Thierry Ardisson s’est éclipsé comme une légende royale de la télévision

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thierry ardisson

Il avait tout prévu, jusqu’à sa mort. Même sa mise en scène. Thierry Ardisson est mort ce lundi 14 juillet 2025 à Paris, à l’âge de 76 ans, des suites d’un cancer du foie. L’ironie finale d’un royaliste convaincu qui rend l’âme un jour de fête nationale. L’homme en noir s’est éteint, laissant derrière lui un pan entier du PAF qu’il aura à sa manière déconstruit, électrisé, stylisé. Thierry Ardisson, c’était une certaine idée du PAF… Paf le roi.

Thierry Ardisson n’a jamais été un simple animateur. Il a été un ton, un rythme, une griffe. Une manière de concevoir la télévision comme un art de la transgression, de la franchise brutale et du spectacle orchestré. Il portait la provocation comme une tenue de soirée – noire, évidemment –, et maniait la polémique avec le sens du cadre d’un metteur en scène. En cela, il était bien plus qu’un interviewer ou un producteur : un auteur de télé.

Ses phrases chocs — « Sucer, c’est tromper ? », « Gaza, c’est Auschwitz » — ont souvent agacé, choqué, indigné. Mais elles n’étaient jamais gratuites. Ardisson voulait faire réagir, quitte à prendre tous les risques, quitte à déranger. Son art, c’était l’inconfort, mais un inconfort stylisé, maquillé sous les néons.

Un parcours hors des clous

Né le 6 janvier 1949 à Bourganeuf (Creuse), Thierry Ardisson n’a jamais cessé de fuir l’ennui provincial. Il monte à Paris à 20 ans et démarre dans la publicité avec un flair déjà spectaculaire : « Vas-y Wasa », « Quand c’est trop, c’est Tropico » — c’est lui. Mais la réclame ne suffit pas à ce dandy survolté, boulimique de création. Très tôt, il veut écrire, choquer, apparaître.

Il publie des livres, monte des boîtes, écrit pour L’Événement du jeudi, et s’essaie à la télévision dès 1980. Après des débuts maladroits, il invente son style avec Scoop à la Une (TF1, 1985), puis surtout Lunettes noires pour nuits blanches(Antenne 2, 1988-1990). Thierry Ardisson y reçoit Gainsbourg, Duras, Bashung ou Houellebecq — le meilleur et le pire, le flambeur et le marginal. Ardisson a toujours voulu tous les mondes à la fois.

Une télé-punk, une télé-pop

Avec Tout le monde en parle (1998-2006), il entre dans les foyers pour de bon. Le samedi soir, il réinvente le talk-show, croisant culture et trash, politique et cul. On y croise Nicolas Sarkozy comme JoeyStarr, on y débat comme on dérape. Thierry Ardisson y forge sa marque : caméra fixe, lumière tamisée, bande-son pop, punchlines millimétrées. Il impose un ton, un montage, une esthétique — ce que peu d’animateurs ont fait. Ses collaborations avec Laurent Baffie ou Frédéric Beigbeder ajoutent du soufre à sa formule. Avec Salut les Terriens ! (2006-2019), il perfectionne sa mécanique : fausse table mondaine, vraie arène. On y rit, on y souffre, on y saigne parfois.

Ardisson n’était pas sans taches. Affaires de plagiat (Pondichéry), procès, condamnations, fausses interviews (Entrevue), sa vie médiatique fut aussi marquée par des abus. Ses excès, longtemps célébrés comme des audaces, ont parfois tourné à la complaisance, voire à la cruauté. Thierry Ardisson a orchestré le dérapage de Zemmour en 2010 sur les trafiquants « noirs ou arabes » ; il a longtemps nié toute forme de repentance. Mais ces aspérités faisaient partie du personnage. On ne peut pas encenser l’homme libre sans reconnaître qu’il mordait parfois là où il aurait pu questionner. Il n’a pas toujours eu raison, mais il n’a jamais été tiède.

thierry ardisson mort royaliste
La photo de Thierry Ardisson est un montage par I.A. comme un autel au temps passé…

Le testament d’un esthète de la mort

Dans L’Homme en noir (Plon, 2025), son ultime ouvrage, Thierry Ardisson se met en scène à son propre enterrement, dans un dernier show psychédélique. Il convoque Bowie, Sean Connery, des anges sous LSD. Il pensait sa disparition comme une ultime création.

