Dans Le béton en garde à vue Rudy Ricciotti manifeste une désobéissance réglementaire

Arrêté par la maréchaussée en 2013 peu de temps avant l’inauguration du MUCEM, l’architecte Rudy Ricciotti choisit de régler ses comptes sous forme d’une pièce théâtrale. Rudy Ricciotti rédige, sous la forme d’une comédie théâtrale en trois actes, un texte truculent où le béton est le sujet principal d’une garde à vue opposant un architecte à un capitaine des gendarmes et une juge d’instruction. Réjouissant !

 

Rudy Ricciotti
Rudy Ricciotti par Marc Obin

Rappelons que Rudy Ricciotti a été Grand Prix national d’Architecture en 2006, officier des Arts et des Lettres, qu’il est le concepteur de réalisations marquantes, notamment du Centre chorégraphique national d’Aix-en-Provence, de la Philharmonie de Gstaad, de la Nicolaisaal de Potsdam, du stade Jean Bouin à Paris, de la passerelle pour la Paix à Séoul, du pont du Diable sur les gorges de l’Hérault, de l’aile des arts islamiques au Louvre, et donc du fameux Musée des Civilisations de la Méditerranée à Marseille…

Ce dernier a attiré plus de 2,6 millions de visiteurs en un an, après son ouverture en 2013 ! « Détail » – qui n’en est sans soute pas un – il s’est dit que pour l’inauguration, François Hollande (ou ses services de protocole) ont tout fait pour éviter l’architecte du bâtiment au motif qu’il venait d’être mis en examen (quand on sait le nombre de mis en examen dans l’entourage élyséen, y compris dans les membres du gouvernement – cf. Le Monde du 5-12-2014 – ça laisse rêveur !).

Rudy Ricciotti Grande gueule et ardent pourfendeur du politiquement correct, l’architecte, a donc pris sa plume pour rédiger ce « manifeste architectural et théâtral » qui donne lieu à de savoureux dialogues de sourds. Ce n’est pas « le Gendarme à Saint-Tropez », mais à… Marseille ! Ça ne commence pas par « un vernissage », comme prétend avec humour l’architecte, mais par une convocation au G.I.R. (1). En matière de sigle, Ricciotti est plus habitué au B.F.U.P. (2) ! Dans une « salle de l’administration sinistre, genre Securitate roumaine », citant Antonio Gramsci, il exprime son regret que « la collectivité se saigne pour payer une bureaucratie pléthorique et fainéante ne servant qu’à créer des couches administratives pléonastiques vivant comme des parasites sur la productivité des travailleurs ». Il en rajoute une couche avec la France de Vichy et les dérapages du système. Anarchiste ? Même pas ! Mais ultra énervé par « les combats kafkaïens » et convaincu que « la bureaucratie a compris qu’en fabricant de la nuisance, elle renouvelle son existentialisme territorial ».

Le capitaine de gendarmerie finit par révéler qu’il a « un tas de raisons plausibles de soupçonner le béton de commettre des délits passibles de condamnations ». L’architecte n’est pas sûr de vouloir d’engager sur le terrain brillamment occupé par Le Corbusier et Oscar Niemeyer. Mais le gendarme a des arguments d’ordre sanitaire, sexuel (oui, aussi !) et le témoignage d’un collègue qui aurait enregistré des bruits de travaux (non déclarés, bien sûr) dans sa propriété.

La scène IV de l’acte 1 se déroule dans la maison de Rudy Ricciotti… qui n’est pas en béton. Le gendarme s’étonne : « Vous n’aimez pas le matériau que vous défendez ? » L’architecte : «  Je ne suis pas fétichiste. Le béton s’impose selon le contexte. Je n’allais pas raser une bâtisse ancienne pour édifier un manifeste architectural ».

S’ensuit une perquisition avec des dialogues amusants sur la « traçabilité » de tout et les « manières suspectes » des occupants en matière de déco et d’art culinaire. Le caractère ubuesque de la comédie s’affirme avec la mise en cellule de l’architecte. La parole est donc à lui. Seul. Le moment d’introspection du « nuisible de la famille des intrépides » se transforme en célébration des métiers du bâtiment. Celui de l’architecte est un sport de combat (3) et « une fabrique de responsabilités ». Et de dénoncer « la névrose minimaliste ambiante » qui « sert de paravent à l’avidité ». Et d’assassiner « le tube planétaire Développement durable » et les pseudo écoquartiers, « friches de demain ». Et de louanger le béton, dont « l’empreinte environnementale pèse au minimum quatre-vingts fois moins que l’acier, déjà lui-même plus écologique que l’aluminium ou l’inox ». Et de dresser des couronnes de laurier aux entreprises du bâtiment qui « deviennent multi-instrumentistes, interprètes de haut vol, avec une capacité phénoménale d’adaptation, pourvu qu’il y ait un bon chef d’orchestre ». À condition qu’il n’ait pas été pendu (4). Celui-là est (bien) vivant. Il préfère la fraternité des métiers du bâtiment, « l’héroïsme romantique à la dépendance technologique » et l’assure : « la désobéissance réglementaire sera le véritable combat de demain ». Chapeau, l’archi : on te garde à vue !

  Rudy Ricciotti Le Béton en garde à vue, Éditions Lemieux, février 2015, 120 pages, 14€

1. Groupe d’intervention régional, sollicité contre toutes les formes de délinquance endémique, d’actions violentes et autres trafics.
2. Béton fibré ultra performant, utilisé pour le MUCEM ou pour le stade Jean Bouin.
3. L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti (2013) éd. Textuel
4. Faut-il pendre les architectes ? Philippe Trétiack, éditions, du Seuil, 2001.

Article précédentBD Ceux qui me restent de Damien Marie et Laurent Bonneau, Voyage en Alzheimer
Article suivantUEFA vs FIFA Nostra, Blatter 0 – Platini 1
Marie-Christine Biet
Architecte de formation, Marie-Christine Biet a fait le tour du monde avant de revenir à Rennes où elle a travaillé à la radio, presse écrite et télé. Elle se consacre actuellement à l'écriture (presse et édition), à l'enseignement (culture générale à l'ESRA, journalisme à Rennes 2) et au conseil artistique. Elle a été présidente du Club de la Presse de Rennes.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici