Il est des romans dont on a du mal à rendre compte tant leur lecture vous étreint des premières aux dernières pages et vous laisse sans voix, le cœur serré. Le dernier ouvrage de Gaëlle Josse, Une longue impatience, est de ceux-là. Le roman aurait pu s’intituler « Mourir d’aimer », ou bien encore « Mourir d’attendre ».
C’est une nuit interminable. En mer le vent s’est levé, il secoue les volets jusqu’ici, il mugit sous les portes, on croirait entendre une voix humaine, une longue plainte, et je m’efforce de ne pas penser aux vieilles légendes de mer de mon enfance, qui me font encore frémir. Je suis seule, au milieu de la nuit, au milieu du vent. Je devine que désormais, ce sera chaque jour tempête.
Cette longue impatience – belle association des deux mots – est celle d’Anne, jeune veuve d’un marin pêcheur, Yvon Quémeneur, disparu en mer, pendant les années 40, victime d’un bombardement anglais, et maman de Louis, son enfant adoré qui disparaîtra lui aussi après que son irritable beau-père, Etienne, deuxième époux de la malheureuse femme, l’a frappé à coup de ceinture. Geste impardonnable pour le jeune Louis, solide adolescent de 16 ans, « entré par effraction dans la vie [de cet homme] venu chercher sa mère un dimanche d’été », qui le fera immédiatement fuir de la demeure familiale, sans avertissement, « en laissant l’absence et le silence pour seul souvenir ». Pour partir sur un bateau, « son monde d’avant, le monde de son père ». Inexcusable geste d’Etienne, aussi, pour Anne qui attendra, désespérée, le retour de son fils, scrutant inlassablement jour après jour la ligne d’horizon du petit port breton.
Après la perte de son mari, Anne s’était laissé séduire par Etienne, le riche pharmacien de son village, amoureux d’elle depuis l’enfance et l’école où ils se sont connus. Naîtront deux enfants, Jeanne et Gabriel, qui seront un bonheur pour Anne. Et un refuge. Car le monde simple d’où vient Anne est à cent lieues de celui de son mari, héritier d’une famille cossue. Dans cette union dissemblable, Anne ne se sentira jamais à sa place. Ni dans son couple, ni dans sa nouvelle et bourgeoise demeure, « la grande maison », où elle vivra toujours un peu comme une « invitée ». Etienne, qui a courageusement bravé les préjugés de classe de son village, sera, avec elle, un mari attentionné et très amoureux.
Je me demande pourquoi il m’aime tant et ce qu’il peut bien trouver à une femme comme moi, habitée d’absents, cousue d’attentes, de cauchemars et de désirs impossibles.
Après son geste malheureux, Etienne cherchera l’indulgence de son épouse. « Pardon pour Louis » finira-t-il par lui murmurer dans l’intimité nocturne d’une étreinte amoureuse. «Il l’a dit. J’ai entendu. J’ai entendu mais ça ne change rien. Ça ne m’empêchera pas d’aller attendre tous les jours, de tousser l’hiver, de suffoquer en été et d’attendre encore. Puis j’ai fini par m’endormir, les mots d’Etienne posés sur moi ».
Anne adressera à Louis, « loin en mer », de longues lettres lui promettant pour le jour béni de son retour profusion de mets et festins de douceurs autour de la table familiale, « comme une enfance que je réinventerai pour toi », lui écrit-elle.
« Maman n’est pas rentrée » dit un soir Jeanne d’une voix inquiète à son père soudain blême d’angoisse. Sans hésiter, il se dirigera vers l’ancienne et modeste maison d’Anne, celle où elle vécut avec son mari, Yvon, et leur fils Louis, et qui n’aura jamais cessé d’être le refuge de son chagrin, son « nid de solitude, un lieu où Etienne n’a pas sa place ». Face à cet océan qui aura pris à Anne, sans les lui rendre, les deux hommes de sa vie et la fera définitivement vivre dans « un deuil sans corps ». Il l’y trouvera, « assise dans son fauteuil paillé, près de la table. Elle ne l’entend pas, elle ne l’entendra plus ».
Gaëlle Josse signe là une fois encore un magnifique livre d’amour, celui d’une mère pour un fils, tissé de phrases retenues, délicates et déchirantes.
Une longue impatience un roman de Gaëlle Josse. Editions noir sur blanc. Date de parution 4 janvier 2017, 192 pages, 14,00 EUR €. ISBN 978-2-88250-489-0.
Prix du Public du Salon du livre de Genève 2018.