Dans le cercle intrafamilial, comme dans la rue, les violences faites aux femmes sont encore bien trop présentes. En 2018, 25 % des Françaises, soit environ 5 millions de femmes, âgées de 20 à 69 ans déclaraient avoir subi au moins une forme de violence dans l’espace public. Depuis janvier 2019, 136 femmes ont été assassinées par leurs conjoints ou ex-conjoints : 44 de moins que l’année précédente, mais toujours 136 de trop. Entre 2012 et 2018, 219 000 femmes se sont déclarées victimes de violences conjugales quotidiennes, mais selon une enquête de l’INSEE et de l’ONDRP, elles seraient seulement 19 % à avoir porté plainte… « La honte doit changer de camp » – S.Boueilh.
« J’ai vécu 18 ans dans un enfermement psychique. C’était mon maître, il contrôlait tout ce que je faisais, il me menait à la baguette. Il m’était impossible de me sortir seule de cette situation parce que j’étais sous son emprise, je ne pouvais pas détecter que son discours m’emprisonnait psychologiquement. J’étais convaincue que ce qu’il me disait c’était ce que j’étais. Il avait réussi à s’introduire dans toutes les parcelles de mon cerveau. Ce sont des professionnels qui m’accompagnaient lorsque j’ai eu des soucis de santé qui m’ont fait prendre conscience de ma situation. Jamais je n’aurais réussi à m’en sortir seule, j’ai dû réapprendre à vivre de A à Z : j’étais tellement sous son emprise que sans lui, je ne savais plus quoi faire. J’ai mis du temps à prendre conscience de ce qu’il m’arrivait. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à exprimer qu’il me violait. Ça fait des années que j’ai demandé le divorce, mais mon dossier n’a toujours pas été examiné. Un jour un greffier m’a dit : “madame, si vous attendez que la justice juge pour vous reconstruire, vous allez mourir”.»
Témoignage de Michèle lors du colloque inversé intitulé “ça s’appelle violence conjugale… et après ?” le 28 novembre 2019 à la maison des associations de rennes.
Le 3 septembre 2019, le Premier ministre Édouard Philippe a lancé le «Grenelle contre les violences conjugales». Le but de ce débat ? Établir un schéma directeur départemental pour réduire la violence conjugale dès 2020 et ainsi construire un plan efficace à l’échelle nationale.
En Ille-et-Vilaine, dès l’été 2019, Michèle Kirry, la préfète d’Ille-et-Vilaine, Philippe Astruc et Christine Le Crom, respectivement procureurs de Rennes et de Saint-Malo, ont initié une réflexion sur ce sujet en identifiant 4 axes prioritaires de travail : l’éducation à l’égalité femme-homme, la prise en compte de la victime, la prise en compte des auteurs et la prévention de la récidive et, la prise en compte des enfants mineurs (victimes collatérales).
Le 19 novembre 2019, Unidivers a assisté à la restitution des idées ayant émergées des groupes de travail composés de professionnels de la santé, du médical, du social et du judiciaire, retenus pour travailler à l’élaboration de ce Grenelle en Ille et Vilaine.
« Dans le département, depuis janvier 2019, ce sont plus de 1471 faits de violences faites aux femmes qui ont été déclarés. Souvent commis dans le cercle intrafamilial et sous l’emprise de l’alcool, ces faits sont insoutenables et intolérables. Ces violences sont de véritables ondes de choc qui se répercutent sur des vies entières. Celles des femmes violentées, mais aussi celles de leurs enfants qui trop souvent, sont témoins de ces violences.», déclare Michèle Kirry. En 2018, 57 enfants étaient présents sur la scène de l’homicide et 21 ont été tués.
« L’homme avec qui je vivais depuis de nombreuses années est devenu violent du jour au lendemain. Il m’a violentée psychologiquement et sexuellement puis m’a harcelée et m’a menacée jusqu’à me violer. Cet acte a été le déclic : j’ai compris que je n’étais plus en sécurité avec lui. Je me suis rendue au commissariat, où ils m’ont répondu qu’ils ne prendraient pas ma plainte si je n’avais pas reçu de menaces de mort. J’ai finalement réussi à porter plainte. Je voulais juste que mon ex-mari me laisse tranquille, je n’avais pas envie de le traîner en justice. Ma volonté n’a pas été respectée. Après ma plainte, j’ai vécu six longues années de procédures judiciaires atroces. Ces six années ont fini de m’achever. Les 5 mois de procès ont été horribles, mon avocat m’a laissée tomber quelques semaines avant le début. Mon agresseur a finalement pris 5 ans avec sursis. Depuis, je ne sors plus de chez moi, je vis dans une peur constante. Maintenant qu’il est allé en prison à cause de moi, j’ai encore plus peur de lui. Il sort dans 2 ans. J’ai l’impression qu’il me reste deux ans pour disparaître.»
Témoignage de Sylvie lors du colloque inversé intitulé “Ça s’appelle violences conjugales… et après ?” le 28 novembre 2019 à la Maison des associations de Rennes.
