Violences en manifestation à Rennes : un policier condamné à cinq mois de prison avec sursis

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manifestation rennes

C’est une décision de justice rare dans un climat national où le sujet des violences policières reste hautement inflammable. Mardi, le tribunal correctionnel de Rennes a condamné un policier à cinq mois de prison avec sursis pour des violences commises sur deux hommes en mars 2023, au cœur des manifestations contre la réforme des retraites.

L’affaire s’était nouée le 23 mars 2023, lorsque la colère sociale contre la réforme des retraites atteignait son paroxysme dans de nombreuses villes de France. À Rennes, comme ailleurs, les cortèges avaient parfois dégénéré en affrontements directs entre manifestants et forces de l’ordre. C’est dans ce contexte de tension que le fonctionnaire de police avait interpellé deux manifestants et porté plusieurs coups lors de leur arrestation.

Les images de l’intervention, filmées et diffusées sur les réseaux sociaux, avaient rapidement fait réagir l’opinion et conduit le parquet à saisir l’IGPN. Au terme de son enquête administrative, l’Inspection générale de la police nationale avait confirmé la matérialité des faits, ouvrant la voie à des poursuites pénales.

Face au tribunal, le policier avait invoqué la pression de la situation, le contexte d’affrontements et la difficulté de maintenir le calme face à des manifestants parfois agressifs. Des arguments classiques dans ce type de dossier, mais qui n’ont pas convaincu la juridiction rennaise. « Le cadre légal d’usage de la force ne s’efface pas sous l’effet de la tension du moment », a rappelé la présidente du tribunal en rendant sa décision.

Cinq mois de prison avec sursis : une peine symbolique mais significative. Le policier reste libre, mais inscrit désormais un casier judiciaire à son dossier. Pour les avocats des parties civiles, la reconnaissance de culpabilité constitue un « signal judiciaire », rappelant que les dérapages des forces de l’ordre ne sauraient échapper systématiquement à la justice.

L’affaire prend place dans un contexte rennais déjà sensible où d’autres dossiers de violences policières restent dans les mémoires. Parmi eux, la mort de Babacar Gueye en 2015, tué par un tir policier alors qu’il était en pleine crise psychique. Une procédure toujours ouverte, en appel, dont une décision est attendue dans 2 jours, le 6 juin 2025.

Au-delà du seul dossier rennais, l’affaire illustre une tension persistante autour de la question du maintien de l’ordre en France. 

Depuis plusieurs années, les manifestations de grande ampleur — qu’elles concernent les retraites, les Gilets jaunes ou les questions environnementales — voient s’affronter une police de plus en plus équipée, formée au maintien de l’ordre « offensif », et des groupes de manifestants radicaux qui viennent non plus seulement exprimer un désaccord politique, mais provoquer directement les forces de l’ordre et s’en prendre aux biens publics et privés. Ce durcissement symétrique entretient un climat de défiance généralisée. Une partie croissante de la population exprime une hostilité envers des forces de police jugées désagréables et brutales, tandis que bon nombre de policiers, mais aussi d’observateurs neutres et une partie croissante de la population, dénoncent la multiplication de « manifestants violents déterminés » qui viennent chercher l’affrontement et se défouler en cassant, voire en agressant. Le cercle est désormais bien enclenché qui rend chaque nouvelle mobilisation potentiellement explosive et chaque dérapage policier plus lourd de conséquences politico-médiatiques.

Les syndicats de police, à l’instar d’Alliance, dénoncent ces conditions d’intervention de plus en plus complexes qui exposent les agents à des risques disciplinaires et judiciaires accrus. À l’inverse, de nombreuses ONG et associations de défense des droits humains dénoncent l’impunité encore trop fréquente des violences commises sous l’uniforme. Le jugement de Rennes s’inscrit ainsi dans ce délicat équilibre judiciaire et politique où chaque décision de justice alimente le débat brûlant sur la régulation de la force publique en démocratie.

Photos : Laurie Musset