet de parc naturel urbain des Prairies :
Durant un conseil municipal à la mi-juin 2015, lequel opposa principalement les élus de la majorité socialiste-vert et les élus du groupe Alternance 2020, la question du patrimoine et de l’urbanisme, notamment les cas des Prairies Saint-Martin et de l’aménagement de l’Alma, furent au centre d’un débat houleux. Sébastien Sémeril, premier adjoint de la Maire de Rennes, y expliqua aux autres élus sa vision de l’urbanisme :
La ville se reconstruit sur elle même, c’est une évidence et, d’ailleurs, c’est même le principe de son évolution. […] À chaque période des bâtis ont disparu au profit d’autres bâtis. C’est dans le vent de l’histoire de cette ville, comme de toutes les villes(3).
Si cette affirmation rhétorique de Sébastien Séméril réduit finalement toute opposition au rang de conservatisme sclérosant, n’oublions pas qu’en accord avec Barthes et Perret, on est toujours le facho de quelqu’un… À l’heure du marketing territorial de Destination Rennes et des grands projets urbains qui fleurissent dans la capitale bretonne – Centre des Congrès, ligne B du métro, quartier EuroRennes, à la ViaSilva, au Centre International Paul Ricoeur – le progrès est devenu un mot d’ordre. Bien entendu, il est aisé de contester la vision urbanistique de l’adjoint qui repose, pour le coup, sur une simple pétition de principe ; dire que les villes se reconstruisent sur elles-mêmes ne signifie au final pas grand-chose, une phrase d’accroche avant développement. D’ailleurs, un peu plus tard durant ce conseil municipal, Sébastien Séméril appelle lui-même à « prendre un peu de recul sur notre temporalité ». Et, de fait, une part non négligeable des Rennais considèrent que la construction du bâti se fait dans le déni du passé, notamment industriel, et/ou dans une uniformisation esthétique au seul service d’une vision économique et foncière aux objectifs flous.
D’ailleurs, quand le sujet des Prairies Saint-Martin est arrivé sur la table, les élus réunis à ce conseil municipal de juin l’ont… éludé. Alors, rappelons les faits. En 2012, le projet de parc naturel urbain a été lancé sous Daniel Delaveau. Réunions et négociations ont eu lieu entre 2012 et 2014 avec les différents acteurs du projet afin de se concerter et d’imaginer ensemble les formes de l’avenir. Chose curieuse, cependant : le concours organisé pour déterminer l’équipe de paysagiste en charge de la réalisation projet a rendu sa décision en… 2012. Qui plus est, l’agence Base, originaire de la région parisienne, présente une ligne et un style bien particuliers :
Les villes que nous aimons se sont construites de manière spontanée, comme des paysages, avec plus d’intelligence collective que de plans d’urbanisme.
La démarche paysagiste tente de retrouver un peu de cette inspiration en proposant la dynamique du paysage comme modèle de développement urbain.
À nous d’étudier finement ces pratiques [NDLR : cultures urbaines et comportements], de les anticiper également, pour dessiner une ville à l’écoute de ses habitants, ouverte et évolutive, à la manière d’un paysage.
Quand Marc Hervé (adjoint aux Finances et élu de Rennes Centre-Nord – Saint-Martin, Centre-ville nord, Bellangerais, Maurepas et Gayeulles) déclare en 2012 lors d’une concertation avec les habitants que « ce sera un parc ouvert », le futur visage des Prairies est déjà en partie dessiné. « Saisissez-vous de cette possibilité (4) », leur enjoint-il plus loin. Quel est-il ce nouveau visage écrit sur le dossier et présenté sur des montages numériques ?
Le projet de « parc naturel urbain » aux Prairies Saint-Martin devrait commencer, par vagues successives, en 2016, pour des travaux qui devraient courir a minima jusqu’en 2021. Le coût global se chiffre (pour l’heure) à 21,3 millions d’euros HT, comprenant notamment 10,5 millions d’euros d’aménagement, 3 millions d’euros de travaux de dépollution, ainsi que les coûts d’acquisitions des biens encore privés (26 % de la surface), constructions, déconstructions et réhabilitations de bâtis. Objectif ? À l’échelle de la métropole, participer à l’élaboration d’un vaste poumon vert et « à la mise en œuvre de la trame verte et bleue du projet urbain rennais »(5).