Ainsi, afin de combattre le plus efficacement possible les violences faites aux femmes en Ille-et-Vilaine, plusieurs axes d’action ont été abordés. Entre autres :
- Introduire la notion d’égalité dès le plus jeune âge. En revoyant les aménagements des cours de récréation, par exemple. (il est anormal que des terrains de foot prennent toute la cour et que les filles soient obligées de jouer dans les recoins, par exemple).
- Mettre en place des cours théoriques obligatoires sur l’égalité dans les formations liées à l’éducation.
- Déployer sur l’ensemble du département ce que le CRIFEM, une équipe mobile de crise (regroupant pédopsychiatre, infirmière, éducateur, secrétaire) qui agit dans le secteur de Redon, Bain-de-Bretagne et Pipriac, met en place. Lorsque la gendarmerie intervient sur une situation de violence conjugale, celle-ci, avec l’accord de la victime, établit une fiche navette pour que le CRIFEM la rappelle dans les 72 heures. Le CRIFEM peut ensuite se déplacer au domicile de la victime ou lui proposer de la rencontrer dans le camping-car de l’organisation. Une méthode efficace pour sortir du huis clos des violences conjugales, pour accompagner la victime dans ses démarches et pour protéger les enfants.
- Ouvrir de nouveaux postes de psychologues dans les commissariats de Rennes d’ici 2020 afin d’accompagner moralement les victimes qui souhaitent enclencher une procédure judiciaire.
- Désamorcer les actes violents avant qu’ils arrivent en créant des espaces de parole pour des personnes en situation de crise qui en ressentent le besoin ou qui se posent des questions sur leurs comportements violents. Proposition d’un numéro gratuit (type SOS Amitiés) accessible 24h/24h.
À l’issue de cette matinée d’échanges, quelques professionnels du corps médical sont ressortis septiques, convaincus que ces temps de parole très institutionnels manquent cruellement d’actions concrètes et humaines. Désireux de se confronter à la triste réalité des violences faites aux femmes en Ille-et-Vilaine, Unidivers s’est rendu à la 2ème édition du Colloque inversé intitulé “Ça s’appelle violences conjugales… et après ?”, le 28 novembre 2019 à la Maison des associations de Rennes. Organisé par le groupe d’entraide Le Poids des maux, ce colloque était l’occasion pour une dizaine de victimes de violences conjugales de témoigner de leur parcours face à des professionnels.
« Cet homme m’avait amadouée en me parlant d’un de ses fils, atteint d’un cancer, qu’il ne pouvait plus voir, car son ex-femme l’en empêchait. Tout est allé très vite entre nous. Après quelques mois à se fréquenter, nous avons emménagé ensemble en campagne. Il m’a fait quitter mon travail, alors que j’étais directrice d’une brasserie parisienne. J’étais isolée, sans voiture, éloignée de ma famille et de mes amis. Il n’y avait plus que lui et moi. Puis, il a commencé à me violenter sexuellement, m’obligeant à lui faire des fellations dès qu’il en avait envie, notamment. Il me bourrait le crâne avec ses crises de jalousie infondée, capable de s’en prendre à moi parce que je regardais une publicité montrant un homme. Un jour, tellement je n’en pouvais plus de ses paroles incessantes, je me suis éclatée une bouteille de vin sur la tête, espérant me couper les oreilles. Il me rendait folle, je voulais être sourde. Mais cela n’a pas fonctionné. Ça a juste été une occasion pour lui de m’humilier, encore.
J’ai essayé de m’enfuir 5 fois. Un jour j’ai marché 15 kilomètres dans la neige. Mais je me sentais perdue hors de la maison, j’avais le sentiment qu’il pouvait m’arriver n’importe quoi dehors. Je finissais par y retourner. Lorsque je rentrais chez nous, je savais à quoi m’attendre, je voyais le danger en face. Pour lui, les contraceptions étaient pour les prostituées, je ne pouvais donc pas en utiliser. Après une première fausse couche, je suis tombée enceinte d’une fille. Lorsqu’elle est née, je me suis dit qu’il fallait que je parte, pour elle. Un soir où il était violent, j’ai appelé la gendarmerie : ils m’ont répondu qu’ils n’étaient pas taxi. J’ai alors appelé le SAMU. Ils n’avaient pas de véhicule disponible avant 1h. Avant de raccrocher, je leur ai dit : « Dans une heure je serai morte», ils ont du comprendre l’urgence de la situation puisqu’ils sont finalement venus me chercher. Après avoir porté plainte, j’ai recherché nuit et jour toutes ses anciennes femmes afin de savoir ce qui leur était arrivé. Je les ai toutes retrouvées. Nous sommes 14 victimes, et 6 ayant des enfants dont il est le père. Je suis la maman numéro 5.
Pendant toute la procédure, il a eu le temps de s’attaquer à une autre victime qu’il a également mise enceinte. Lors du procès, elle le défendait, encore sous son emprise. Je me reconnaissais dans ses paroles. Quelque temps après, elle a aussi porté plainte et il a finalement écopé de 10 ans de prison. C’est un “pervers narcissique killer”. Il choisit ses victimes : une situation stable — avant qu’il nous détruise — et les cheveux longs et bruns : nous ressemblons à sa maman, jeune.
