La douzième édition d’Urbi & Orbi, Biennale de la photographie et de la ville, se tiendra à Sedan (Ardennes) du 10 juin au 30 juillet 2023.
Tous les deux ans, Urbi & Orbi invite photographes et vidéastes du monde entier à confronter leurs visions de la ville. Depuis sa création en 2001, Urbi & Orbi a accueilli à Sedan les travaux de photographes comme Pentti Sammallahti, Stéphane Couturier, Thibaud Cuisset, Bernard Plossu, Valérie Jouve…
Diffuser le travail de photographes et d’artistes traitant de questions liées à la ville, à nos modes de vies et choix de société : urbanisme, construction, préservation des ressources, identité, aménagement… Impliquer les publics dans le processus de création et les accompagner vers la découverte des projets photographiques et des artistes de la biennale. Renforcer l’appartenance à un réseau local, national et international d’acteurs liés au monde de la photographie contemporaine. Soutenir la production de créations photographiques contemporaines.
Une ville habitée dégage des émotions spécifiques, la lumière, la couleur de ses pierres, la douceur du fleuve qui la traverse, la diversité de sa population… Habiter une ville, c’est d’une certaine façon faire partie de ses rues, de ses associations, de ses écoles, de ses énergies créatrices. C’est aussi faire partie de son histoire, composer avec les traces qu’elle a laissées, les adapter à notre temps ou tout simplement les effacer pour imaginer autre chose.
Habiter une ville, c’est pouvoir en partir. C’est aussi pouvoir y rester, y construire son avenir, ses projets. C’est également bâtir en commun, consolider, s’entraider. Ainsi les citoyens des villes, qu’ils soient décideurs ou non, participent à « la fabrique urbaine », processus social par lequel le tissu urbain est en perpétuelle transformation. Ces transformations sont parfois subies, conséquences par exemple de guerres dévastatrices. Elles sont parfois voulues, comme l’adaptation des logements à de nouvelles normes de confort, des besoins d’espaces verts, de lieux de rencontres pour la jeunesse… Cet ensemble d’interactions entre les divers acteurs ou usagers, les territoires et les quartiers, l’histoire et les traumatismes engendrés composent la morphologie de nos villes.
Pour Urbi & Orbi 2023, nous avons souhaité évoquer « Villes habitées » grâce aux propositions de huit artistes photographes. L’Ukrainienne Sasha Anisimova et le couple d’artistes syrien Bissane Al Charif et Mohamad Omran se sont retrouvés dans l’horreur des conflits dévastateurs de leur pays. Mathieu Pernot nous présente une barre d’immeuble en démolition. Camille Gharbi nous questionne sur le problème du relogement. Comment quitter un lieu où l’on a vécu, aimé, pleuré…, comment envisager l’avenir ?
Et parce qu’une ville est avant tout habitée, Vincent Gouriou va à la rencontre des jeunes habitants de Sedan. Comment ceux-ci envisagent-ils leur avenir ? Benoît Pelletier donne à voir à travers son regard singulier des images oubliées de la ville. L’artiste Smith propose une balade parisienne avec une caméra thermique. Ainsi il met en évidence les différentes zones de chaleur émises par le vivant en couleurs chaudes et le minéral en couleurs froides. Simon Boudvin a effectué en banlieue parisienne un relevé topographique et photographique de l’ailante, plante que certains disent « invasive ».
Sasha Anisimova
« […] Mes illustrations sont très simples. C’est peut-être pour cela que tant de gens les comprennent. Il y a plus d’un an, la Russie a déclaré la guerre à mon pays. Nos villes sont en ruine, leurs habitants meurent. Dans le monde entier, des médias diffusent des photos de tués, de blessés, de gens souffrants, terrorisés et de villes détruites. Je sais que c’est difficile de prendre conscience de ce qu’il se passe dans un autre pays à travers des photographies, et c’est peut-être pour cela que beaucoup de gens pensent que certaines informations sont fausses.