Concevoir en ce lieu un central park rennais n’est, de fait, pas incohérent eu égard à l’emplacement géographique : à la jonction entre quatre quartiers distincts de Rennes, au nord du centre-ville et du Thabor, à l’est de Saint-Martin et à l’ouest de Maurepas. Avec l’arrivée de la deuxième ligne de métro, les Prairies seront d’ailleurs desservies par la station Jules Ferry. La métropole et l’agence Base entendent ainsi restituer ce site aux Rennais et développer « le côté social et récréatif des prairies, mais aussi en préservant un environnement de qualité ».
En pratique, le programme du parc des Prairies repose sur deux véritables enjeux : désenclaver cet espace territorial et revaloriser son caractère écologique et paysager (en recréant des crues pour inonder l’endroit). Le reste ? Une friche artistique ; une guinguette ; un parvis pour la pétanque ; des vaches Highland. Voilà quelques éléments du projet de parc naturel urbain aux Prairies Saint-Martin de Rennes.
Certes, les vétérans des Prairies rient (jaune) : « on ne les a pas attendus pour jouer à la pétanque » s’esclaffe l’un d’eux installé depuis 1968. Un autre enfonce le clou avec un recul d’ensemble : « Ce parc d’abstraction semble décidément tout droit sorti de l’imagination d’un Philippe Muray… » Depuis ce conseil municipal de juin 2015 où le ton est monté et la gêne patente, les élus contactés rechignent à répondre aux questions. Du côté d’Unidivers, après avoir annulé trois rendez-vous, Sylvain Le Moal (adjoint au Maire de Rennes en charge des quartiers de Villejean, Beauregard et Saint-Martin) a décidé de ne plus répondre à nos demandes ; impossible donc de recueillir son point de vue – étonnante conception et fonctionnement de la démocratie locale et générale à Rennes.
Mais quel est donc le problème qui se cache derrière ce dossier ? De fait, lors du conseil municipal de juin 2015, la Maire de Rennes Nathalie Appéré demeure on ne peu plus laconique en réponse aux demandes de Loïck Le Brun du groupe Alternance 2020 :
M. Le Brun : Pourquoi êtes-vous mal à l’aise à chaque fois qu’on arrive sur ce débat-là ?
Mme la Maire : Je vous demande, M. Le Brun, une explication de vote.
M. Le Brun : Vous ne respectez pas les habitants de ce quartier, Mme la Maire, acceptez le débat. J’ai connu un temps où le débat, ici, existait et où on acceptait parfois de relancer le débat. À chaque fois, sur ce dossier-là, vous répondez sur le fond. Mais le problème est réglé puisque, sur le fond, le mois dernier, on a dit qu’on était d’accord sur ce projet. C’est sur la forme que nous estimons que vous ne faites pas une bonne politique. Et on a bien vu sur un dossier emblématique d’aménagement de la Ville, l’aménagement de l’Alma, où il y a eu aussi des débats. On les a entendus : « on ne lâchera rien, vous verrez, les gens partiront et il faut les exproprier ». Et, au bout du compte, on renonce à des expropriations au nom du débat. Ne croyez-vous pas, M. Sémeril, que les habitants qui vous ont cru, il y a un an, lorsque vous leur disiez : « Les habitants, le long du canal, vous resterez », ils vous ont fait confiance. Nous vous l’avons dit, quand ils voient ce qui se passe sur le dossier de l’Alma, eux-mêmes peuvent penser qu’il peut y avoir débat. Mais lorsqu’on a ce propos-là, aujourd’hui, ce n’est pas dans le ton du débat qu’a voulu instituer M. Le Moal et la réunion s’est bien passée.
Mme la Maire : Quel sera donc le sens de votre vote, M. Le Brun (6) ?