Sa dernière émission, Hôtel du temps, où il interviewait des morts recréés par intelligence artificielle, fut un échec d’audience. Mais l’idée était là : provoquer jusqu’au bout, même face à la mort.

Marié trois fois, père de trois enfants, Thierry Ardisson vivait depuis 2009 avec la journaliste Audrey Crespo-Mara. Leur complicité fut celle d’un couple de télévision, mais aussi d’un couple d’auteurs. Elle préparait un documentaire sur lui, La Face cachée de l’homme en noir, qu’il a pu voir avant de partir.

Décoré de la Légion d’honneur en avril 2024 par Emmanuel Macron, il suscite une dernière controverse. Christine Angot fustige ce qu’elle appelle « l’humour-humiliation ». Mais qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Thierry Ardisson a laissé une empreinte profonde : dans les formats, les mots, le style, et le rapport entre télévision et transgression.

L’homme en noir, l’homme du noir

Thierry Ardisson aurait voulu être un roi. Il l’a été, à sa manière. Roi d’un royaume de contradictions, de paillettes et de cendres, de rires jaunes et d’élégance sarcastique. Thierry Ardisson n’aura jamais été consensuel et toujours sagace.

« Si j’ai voulu faire quelque chose de ma vie, c’est pour que ma mort soit moins douloureuse », confiait-il récemment. Pari tenu. Le malaise qu’il provoquait était le miroir de notre époque. Ce miroir vient de se briser. Ardisson est mort ! Vive Ardisson !

HÔTEL DU TEMPS — Thierry Ardisson, l’interview posthume
Extrait exclusif – Juillet 2025

[0:00 – 0:10]
Plan fixe. Silhouette noire dans une lumière dorée tamisée. La voix-off d’un narrateur solennel, style Ardisson lui-même :

« Mesdames et messieurs, bonsoir. Ce soir, nous recevons un revenant. Il a quitté ce monde le 14 juillet, jour symbolique s’il en est… et il nous parle depuis l’autre rive. »

[0:11 – 0:25]
Apparition d’Ardisson en noir, assis dans un fauteuil Empire, avec un décor bleu nuit à fleurs de lys, une aura discrète, un bandeau « IA RECONSTITUTION ».

INTELLIGENCE ARTIFICIELLE – THIERRY ARDISSON (souriant)

« Bonsoir. Et non, je ne suis pas en train d’animer l’au-delà… Quoique, vu l’état du PAF aujourd’hui, je suis sans doute mieux ici. »

[0:26 – 0:50]
INTERVIEWEUR (voix off ou off-caméra)

« Thierry Ardisson, êtes-vous mort en monarchiste ? »

ARDISSON (sérieux puis ironique)

« Mort en monarchiste ? Je suis mort en homme libre. Mais j’ai toujours eu une tendresse pour la monarchie. Pas la monarchie de sang, non. La monarchie de style.
Louis XIV avait Versailles. Moi, j’avais Paris Première. »

[0:51 – 1:10]
ARDISSON (enchaînant, plus grave)

« J’ai toujours pensé qu’il fallait du panache dans la mort comme dans la vie. Alors oui : j’ai quitté ce monde comme un roi. Sans couronne peut-être, mais avec mes lunettes noires. »

[1:11 – 1:20]
Musique : Jean-Philippe Rameau
Zoom lent arrière. Écran noir.

[1:21 – 1:30]
TEXTE ÉCRAN

Thierry Ardisson
1949 – 2025
« UNE CERTAINE idée DU PAF… »

Rocky Brokenbrain
Notoire pilier des comptoirs parisiens, telaviviens et new-yorkais, gaulliste d'extrême-gauche christo-païen tendance interplanétaire, Rocky Brokenbrain pratique avec assiduité une danse alambiquée et surnaturelle depuis son expulsion du ventre maternel sur une plage de Californie lors d'une free party. Zazou impénitent, il aime le rock'n roll dodécaphoniste, la guimauve à la vodka, les grands fauves amoureux et, entre deux transes, écrire à l'encre violette sur les romans, films, musiques et danses qu'il aime... ou pas.