Au moment où Donald Trump, de retour à la Maison-Blanche, réactive la logique de guerre commerciale et saborde les mécanismes multilatéraux qu’avait contribué à forger la diplomatie américaine durant des décennies, Xi Jinping déploie une scénographie inverse : celle d’un empire patient, qui se donne pour mission d’incarner le centre de gravité d’un monde multipolaire. Le contraste est saisissant : fracas américain contre solennité chinoise, désagrégation d’un ordre contre construction d’un contre-monde.
Tianjin, l’anti-Davos ?
Le sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), réuni à Tianjin, est présenté par Pékin comme « le plus important » depuis la fondation de l’organisation en 2001. Xi Jinping y a accueilli Poutine, Modi, Erdogan, Pezeshkian et une vingtaine d’autres dirigeants pour signifier que l’alternative à l’Occident ne relève plus de la fiction mais de la mise en pratique. Alors que le Forum de Davos a longtemps incarné la mondialisation pilotée par les élites occidentales, Tianjin se rêve en contre-Davos : une scène où l’Eurasie, la Russie et les puissances « émergentes » définissent leurs propres normes. L’« esprit de Tianjin », vanté par les affiches en mandarin et en russe, n’est rien d’autre qu’une tentative de produire un imaginaire commun susceptbile de rivaliser avec le récit libéral de l’après-1945.
Xi Jinping, champion d’un multilatéralisme « non occidental »
Pékin se positionne désormais comme champion d’un multilatéralisme non occidental. Il ne s’agit pas seulement de défendre des relations internationales « multipolaires », mais de construire un langage alternatif à celui du droit international façonné par l’ONU et les institutions de Bretton Woods. C’est pourquoi Xi Jinping a fustigé la « mentalité de Guerre froide » et « la politique du plus fort », en visant sans le nommer Donald Trump et ses alliés européens. L’OCS n’est donc plus seulement un forum sécuritaire ; elle se rêve en laboratoire normatif d’un ordre où le droit ne s’adosserait pas à l’Occident mais à des valeurs d’« égalité souveraine » et de « respect des civilisations ».
Un bloc solide ou une mosaïque fissurée ?
Les observateurs soulignent cependant les contradictions internes. En ce qui concerne la relation sino-indienne, derrière les déclarations de « danse du dragon et de l’éléphant », New Delhi craint l’hégémonie chinoise et reste profondément attachée à ses partenariats américains et japonais. En outre, l’Armée populaire de libération a grignoté des territoires disputés en Himalaya, humiliation que Narendra Modi ne peut ignorer. La Turquie d’Erdogan poursuit son jeu d’équilibriste, et l’Iran cherche une protection qui reste symbolique. Le bloc eurasiatique existe davantage comme vitrine que comme architecture cohérente.
Donald Trump, l’hyperbole contre l’empire patient
L’autre pôle de ce duel est incarné par Donald Trump. Sa diplomatie se réduit à une succession de coups de menton : droits de douane contre Pékin et New Delhi, menaces contre Ankara, sanctions contre Téhéran. Il déconstruit ce que l’Amérique avait construit : l’OMC, le multilatéralisme économique, les alliances durables. En un mot, l’Occident (à peu près) uni. En miroir, Xi Jinping se met en scène comme un patriarche d’empire. Là où Trump gesticule, Xi orchestre. Là où Trump parle à sa base électorale, Xi parle à l’Histoire. Là où Trump cherche l’effet immédiat, Xi fabrique du temps long.
L’enjeu : le récit dominant
Tianjin est ainsi moins un sommet qu’une arèna diplomatique où il s’agit d’incarner une autre centralité, d’installer dans l’imaginaire collectif l’idée que la Chine est désormais le lieu où se jouent les arbitrages planétaires. L’Amérique conserve ses leviers – dollar, innovation, armée, soft power – mais son instabilité politique fragilise son récit. La Chine, en dépit de ses fragilités économiques et démographiques, maîtrise, comme d’habitude, la grammaire du temps long.
Scénarios à horizon 2030
- Empire sino-centré : Pékin réussit à structurer un ordre alternatif avec Moscou et New Delhi, attirant autour de lui un arc eurasiatique qui marginalise l’Occident.
- Résilience américaine : un post-Trumpisme réhabilite le multilatéralisme et recompose un front atlantico-indo-pacifique.
- Fragmentation : les contradictions internes éclatent, ni l’Amérique ni la Chine ne parviennent à dominer, et l’ordre mondial se morcelle en zones régionales concurrentes.
