LA REVUE DESSINÉE, L’ACTUALITÉ EN BANDE DESSINÉE

Comprendre et analyser la complexité de notre monde par la Bande Dessinée tel est le challenge réussi d’une revue trimestrielle La Revue Dessinée qui associe journalistes et dessinateurs. Quand le dessin devient un moyen d’information efficace et ludique.

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Jean Jullien

À Unidivers, on préfère tourner sa plume sept fois dans l’encrier plutôt que de se jeter à corps perdu dans les réactions épidermiques, quand la plume ne sert qu’à gratter. On a ainsi loué les qualités de Polka qui traite de l’actualité photographique à travers le photo-journalisme ou America qui décrypte les États-Unis grâce aux textes d’écrivains. Il était temps de rejeter un coup d’oeil approfondi sur autre trimestriel, dont nous avions salué le lancement (voir notre article), qui cherche lui aussi à traiter l’actualité avec du recul en utilisant cette fois-ci la bande dessinée comme support : la Revue Dessinée.

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Lorenzo Mattotti revue #3

 

Plus jeune que Polka, mais plus ancienne qu’America, La Revue Dessinée a désormais plus de quatre ans d’âge et 18 numéros à son compteur. Tirée à plus de 20 000 exemplaires et avec 6 000 abonnés, sa réussite a donné raison à son créateur Franck Bourgeron, auteur de BD, qui décida de créer en septembre 2011 la Revue Dessinée deux ans avant la parution du premier numéro.

« L’information en bande dessinée » tel est le surtitre de la couverture, mots simples pour définir le concept de la revue que complète l’édito du numéro 17 : « le lieu de la découverte, des contrepieds, et plus que jamais un espace d’indépendance et de vigilance » . Sans oublier un moteur des débuts : permettre aux auteurs de BD de se prendre en main. Et ils sont nombreux ceux qui ont participé à ce challenge, de Davodeau en passant par Kris, Nicoby, Kokor, Stassen, Bourhis et tant d’autres.

 

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Brecht Evens revue #8

C’est que cette belle revue, plus proche du livre que du magazine, offre un espace inédit de liberté à ces créateurs, celui de raconter et de dessiner la vie d’aujourd’hui à travers essentiellement des reportages de longue haleine, associés à un journaliste enquêteur pointu et reconnu. La BD révèle alors tout son potentiel : raconter de manière pédagogique, mais aussi accessible des enquêtes parfois complexes, utiliser la concision du dessin, rendre vivants des faits peu lisibles, toucher un public plus large.
Ce plaisir de lecture est accru par la diversité des styles des auteurs qui juxtaposent des dessins inspirés de la ligne claire à des couleurs de comics américains. Comme si dans une revue littéraire se côtoyaient la fluidité de Philippe Besson et la flamboyance de Patrick Grainville.

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Catherine Meurisse revue #9

 

Le premier intérêt de la Revue Dessinée est donc bien dans ce plaisir et cette facilité de lecture qui permettent d’appréhender et de comprendre aisément d’importants dossiers qui, en une quarantaine de pages, éclairent notre quotidien et les problèmes essentiels de notre temps. Le phénomène Uber ou la fuite économique en avant des hypermarchés n’auront plus de secrets pour vous, avec parfois à l’appui des synthèses dessinées en double page d’une limpide clarté pédagogique. Ludique, mais sérieux, approfondi et documenté, une rubrique « en savoir plus » conclue la BD en exposant les conditions notamment de l’enquête et son « making of ». Ces articles d’investigation privilégient le traitement des scandales écologiques, humains, politiques comme les dangers mortels des algues vertes en Bretagne, la carrière politique des Balkany ou encore la dangerosité des parafoudres pour les salariés de France Telecom. C’est le monde qui nous entoure, sans exclusive thématique, qui est ainsi revisité souvent grâce aux témoignages d’anonymes, fils conducteurs des investigations. La revue, sans aucune exclusive, porte aussi son regard sur la musique, le cinéma, la médecine ou les faits de société. Comme un retour distancié sur « La Manif pour tous ».

LA REVUE DESSINÉE
Couverture Patrice Killoffer revue #6

Avec cette ligne éditoriale originale, que garantit une indépendance financière résultant de l’absence de publicités et une parution trimestrielle qui la dégage d’un traitement rapide et superficiel de l’événementiel, la politique rédactionnelle s’ancre essentiellement dans l’actualité, mais en faisant un petit écart de côté qui permet de regarder les faits avec recul, un esprit critique documenté, loin de toute pensée militante où ces faits se plieraient à une idée initiale.
Au reproche parfois fait d’une lecture trop noire de notre monde, le trimestriel essaie d’offrir progressivement un peu d’air et de nombreuses courtes rubriques innovantes proposent une respiration agréable. On apprécie ainsi l’analyse et le commentaire de «L’ Instantané » qui décryptent par le dessin une photo comme celle de Simone Veil fatiguée sur les bancs de l’Assemblée Nationale en 1974 lors de la fin du débat sur la légalisation de l’avortement. Même démarche « hors du temps » pour la rubrique « C’est notre rayon » qui met en valeur des BD hors du contexte commercial quotidien et n’hésite pas à louer des ouvrages parus il y a plusieurs mois déjà.
Ce concept rédactionnel fort et réussi a trouvé d’ailleurs un prolongement logique avec la création de la collection « L’histoire dessinée de la France » coéditée avec la Découverte (voir notre article) qui revisite l’histoire mythique et officielle de notre pays pour y substituer, en associant là aussi historien et dessinateur, une vision documentée et non fantasmée de notre nation. La duplication historique de La Revue Dessinée.

Se dégager de l’information instantanée, souvent dévoyée par les réseaux modernes d’information, est une volonté choisie par de plus en plus de médias papier. Suivant ce principe, la BD a trouvé avec « La Revue Dessinée » un support idéal accessible par tous les types de lecteurs. Un vrai coup de coeur de la rédaction.

La Revue Dessinée N° 18. Parue en décembre 2017. Prochain numéro Mars 2018. 226 Pages. 15€. Disponible en Maison de la Presse et dans toutes les bonnes librairies.

FRANCK BOURGERON

Franck Bourgeron

Né en 1963. Après l’École d’Animation des Gobelins, Franck Bourgeron travaille en tant que story-boarder et réalisateur pour de nombreuses séries de dessins animés.
En 2003, il décide de se consacrer à la BD. Parution d’ “Extrême-Orient” (tomes 1 et 2) aux éditions Vents d’Ouest. Adaptation du roman “Aziyadé” (de Pierre Loti), paru aux éditions Futuropolis en février 2007. Parution en 2010 de “L’Obéissance” d’après le roman de François Sureau aux éditions Futuropolis.

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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