Service national universel : chronique d’un fiasco annoncé

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SNU

Le 19 septembre 2025, Matignon a confirmé la mise en extinction du Service national universel (SNU).

L’annonce met fin à des années de tâtonnements, de promesses non tenues et de critiques récurrentes. Conçu comme un énième outil de cohésion nationale à destination des jeunes, le SNU apparaît aujourd’hui comme un échec emblématique de la gouvernance par symbole.

Lancé en 2019 par Emmanuel Macron, au moment même où les crédits de l’Agence du Service civique étaient réduits malgré son efficacité reconnue (et ce, en dépit de certains dévoiements, notamment par l’Éducation nationale qui en fit un usage abusif), le SNU devait recréer du lien entre la jeunesse et la nation. Mais dès ses débuts, il fut dénoncé comme un « gadget présidentiel » par des parlementaires, et même comme un « caprice à marche forcée » dans la presse critique. En 2024, la Cour des comptes enfonçait le clou en pointant « des objectifs multiples et mal définis » et une trajectoire budgétaire « incertaine » (Cour des comptes 2024).

Prévu pour être généralisé en 2026, le SNU se heurtait à un mur financier. La Cour des comptes estimait le coût d’une généralisation entre 3,5 et 5 milliards d’euros par an, auxquels s’ajoutaient des investissements lourds en infrastructures (Banque des Territoires 2024). Le Sénat, dès janvier 2025, avait supprimé sa ligne budgétaire dans le projet de loi de finances, actant de fait son impossibilité (Sénat 2025).

Le SNU reposait sur une contradiction : prétendre former des citoyens engagés à travers un dispositif court, encadré de manière quasi militaire, alors même que l’éducation civique scolaire se délite et que les associations de jeunesse peinent à survivre. Les retours de terrain font état d’expériences vécues comme « artificielles », sans ancrage durable (Le Monde 2024). Comme souvent avec une administration française de plus en plus souvent hors-sol, l’instauration du SNU s’est opéré sans la production d’une narratif sensible et symbolique susceptible de créer l’adhésion de la cible, en l’occurence les jeunes personnes. Résultat, à part les enfants de militaires et de policiers et quelques autres, le SNU n’a jamais réussi à toucher un public large.

Le bilan chiffré : des coûts faramineux, des résultats minimes

AnnéeJeunes visésParticipants réelsBudget inscritCoût moyen / jeune
202364 000~40 00096,3 M€~2 475 €/jeune
202480 000~40 000160 M€~2 172 €/jeune (prévisionnel)
202566 000 (prévision)~35 000128 M€~1 944 €/jeune

En réalité, le coût total atteignait près de 2 900 €/jeune en 2022, lorsque tous les frais étaient intégrés (Banque des Territoires 2024).

Le SNU comme palliatif budgétaire au Service civique ?

Derrière l’ambition affichée de cohésion nationale, le SNU a aussi été perçu comme un outil destiné à masquer la stagnation, voire la baisse, des crédits dédiés au Service civique. Créé en 2010, celui-ci permet chaque année à 150 000 jeunes de s’engager dans des missions d’intérêt général au sein d’associations, collectivités ou institutions.

Or, depuis 2020, les associations dénoncent un sous-financement chronique du Service civique, marqué par une enveloppe budgétaire plafonnée malgré la hausse des demandes, des retards de versements et des difficultés structurelles pour accueillir les volontaires. Dans ce contexte, le SNU est apparu comme un « cheval de Troie budgétaire » ; un dispositif prestigieux absorbant des crédits publics, pendant que le Service civique, moins visible mais bien plus efficace et plébiscité, se voyait relégué. Comme l’a rappelé le Sénat, le coût du Service civique est environ quatre fois inférieur à celui du SNU, pour un impact social nettement supérieur (Sénat 2023).

Le naufrage du SNU illustre la tendance du pouvoir exécutif et administratif à imposer des dispositifs sans concertation avec les acteurs éducatifs, associatifs et territoriaux – hors sol. Le projet, censé incarner l’unité, a révélé l’écart entre volontarisme présidentiel et réalités sociales.

À l’ombre du SMV rénové : un futur gouffre budgétaire ?

En parallèle, le gouvernement promeut désormais un Service militaire volontaire (SMV rénové), qui risque de reproduire les mêmes impasses.

  • Scénario modeste (20 000 jeunes) : ~600 M€/an, coût par jeune ~30 000 €.
  • Scénario gouvernemental (70 000 jeunes) : ~1,7 Md€/an (France Stratégie 2023).
  • Scénario élargi (200 000 jeunes) : 5 à 6 Md€/an, soit un budget comparable à l’Enseignement supérieur.

À titre de comparaison, le Service civique accueille déjà 150 000 jeunes par an pour ~7 000 €/jeune, avec un impact réel et reconnu (Sénat 2023). Le risque de doublon est manifeste.

La mise en extinction du SNU marque la fin d’une expérimentation coûteuse et mal pensée. Mais l’ombre du SMV rénové laisse craindre une répétition des erreurs : gigantisme budgétaire, duplication de dispositifs, promesses intenables. Le SNU restera comme un cas d’école d’une politique publique hors sol où l’idéologie et la communication ont pris le pas sur l’efficacité et le réalisme. Effarant.

Bibliographie

  • Banque des Territoires. 2024. SNU : la généralisation d’ici 2027 n’est pas envisageable, estime la Cour des comptes. 13 septembre. banquedesterritoires.fr.
  • Cour des comptes. 2024. Le service national universel : un dispositif coûteux aux objectifs et à la trajectoire mal définis. Rapport du 13 septembre. Paris : Cour des comptes.
  • France Stratégie. 2023. Service national : construire un nouveau modèle français et européen. Paris : France Stratégie.
  • Le Monde. 2024. « SNU : la Cour des comptes étrille un dispositif coûteux aux objectifs mal définis. » 13 septembre. lemonde.fr.
  • Politis. 2023. « Le SNU, un caprice présidentiel à marche forcée. » 2 novembre. politis.fr.
  • Sénat. 2023. Rapport d’information sur le Service civique et le Service militaire volontaire. Paris : Sénat.
  • Sénat. 2025. Projet de loi de finances : suppression des crédits du SNU. Paris : Sénat.
Eudoxie Trofimenko
Et par le pouvoir d’un mot, Je recommence ma vie, Je suis née pour te connaître, Pour te nommer, Liberté. Gloire à l'Ukraine ! Vive la France ! Vive l'Europe démocratique, humaniste et solidaire !