Mes dessins traitent de la vie que nous avons perdue. Beaucoup d’Ukrainiens ont perdu des membres de leur famille, des amis proches, et c’est là une douleur effroyable, une perte inoubliable. Et tous les Ukrainiens sans exception ont été privés de leur vie normale. J’ai utilisé des photographies de Kharkiv en ruine comme arrière-plan à mes illustrations ; elles dépeignent des activités banales de la vie quotidienne comme boire un café, promener le chien, prendre une douche, faire de la gym ou du yoga, toutes nos routines de chaque jour. Les silhouettes sont tracées au moyen de lignes toutes simples, parfois coloriées de teintes presque transparentes. Ce ne sont pas des fantômes, mes dessins ne représentent pas des morts, mais comme un rêve de normalité.
J’essaye de montrer les vies que nous avons perdues et que nous voulons récupérer. Les Russes nous ont volé nos vies, mais ils ne peuvent nous voler notre énergie. »
Bissane Al Charif et Mohamad Omran
Sans ciel / Missing sky – 2014
Vidéo technique Stop motion de 2’27
Lecture en boucle
Ce film a été réalisé en 2014. À l’époque, et malgré l’intensité des violences et des destructions en Syrie, nous pensions qu’il s’agirait d’une phase temporaire. Aujourd’hui, neuf ans après la réalisation du film, nous sommes toujours bloqués à ce stade, assistant de loin à la destruction de nos villes, comme si le temps s’était arrêté à l’instant de dévastation. Dans ce film de stop motion, nous essayons de présenter la destruction de manière symbolique et de rendre l’intensité de la violence vécue en Syrie en moins de trois minutes. Le film commence avec l’image d’un espace blanc où des bâtiments se forment progressivement pour occuper la totalité de l’écran symbolisant un quartier de la ville de Homs.
À la fin du film les bâtiments disparaissent, laissant la place à l’espace blanc de la première scène et, en bruit de fond, les cris d’enfants qui jouent dans l’un des quartiers de la ville.
Projet de Mohamad Omran et Bissane Al Charif, enregistrement sonore : Reem Al Ghazi. Produit avec l’aide du British Council, Young Arab Theatre Fund et Inediz.
Mathieu Pernot
En 2007, invité par le centre d’art Labanque, Mathieu Pernot réalise un projet sur la démolition d’une barre de logement social dans le quartier du Mont-Liébaut à Béthune. Il produit une série de photographies de l’immeuble éventré par la pelle mécanique qui le grignote progressivement.
Les murs des anciennes chambres à coucher, salons, cuisines et autre pièces du logement se découvrent au fur et à mesure de l’avancement des travaux. Mathieu Pernot réalise alors une reconstruction de la barre en recréant une vue frontale de l’immeuble par la juxtaposition des vues prises sur le pignon de celui-ci.
Camille Gharbi
Ce(ux) qui reste(nt) est une réflexion visuelle sur la question de l’habitat et le sentiment d’appartenance à un lieu, mise en perspective du fait politique. Il s’agit de la restitution d’une résidence artistique portée par le bailleur social HABITAT 08 et l’association de photographie contemporaine La salle d’attente, réalisée à Bogny-sur-Meuse au printemps 2022, pendant la campagne présidentielle qui a vu une fois de plus l’extrême droite arriver aux portes du pouvoir. J’ai mené ce travail artistique avec les habitants d’une barre d’immeuble HLM vouée à la démolition. À partir de leurs mots et de leurs subjectivités, j’ai cherché à mettre en lumière les liens qui inscrivent les histoires individuelles de chacun dans l’histoire collective, qui nous traverse tous. Celles recueillies auprès des habitants de la rue Tisserand racontent en creux la fracture sociale qui sépare la France des élites et celle des classes dites « populaires ».
Vincent Gouriou
Dans le cadre du Festival Urbi & Orbi de 2023, l’association La salle d’attente invite le photographe Vincent Gouriou en résidence artistique à Sedan afin de dresser un portrait de la jeunesse de cette ville, de traduire ses aspirations en images mais aussi en paroles. Afin de réaliser ce travail, La salle d’attente a recherché des institutions, écoles, associations, clubs sportifs travaillant avec un public jeune de 16 à 25 ans. Le but de ce travail est de recueillir en images et en mots, la place des jeunes dans nos villes et particulièrement à Sedan et sa région, comment vont-ils y construire leur avenir, rester, partir ou revenir. L’artiste interviendra également dans les écoles afin de partager son expérience professionnelle.
