Avec le tome II de Révolution, intitulé « Égalité », Locard et Grouazel prolongent une série qui fera date dans la décennie. Didactique. Et historique.
Vous devriez terminer la lecture de ce deuxième chapitre « Égalité » totalement heureux mais épuisé. Épuisé car au long de ces 300 pages, vous allez parcourir en tous sens Paris, ses quartiers chics mais aussi ses faubourgs populaires, les salons des Dames où il faut être et paraitre, comme les tavernes où l’on monte sur la table pour se faire entendre. Dans ce Paris de 1791, il faut en effet se faire voir et tenter d’être audible. Tout est confus, instable et l’avenir improbable et dangereux. On retrouve dans ce premier tome du second chapitre les qualités qui ont fait de « Liberté » un énorme succès : une vision à hauteur d’hommes et de femmes pris dans les tourments, la violence et les doutes d’évènements qui se laissent peu décryptés pour ceux qui les vivent.
Les auteurs ne sont pas historiens et ils ne décident pas de théoriser une vision de la Révolution Française en prenant le parti pris de Soboul ou de Furet. C’est un monde nouveau qui est à inventer et en nous introduisant dans toutes les couches sociales, ils nous font percevoir les ambiguïtés de chacun. Restaurer l’autorité du roi pour les nobles les plus extrêmes mais avec ce souverain pleutre et faible ? Arrêter la révolution accomplie pour les bourgeois mais en proposant une liberté restreinte ? Faire confiance à leurs représentants, qu’ils n’ont pas élus, pour le peuple soumis à toutes les rumeurs les plus invérifiables et sans vision politique claire ? Aucun manichéisme ou ligne idéologique qui expliqueraient le passé et permettraient de concevoir sereinement l’avenir. Ce serait trop simple, trop facile et surtout anachronique. En 1791, chacun avance à vue et à tâtons.
Chaque personnage que l’on retrouve avec plaisir cherche ainsi à comprendre, à se projeter en gardant quand même en tête son intérêt immédiat personnel. Augustin Kervélégan, député bourgeois, se débat dans les contradictions de sa classe sociale. Son frère, sympathique mais un peu inconséquent, est soumis à l’air du temps, et flotte au gré des évènements. Louise, la jeune domestique, sans les codes culturels nécessaires, perçoit avec clairvoyance les véritables enjeux. Tous, complexes et indécis, évitent aux auteurs les archétypes du genre. Personnages de romans, mais pas trop, personnages historiques, mais sans plus, ils sont nos yeux et nos oreilles dans ce monde en plein bouleversement qui voit s’effondrer en quelques années des siècles d’immobilisme et de conformisme politique.
C’est riche, dense, intense, complexe et en même temps un vrai et grand plaisir de lecture qui nous emmène du complot nobiliaire des « chevaliers du poignard » à la fuite du roi avant d’assister comme si nous y étions à la fusillade du Champ de Mars. 1791 se révèle être cette année charnière où les choix vont devoir s’affiner et se finaliser comme cet éclairage particulier apporté dans ce tome sur le problème des colonies et de l’abolition de l’esclavage, refusée par de nombreux élus venant pourtant de clamer et d’intégrer dans la loi l’égalité pour tous.
On est dans le siècle et comme pour accroitre ce sentiment, le dessin a encore pris de la densité à l’image de la couverture emplie de nombreux personnages, succédant à la couverture minimaliste du tome 1. Les doubles pages, les traits d’encre rappellent les gravures d’époque et la naissance de la presse. Les cases se multiplient, les dialogues et les extraits de discours s’intensifient et on reste admiratif devant le travail accompli notamment par ces portraits d’hommes et de femmes du peuple, qui font penser par les traits de plume aux trognes et « tronies » de Rembrandt. Le boulanger, les lavandières, les maçons ne sont pas anonymes : elles, et ils, ont un visage, une identité. Ils crient, rient, pleurent, jurent, vivent. Les femmes, dont on sait qu’elles ont joué un rôle essentiel dans les mouvements populaires sont mises en avant même si, là encore l’égalité proclamée s’arrête devant elles.
Dans sa Postface, l’historien Dominique Godineau écrit « Tout sonne juste ». Juste les caractères des personnages, juste les faits historiques, juste les immeubles et rues de Paris, juste les peurs et les joies.
Juste enfin le temps nécessaire pour réaliser le deuxième opus d’« Égalité ». Quatre ans, c’est le délai que nous ont donné les auteurs pour lire la suite. En attendant « Salut et Fraternité » comme ils aiment l’écrire en dédicace sur les pages de garde.
Révolution : deuxième partie « Égalité », livre 1. Série prévue en quatre tomes. De Florent Grouazel et Younn Locard. Postface : Dominique Godineau. Éditions Actes Sud. 2023. 306 pages. 28€.
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