Précision : le groupe Alternance 2020 n’est pas un opposant au projet de parc naturel urbain. Loin de là. En tant que groupe minoritaire, ils préfèrent, classiquement, attaquer la maire et son adjoint Sébastien Sémeril sur la forme et non sur le fond. Mais, de fait, avant les élections municipales de 2014, une promesse avait été faite aux habitants du Canal : ils resteraient. Coup de théâtre, un an plus tard, changement de direction : neufs maisons seront abattues, les habitants expropriés. Une représentante d’Alternance 2020, en l’occurrence Amélie Dhalluin, prend la parole, non pour condamner les expropriations décidées par la Mairie en mars 2015, mais pour s’étonner « du double message porté par la mairie aux habitants des Prairies Saint-Martin ». Car, il est vrai, ces habitants ont eu deux sons de cloche : d’un côté, Sylvain Le Moal, qui explique à ces habitants leur future expropriation par « différentes raisons d’accessibilité, de présences de véhicules, de pollution (7)» ; de l’autre, plus tard et par voie de presse, Sébastien Sémeril, qui compte ne rien lâcher. Cet élu entend empêcher toute spéculation :
Autour de certains lacs, on a vu les prix flamber pour certaines maisons, habitées aujourd’hui par des personnalités qui ont payé le prix fort. Ce que je ne veux pas, c’est de la spéculation au détriment de la collectivité (8).
La gêne et le silence des élus s’expliquent facilement : le projet qui doit commencer en 2016 est loin de recueillir l’assentiment de tous. D’ailleurs, les hectares n’ont pas tous été achetés par la Mairie. Pour comprendre les reproches qui sont adressés à l’équipe municipale, il convient de déterminer qui sont les opposants.
Les Prairies ne sont pas un espace homogène. Les familles qui habitent sur les rives du canal ont monté une association : le Comité de vigilance des riverains du canal Saint-Martin (et ont mis en ligne une pétition). Suite au revirement du début d’année, les habitants risquent l’expropriation. D’où, sur les neuf maisons, des drapeaux et des slogans disséminée au fil de la promenade : La vie au bord du canal n’est pas un long fleuve tranquille. Malgré nos demandes, les membres de ce Comité n’ont pas souhaité s’exprimer dans la presse ; ils privilégient la voie juridique.
L’autre forme de contestation est plus informelle et concerne les occupants des Prairies, entre le canal et son affluent. L’un d’eux nous a accueillis et nous a fait traverser la passerelle qu’ils viennent de construire. Des camions sont garés dans le chemin. Ces gens habitent dans les Prairies, à l’année ou par intermittence. Des jeunes et des moins jeunes. La semaine dernière, une entreprise d’élagage, en sous-traitance pour la mairie de Rennes, a commencé le travail. « On s’entend bien avec les habitants, nous précise-t-il, même si notre manière de combattre le projet de parc naturel urbain n’est pas le même ».
Pour les occupants des Prairies, les choses sont différentes. Les maisons construites ici, dans les années 40 ou 50, ne disposaient pas toujours d’une autorisation. Les gens ont été délogés, relogés, les maisons soit détruites, soit abandonnées. Des gens squattent dans les Prairies depuis longtemps déjà. Leur but ? Réhabiliter posément l’endroit, faire refleurir les vergers, entretenir les jardins, clairsemer les chemins. Leur collectif organise deux réunions mensuelles : l’une, avec les habitants du canal et des Prairies, pour discuter du projet ; l’autre sous forme d’ateliers pratiques, pour conserver et mettre en valeur le lieu. La personne nous conduit dans son jardin : ici, une caravane, là un chalet. Au fond du jardin, parmi les potagers, une tente bretonne est en construction. Elle nous montre divers endroits : « Avant, il y a quatre ou cinq ans, il y avait quatre maisons ici ». Puis, elles ont été rasées.
Côté quartier Plaisance, une forme de résistance passive est elle aussi en marche. Bien que ce quartier n’entre pas dans le projet de parc naturel urbain, les expropriations ont bel et bien eu lieu. Pourquoi ? Pour la construction de la ZAC Plaisance. En se promenant en bordure du cimetière Nord, on croise des petites maisons, pour la plupart, murées, désertées. Une inscription demeure, un cœur dessiné, M. et Mme Hervé. Où sont-ils maintenant ? Les rumeurs – que nous ne pouvons confirmer étant donné le refus de Sylvain Le Moal de répondre aux questions de notre magazine indépendant et reconnu par la Commission paritaire Presse de l’Etat français – affirment qu’un jour, on leur aurait offert un chèque de 60 000 euros (80 000 selon d’autres sources) contre leur maison.