J’ai été accompagnée par une avocate extraordinaire pendant toute la procédure judiciaire, mais des incohérences me laissent perplexe. Par exemple, alors qu’il y avait plusieurs plaintes contre lui, il n’a pas été placé en détention provisoire. De ce fait, il a eu le temps de s’attaquer à deux autres femmes, après moi. Si j’ai obtenu le droit qu’il ne voit pas sa fille, une de ses ex-femmes (avant moi) ne parvient pas à lui retirer le droit parental. C’est un comble…
Personne ne m’a jamais dit qu’en tant que victime de viol j’ai le droit à l’aide juridictionnelle totale alors que c’est le cas. Si nous sommes parfois bien accompagnées, nous sommes pourtant mal informées. »
Témoignage de Nadège.
Les témoignages de ces victimes sont saisissants. La réalité frappe en pleine figure. Qu’en est-il des femmes qui ne parviennent pas à faire porter leur voix, ou de celles pour qui la justice est arrivée trop tard ? Les actions menées par le gouvernement apparaissent encore bien trop laxistes et trop peu humaines lorsque de telles histoires résonnent entre 4 murs…
Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie, a participé à l’organisation de cette journée. Elle rappelle aux victimes (peut-être présentes dans le public) que plusieurs possibilités s’offrent à elles si elles veulent faire entendre leur voix. Par exemple, écrire au procureur de leur ville est vivement conseillé si elles ont le sentiment de ne pas se faire entendre dans leur commissariat de proximité. Les hauts représentants de la justice sont souvent très bien formés quant au caractère polymorphe des violences faites aux femmes. Il existe également une plateforme : ici, qui permet aux victimes de chatter avec des professionnels spécialement formés aux violences faites aux femmes, afin que ceux-ci les aiguillent concernant les démarches à suivre si elles souhaitent se faire aider, judiciairement ou psychologiquement.
Le 25 novembre: La journée internationale pour l’élimination de la violence faite à l’égard des femmes.
En France, si le néologisme de féminicide (meurtre d’une femme en raison de sa condition féminine) est reconnu par le Petit Robert, mais pas par l’Académie française, le Costa Rica est le premier pays à le reconnaître comme un crime, en 2007. Dans certains pays (au Pérou et au Chili par exemple) la peine est aggravée si le meurtre est celui d’une femme par son conjoint.
Le 25 novembre 1961, les trois soeurs Patria, Minerva et María Teresa Mirabal, également connues sous de nom de de « Las Mariposas » (les papillons), furent tuées sous l’ordre de Rafael Trujillo (ancien dictateur de l’État dominicain) après avoir été emprisonnées à plusieurs reprises, torturées, et violées — car rebelles contres le gouvernement de Trujillo. En 1999, L’Organisation des Nations Unies proclame le 25 novembre Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, en mémoire à ces trois soeurs. Partout en France, le 23 novembre 2019 a été le théâtre de cette colère contre les violences faites aux femmes. À Rennes, plus de 2500 personnes ont défilé pour dénoncer ces atrocités.
Le 20 novembre 2019, le collectif féministe chilien « LasTesis» s’est fait entendre dans les rues de Valparaiso au moyen d’une chorégraphie et d’un chant originaux. Yeux bandés, rythme saccadé, gestes déterminés, les Chiliennes ont été les premières à revendiquer collectivement leur colère en scandant : « Le violeur c’est toi ! Et ce n’était pas de ma faute, ni de l’endroit où je me trouvais, ni de comment j’étais habillée…le violeur, c’est toi! Ce sont les flics, les juges, l’État, le Président. L’État oppresseur et un macho violeur. Le patriarcat est un juge, qui nous condamne par le seul fait d’être nées (femmes), et notre châtiment, c’est la violence que tu ne vois pas. C’est le féminicide. L’impunité pour mon assassin. C’est la disparition. C’est le viol. »
Cette colère chilienne est née après une enquête sur le viol et des informations faisant état d’agressions sexuelles perpétrées par des policiers. Cinq jours plus tard, la chorégraphie a été reproduite à plus grande échelle à Santiago. Elle est entrain de faire le tour du monde, chanté tel un véritable hymne international contre les violences faites aux femmes. À Rennes, ce chant a résonné sur la Place des Lices le samedi 7 décembre 2019.
3919 : le numéro de téléphone pour les femmes victimes de violence (gratuit et anonyme)
Plus d’informations sur : www.stop-violences-femmes.gouv.fr
Plateforme pour signaler les violences sexistes et sexuelles : ici
Osez en parler ! En Ille-et-Vilaine, appelez le 02 99 54 44 88 – 24h/24 et 7J/7
CRIFEM – équipe de crise liée au Centre Médico Psychologique de Bain de Bretagne :
02 99 44 77 99
Collectif Féministe Contre le Viol : 0 800 05 95 95 (gratuit et anonyme – du lundi au vendredi de 10h à 19h). Site : ici
Source chiffres : https://stop-violences-femmes.gouv.fr/syntheses-statistiques.html
Enquête INSEE et ONDRP (l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) : ici.
Article et photos par Julie Pialot et Laurie Musset.