Dans À peine un souffle, publié aux éditions La Part Commune, Nicole Laurent-Catrice livre un nouveau recueil de poésie dans lequel les mots disent la vie d’aujourdhui
C’est avec la « stratégie souple du chat » que Nicole Laurent-Catrice, écrivaine, poète, romancière, traductrice et tant d’autres nobles vocations, nous confie, du bout des lèvres, À peine un souffle, ses réflexions et ses constats, ses souhaits et ses visions, avec en réalité un beau et grand souffle poétique qui l’amène, après pas moins de trente publications, à nous dire encore, par maints détours et allusions, qu’il y a toujours Du soleil dans les flaques, et que, si elle a chanté la Liturgie des pierres, elle n’a jamais écrit que Pour la vie (pour citer trois de ses précédents livres). On gardera en mémoire ce beau poème de la future mère collant son dos au menhir de Bretagne pour que l’âme immémoriale de la pierre – « la pierre branlante de notre cœur » – s’infuse dans l’enfant à naître. Nous sentons toujours chez elle un souffle prophétique, de Moïse à Jésus, faisant « la part du feu » dans « l’autodafé du temps ». Pour fragile que soit, chez elle, l’espoir de rédemption – « au moment où nous croyons Te connaître / à la brisure du pain Tu t’effaces » –, le souffle de vie et l’espoir soutiennent ses vers, cimentent ses strophes, assez pour conclure : « Et le vieillard sourit, ravi, revivifié ».
L’inspiration s’abrite souvent sous les voûtes romanes, où s’agite un petit monde animal que n’eût pas renié François, le saint d’Assise, dont l’ineffable hirondelle qui « joint son cri à la prière », et nous voyons défiler des « Bêtes à Bon Dieu », les bien nommées, qu’elles soient araignée qui « sur la nudité de la croix pose un voile », papillon, moucheron, souris ou chat :
Au moment où le prêtre à l’autel
annonçait l’évangile
des démons entrant dans les pourceaux
certains ont vu
ont cru voir
un chat noir
se faufiler entre leurs jambes…
Jouant sur les mots et retournant les vieilles lunes, en poète, elle a même une pensée aussi affectueuse que pieuse pour la fameuse « grenouille de bénitier » :
La grenouille sculptée
au fond du bénitier
nous fait signe
que c’est une eau
bonne pour la vie.
Mais tout ce petit monde, incertain, improbable, n’est que « mirages » et ne lui apparaît que comme les « reflets d’un Éden perdu ». Et c’est alors en prophète biblique qu’elle prévoit l’avenir, forcément sombre tant l’actualité, cruelle ou implacable, fait de l’ombre à la nature toujours émerveillante :
Un jour l’eau et le feu
viendront noyer la terre
et les larmes et le sang
prévaudront sur le rire et le blé.
En définitive Nicole Laurent-Catrice n’a jamais écrit que « le cœur déchiré des guerres et l’âme enfiévrée d’amour ».
En esprit fort, traversé de doutes et l’âme pieuse, elle n’hésite pas à dresser le poing vers le ciel, s’interroger, remettre en question, s’abattre et se relever, elle qui entend
Casser la croûte de l’hostie
pour voir au-delà
du pain
Sa présence.
Comment, aujourd’hui, alors que le monde n’a jamais été aussi universellement déchiré et « marche sur la tête », que la guerre est partout, et le malheur, et le sang, mettre sous ses lèvres la précieuse Présence ?
On ne nous donnait que le pain
pour le corps
le pain sans levain
de la hâte et du chagrin.
Où était le vin
pour la joie du cœur ?
Il manque tellement de pain
pour le monde
il y a tant de sang répandu.
C’est cette force et cette voix, souvent prophétique, qui marquent le dernier recueil de Nicole Laurent-Catrice qui, au demeurant, ne manque pas de souffle. Il n’est plus, pour elle, que de renverser la table, après avoir dénoncé tous les pouvoirs et les injustices, l’ignominieuse ambition, la tyrannie délétère, et tenter, une dernière fois, fût-ce illusion pure, de permettre à la poésie d’avoir le dernier mot :
Alors en se renversant
la boule de verre du monde
répand sur nous sa magie de neige.
Nicole Laurent-Catrice, À peine un souffle, Éditions La Part commune, Rennes, Collection La Part Poétique, 70 p. 11€. Parution : septembre 2024