Sculpteur d’Histoire(s) est la nouvelle exposition des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine. Jusqu’au 12 janvier 2024, le 17e opus du cycle « Bande dessinée et Histoire » revient sur la vie et l’œuvre d’un personnage breton singulier : l’abbé Fouré, créateur des rochers sculptés de Rothéneuf, près de Saint-Malo. Exceptionnellement, les Archives départementales seront ouvertes dimanche 3 décembre de 14h à 18h pour permettre à tous de découvrir l’exposition.
Sur la côte malouine, non loin de la cité des corsaires, les Rochers de Rothéneuf, œuvre étonnante et mystérieuse de l’abbé Fouré, surplombent encore La Manche. Ils vivent depuis plus d’un siècle en communion avec la terre, l’eau et l’air, mais bien que blessés par le temps et l’érosion, ils demeurent la trace du travail acharné d’un homme isolé et passionné. Mais quelle histoire se cache réellement derrière ces visages sculptés dont le regard, pour certains, se perd dans l’horizon ? Le créateur, dont la vie et l’œuvre sont entourées de mystères et légendes, a attiré l’attention des Archives départementales d’Ille-et-Vilaine qui lui consacre une exposition, Sculpteur d’histoire(s).
« L’œuvre de l’abbé Foueré, peut-être, un jour, s’en ira, rongée par la mer. Le granit deviendra sable et les souvenirs s’éteindront, la vie est ainsi faite. »
F. Daudier et O. Gouix, L’Homme de granit.
Beaucoup d’histoires circulent à son sujet, certaines contemporaines et d’autres déjà racontées de son vivant, certaines des vérités et d’autres des élucubrations. On a dit de lui qu’il était fou, qu’il était sourd et muet, mais qui était réellement Adolphe Julien Foueré né à Saint-Tual en 1839 ? Les archives départementales remonte le fil afin de déconstruire et reconstruire l’histoire d’une vie que le temps à modifier. La vie d’un homme religieux de la fin du XIXe siècle dont l’absence d’écrits fait planer, encore aujourd’hui, autour de lui un certain mystère. Accompagné par la scénographie inspirée des codes de la bande dessinée de Thomas Dellys et des illustrations inédites de l’artiste BIMS, le public découvre l’histoire de cet homme d’église, devenu sculpteur. Les rochers sculptés de Rothéneuf sont les seuls témoins d’une œuvre titanesque, mais l’exposition s’attarde sur ce qu’on ne connaît pas forcément de la personne.
Après une enfance à Saint-Tual, Adolphe Foueré étudie au Petit-Séminaire de Saint-Méen puis au Grand Séminaire de Rennes (aujourd’hui l’université de Rennes 1) à partir de 1858. Comme tout étudiant qui se destine à une carrière de prêtre, il est exempté de service militaire. Il devient « Fouré » en même temps qu’il devient prêtre, en 1863. « Le mystère reste entier sur la raison de ce changement », déclare Élodie Petton, attachée de conservation du patrimoine. « Plusieurs hypothèses sont soulevées, notamment par rapport à son historique familial, des filiations qu’ils l’auraient aimé cacher. » Ou peut-être est-ce à cause de la signification du mot « foueré » en gallo, qui n’était pas vraiment valorisante…
Vicaire puis recteur dans plusieurs paroisses bretonnes, l’abbé Fouré a été baladé de petites chapelles en petites chapelles, et évincé de plusieurs projets. Il est recteur de Maxent depuis seulement 20 mois quand il est contraint de quitter ses fonctions en 1889, alors que la construction de la nouvelle église lui avait été confiée. « Il y a tout un jeu qui va se jouer en sous main dans l’institution de l’église », nous apprend Elodie Petton. « Son successeur à la chapelle de Forges [où L’abbé Fouré fut recteur, ndlr.] va s’attacher à dénoncer les gestions précédentes dont celle de l’abbé Fouré. » Les archives ont mis au jour ces querelles internes qui vont desservir l’homme pour le reste de sa carrière.
