Franchement, A second chance n’est pas un film pour les gamins ! Non qu’il soit d’une violence particulière, au sens très premier de l’expression, mais il met le spectateur en face de réflexions qui bousculent profondément. Le sens même du bien et du mal prend des contours beaucoup plus flous et nous laisse dans une pénible expectative. Cette interrogation est soutenue par un film bien fichu, rythmé, et qui nous accorde peu de temps pour méditer sur le bien fondé des décisions des protagonistes.
Le synopsis est presque classique dans sa construction. Andréas, flic plutôt bien noté, vit avec Susan, une séduisante jeune femme. Ils ont un enfant, Alexander, et une belle maison au bord de l’eau. Tout pourrait être idyllique, si les premières images ne nous découvraient Susan, à même le sol, en pleurs dans sa salle de bain. Au cours d’une opération, Andréas est confronté à une réalité des plus cruelles, puisque, intervenant dans l’appartement de deux junkies, il trouve, enfermé dans un placard, un bébé, transi, et baignant dans ses propres excréments. L’image est difficile. Le parallèle entre les deux enfants s’établit immédiatement. Les événements se précipitent avec la mort inopinée du petit Alexander, retrouvé sans vie, en pleine nuit, par sa mère, dans son berceau.
Andréas ne se pose pas trop de questions et échafaude un plan aussi terrible que simple: substituer son enfant mort au bébé, lui bien vivant, des deux drogués. À partir de cette décision, c’est la conception même de ce qui est moral ou de ce qui ne l’est pas qui disparaît. C’est une terrible fracture. Retirer à des parents indignes à ce point, la garde d’un innocent pour le « réimplanter » dans un milieu confortable et aimant n’apparaît pas comme un acte frappé d’indignité. C’est pourtant une réflexion à très courte vue. Elle tient peu compte de l’amour que peuvent ressentir des parents aussi inaptes à l’éducation d’un nourrisson. Il est pourtant réel. Andréas dans son rôle de policier est aussi le garant du respect des lois, son acte le sort du cadre qui devrait être le sien, mais pose la question de l’indispensable humanité. Le chaos est installé et chaque spectateur est en situation de se forger sa propre opinion.
Seulement voilà, si les éléments de réflexion nous sont intelligemment distillés par la réalisatrice, elle va nous jouer un bien mauvais tour. La chronologie des événements, qui jusqu’alors engendrait une rassurante prévisibilité, va se voir chamboulée comme dans un jeu de quilles. Il vous faudra aller voir ce film pour le vérifier par vous-mêmes, car en dire trop en abolirait le charme. Le fait est que tout le raisonnement que nous avions bâti s’effondre et que les questions un instant occultées ressurgissent avec plus d’acuité et de violence.
Du côté des acteurs, le résultat est assez satisfaisant. C’est un authentique plaisir de retrouver Nikolaj Coster-Waldau, qui s’est rendu célèbre auprès du grand public, en incarnant dans la série « Game of thrones », le régicide Jame Lannister. Il confirme de remarquables qualités d’acteur et sans doute ne lui manque-t-il qu’un petit coup de chance pour atteindre les cimes du succès dans des productions américaines. Notre regard sera un peu plus mitigé sur le jeu de Susan, son épouse, interprété par Maria Bonnevie, dont quelques outrances semblent incompréhensibles. Leur origine nous sera découverte au cours du film, elles manquent pourtant de subtilité. Du côté des junkies ! Le travail est des plus satisfaisant. Que ce soit Nikolaj lie Kaas, Tristan, ou sa compagne, Lykke May Andersen, Sanne, ils nous jettent au visage des réalités que nous n’avons pas toujours envie de regarder droit dans les yeux. Un rôle plus annexe, et pourtant charnière, celui de Simon, policier à la dérive, binôme de Andréas, est adroitement joué par Ulrich Thomsen (brillant dans la série « Banshee »)
En résumé, un film à voir, mais attention, pas un film qui se laisse apprivoiser facilement. Si la violence n’y est pas physique, des scènes pénibles peuvent en contenir une forme plus pernicieuse, mais pas moins insupportable. Le moment de la substitution des deux enfants, avec l’indispensable changement de vêtements, l’obligation de maculer l’enfant mort et l’abandon auquel doit se livrer son propre père sont des instants terribles. Ils ne sont pas les seuls.
Au sortir de « a second chance », la question que l’on se pose immanquablement est celle de la vraisemblance. De tels événements peuvent-ils se produire ? La réponse se trouve dans la réalité. Écoutez les informations quotidiennement et vous verrez à quel point une erreur que l’on a commise et essayée de dissimuler peut faire entrer dans une spirale infernale dont il est impossible de s’extirper, en ressortent l’horreur et l’incompréhension
C’est ce qui se passe dans « A second chance ».
Film a second chance, Susanne Bier, drame, 2016, 1h42
Nikolaj Coster-Waldau , Maria Bonnevie, Ulrich Thomsen , Nikolaj Lie Kaas
Scénariste : Anders Thomas Jensen, Pays de production : Danemark,Titre original : En chance til
FESTIVALS :
— Toronto International Films Festival 2014
— San Sebastian Films festival 2014
— Festival du film Des Arcs 2014
— Festival du film policier de Beaune 2015 — Prix du jury (mention spéciale pour le scénario)
— Coup de coeur des exploitants — Dinard 2015
Susanne Bier:
Née à Copenhague en 1960, Susanne Bier étudie les arts appliqués à la Bezalet Academy of Arts and Design de Jérusalem, puis l’architecture à Londres, avant d’entrer à l’Ecole Nationale de Cinéma au Danemark. En 1987, son film de fin d’études De saliges remporte le Premier Prix au Festival de Films d’Ecoles de Munich et Channel 4 en acquiert les droits de diffusion. En 1999, avec la comédie romantique The One and Only. Succès public et critique, le long métrage remporte 3 Bodil et 6 Robert, récompenses majeures du cinéma danois, et totalise un million d’entrées au Danemark, figurant parmi les cinq films les plus vus du pays. Devenue une valeur sûre, Susanne Bier s’attèle l’année suivante à la réalisation de Once in a Lifetime (2000) puis de Open hearts (2002). Elle fait une incursion dans le cinéma américain avec Nos souvenirs brûlés, produit par Sam Mendes, où elle dirige Halle Berry et Benicio Del Toro avant de revenir en 2011 dans son pays natal avec Revenge. Cette histoire d’amitié bouleversée par un acte de vengeance lui permet de récolter son premier Oscar, celui du meilleur film étranger. En 2012, elle dirige Pierce Brosnan dans Love is all you need, une coproduction qui remporte l’European Film Award de la meilleure comédie. En 2013, la réalisatrice fait partie du Jury du 63ème Festival International Du Film de Berlin 2013.