À droite de la Maison de la Poésie et à l’est, vers Nord Saint-Martin, deux grands ensembles d’immeubles se construisent dans le bruit. Dans l’allée, on rencontre trois personnes, une femme et deux hommes, trois chiens, deux camions. Un couple de personnes âgées – dont la femme était née et avait grandi ici – a quitté leur maison en leur laissant un titre d’hébergement gratuit. La passation a été dure. Les trois itinérants les ont aidés à déraciner puis replanter les buis : un témoignage de son enfance, pour la vieille personne. Malgré la légalité retrouvée de leur situation, les trois personnes regrettent d’être surveillées chaque jour par une patrouille municipale. « On est obligés de bouger les camions toutes les 24 heures, sinon ils nous verbalisent », nous dit la femme. Le quartier Plaisance se vide, au profit d’immeubles d’habitations. « Plus d’impôts locaux », ironise l’homme.
En résumé : plusieurs points dérangent les acteurs opposés aux projets
En premier lieu, ce sont les expropriations qui révoltent les habitants. Pourquoi devraient-ils partir ? Le fait que Sébastien Sémeril et la Mairie de Rennes n’aient pas tenu leur parole n’a pas pacifié le débat. D’autres reproches leur sont adressés, notamment la destruction d’une architecture patrimoniale.
Ensuite, le projet de parc naturel urbain soulève deux problématiques liées à l’environnement : d’un côté, le manque de transparence des expertises sur la pollution des sols ; de l’autre, le problème des crues. L’expertise commandée par la Mairie a notamment conclu à la pollution des jardins pourtant utilisés depuis plusieurs décennies. 3 millions d’euros seront consacrés à la dépollution des sols (principalement à l’endroit des anciennes Tanneries de France). Les résultats n’ont pas été diffusés et sont inaccessibles. Concernant les crues, le problème est compliqué : l’agence Base choisirait d’inonder volontairement certains hectares des Prairies pour créer une réserve naturelle. Or, le lit de la rivière a déjà été considérablement modifié durant son histoire.
Comme le lecteur l’aura constaté avec le débat du conseil municipal de juin, c’est un grave manque de tact qui est avant tout reproché à la Mairie de Rennes. Sans parler de la carence de dialogue. Et, de fait, de nombreuses questions restent en suspens dans ce dossier :
- Sur quels critères l’agence Base a-t-elle été choisie pour le projet ?
- Comment la mémoire du lieu sera-t-elle entretenue ?
- Le projet de parc naturel urbain entraînera-t-il une hausse des taxes foncières ?
- Ne peut-on pas intégrer les maisons du canal au parc ?
- Comment le droit de préemption a-t-il été utilisé ?
- Quelles indemnités pour les habitants expulsés ?
Début novembre 2015, le début de l’abattage des arbres dans les prairies Saint-Martin a été stoppé par de jeunes personnes qui n’ont pas souhaité donner leurs noms, mais bien décidées à entraver le projet. L’hiver arrive. Quand le soleil reboira-t-il l’aiguail de la prairie ?…
https://vimeo.com/12366051
(1) http://elus-rennes.eelv.fr/prairies-saint-martin-de-la-nature-et-des-hommes/
(2) http://prairiestmartin.canalblog.com/
(3) Conseil Municipal, séance publique du 29 juin 2015, transcription disponible à cette adresse : http://www.amispatrimoinerennais.org/arga10/wp-content/uploads/2015/11/38941-CM_15-06-29_Transcription_debats-1.pdf
(4) http://metropole.rennes.fr/actualites/urbanisme-deplacements-environnement/environnement/prairies-saint-martin-la-concertation-est-lancee/
(5) http://metropole.rennes.fr/politiques-publiques/grands-projets/les-prairies-saint-martin/
(6) http://www.amispatrimoinerennais.org/arga10/wp-content/uploads/2015/11/38941-CM_15-06-29_Transcription_debats-1.pdf
(7) http://www.amispatrimoinerennais.org/arga10/wp-content/uploads/2015/11/38941-CM_15-06-29_Transcription_debats-1.pdf
(8) http://www.ouest-france.fr/bretagne/sebastien-semeril-aux-prairies-saint-martin-je-ne-lacherai-rien-3522933