Benoît Pelletier
Benoît Pelletier veut raconter la lumière qui tombe sur Sedan, la façon dont elle fait résonner la pierre jaune ; la présence de l’eau, et notamment ce fleuve, qui traverse la ville et son histoire ; cette pierre si caractéristique qui donne le sentiment que tous ces murs sont les pièces d’un seul bloc de territoire ; ce ciel auquel la présence du château donne des clés de lecture variables…
Il n’envisage donc pas une série qui serait spécifiquement démonstrative d’un point de vue architectural, mais les murs de la cité, sa matière, ses volumes, ses espaces, le château –sa présence massive ou son ombre portée – seront forcément, à un endroit ou à un autre, des composantes essentielles de son projet puisqu’elles le sont de cette ville.
Smith
Autour du thème “Paris vert”, Smith propose un portrait de cette ville dans une tessiture visuelle à la marge de celles habituellement employées pour chanter Paris – ville qui l’a vu naître, grandir, et qu’il hante encore aujourd’hui. Le contralto est la voix de femme la plus grave ; une voix rare, de l’entre-deux, caractérisée par une mystérieuse chaleur, paraissant dévoiler une autre réalité.
Cette série est réalisée à la caméra thermique, outil de prédilection du photographe depuis dix ans, dont la singularité est de capter les ondes de chaleur dégagées par les corps vivants, humains et non-humains. Ses couleurs singulières troublent les frontières entre les espèces, entre les règnes, révélant un on-ne-sait-quoi d’invisible, mais de pourtant fondamental, d’intuitif, liant tout ce qui est. Ces thermogrammes parisiens semblent ainsi mettre en lumière une ville où les surfaces bleues-grises bitumées omniprésentes cèdent leur place au flux du vivant et à ses couleurs chaudes.
Simon Boudvin
Inutile, libre, grand, généreux. Ce sont ces traits de l’ailante (Ailanthus altissima) que Zhuangzi évoquait pour illustrer sa philosophie Tao. Aujourd’hui, ces mêmes caractères sont reprochés aux spécimens de cette espèce qui évoluent dans les régions tempérées de tous les continents. Simon Boudvin a suivi le développement d’une population d’ailantes pendant dix ans sur un territoire de l’Est parisien, entre les communes de Bagnolet et Montreuil. Il partage ici un extrait de son relevé photographique, dont certaines situations sont reproduites dans un livre : Ailanthus altissima, une monographie située de l’ailante (éditions B42, 2021), une publication qui interroge notre capacité à accueillir l’apparition d’une forme de vie spontanée et à relâcher notre maîtrise exclusive sur l’espace de nos villes.
Une exposition et un livre – Roger Vincent, Alain Janssens, Yves Leresche,Alessandro Parente
De 1950 à 1975, Roger Vincent va photographier sa ville, Sedan. Ville détruite en partie en 1940, ville reconstruite à partir des années 1950, ville active et festive après les privations de la guerre, ville industrielle et commerçante dans les 30 glorieuses… En résulte près de 10 000 négatifs ou plaques, déposés à la médiathèque Georges Delaw et constituant une formidable mémoire de la ville : SEDAN. En avril 2022, une résidence photographique d’une semaine va confronter le regard de Roger Vincent à celui de trois photographes : Alain Janssens, Yves Leresche, Alessandro Parente. C’est cette expérience qui constitue l’architecture de l’exposition à la Manufacture du Tapis Point de Sedan et du livre SEDAN, regards sur la ville.
Chaque photographe s’est nourri du regard de Roger Vincent porté sur sa ville il y a cinquante ans. Mais se nourrir n’est pas copier, revisiter la ville avec un regard d’auteur a été le fil rouge de cette résidence.
Alain Janssens s’est appuyé sur son expérience de photographe d’architecture, en regardant la ville à travers les strates laissées par l’histoire, mais aussi les traces urbanistiques contemporaines qu’exigent la circulation automobile, la publicité envahissante… Yves Leresche et Alessandro Parente avec respect et bienveillance, se sont intéressés aux habitants, à leur occupation de la ville. Dans cette déambulation photographique, les images produites ne sont pas dans le registre de « l’avant-après » mais dans de subtiles connivences ou coïncidences avec les images de Roger Vincent.
Et d’autres artistes sont encore à découvrir…
Programmation et infos pratiques à retrouver sur le site web
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