Envoyé à Langouët, l’abbé cherche cependant à défendre sa posture en écrivant des lettres à l’institution. Sans succès. Il se retire à Rothéneuf après avoir été démis de ses fonctions en 1894 pour « dureté d’oreilles », « ce qui a été interprété comme étant sourd, et parfois sourd et muet. C’est une information qu’il faut déconstruire, parce qu’il va continuer à officier à Rothéneuf. » Mais, selon l’attachée de conservation, peut-être n’était-il juste plus en accord avec les décisions prises par l’institution : « Je n’entend plus les hommes, mais je saisis le bruit des flots », avait dit l’abbé.
Peu de temps après son arrivée à Rothéneuf, il entreprend la création de ses étranges sculptures dans les rochers de granit. Qui représentent-ils ? Des habitants certainement, mais pas seulement. Son travail commence à la pointe du Christ, son coin préféré. Il puise son inspiration dans la forme des rochers et attire les curieux, le lieu devient un site où les promeneurs viennent découvrir ses travaux. Grâce aux cartes postales, facteur du succès de l’abbé Fouré, on découvre que ses œuvres étaient à l’origine peintes, des couleurs assez vives semble-t-il. Mais aux célèbres rochers l’exposition privilégie son œuvre de bois, moins connue, qu’il réalisait à l’Ermitage, dit de Haute-Folie, dans le bourg de Rothéneuf. Issues de collections privées, deux sculptures totem et un petit buste en bois, ainsi que deux têtes sculptées en pierre révèlent la pluralité de son œuvre.
Jusqu’à sa mort en 1910, l’abbé Fouré réalisera une multitude d’œuvres dont il ne reste que très peu de traces. Toutes portent aujourd’hui la mention “attribué à”, car aucun catalogue de son œuvre n’existe. Son art, qualifié d’insolite et étonnant, reste sans réelle explication. Pourquoi avoir créé ce peuple de pierres et de bois ? « Il a été évincé de plusieurs projets, est-ce qu’il ne s’est pas mis dans la sculpture pour traduire quelque chose ? » Sans cesses déplacé de chapelle en chapelle, peut-être a-t-il voulu construire sa propre église ? Aujourd’hui disparus, beaucoup d’éléments étaient en effet liés à la religion – une petite grotte peinte avec un autel, le tombeau de Saint-Ludoc, etc. -. D’autres été rattachés à l’actualité, notamment à la guerre des Boers en Afrique du Sud, ce qui traduit son intérêt pour ce qu’il se passait dans le monde.
L’œuvre de l’ermite de Rothéneuf n’entre dans aucune classification artistique jusqu’à la naissance de l’art brut avec Georges Dubuffet, dans les années 40. Il est alors rapidement associé au facteur cheval dans la Drôme et son œuvre est rattachée au mouvement. Il n’est plus cet artiste « étrange », « primitif » mais un des précurseurs de l’art brut. Son travail côtoie d’ailleurs le château idéal du facteur cheval dans la série de photos Les Inspirés et leurs demeures de Gilles Ehrmann (années 60) dont certaines sont présentées dans l’exposition. « Le photographe s’est intéressé aux artistes à l’univers que l’on qualifie de singulier, ces personnes qui n’ont pas le parcours classique d’un artiste, qui ne savent presque pas eux-mêmes qu’ils sont artistes. »
Après la disparition du sculpteur en 1910, la légende Les Rochers Sculptés de Rothéneuf publiée en 1948 par Henri Brébion, gérant depuis 1906 du restaurant qui surplombe les rochers sculptés et propriétaire de la parcelle depuis 1923, compliquera la lecture de l’œuvre de l’abbé. « Ce récit, celui de la famille des Rothéneuf composée de « corsaires et pêcheurs contrebandiers », devient la nouvelle histoire des rochers. » Puis, « il fait évoluer le site tout au long de sa vie, mais en comparant avec les cartes postales, mais il y a une modification du site au moment du rachat du site ». Des œuvres disparaissent, notamment tous les insignes religieux, et des têtes apparaissent, attribuées à l’abbé Fouré : « Mais les plus connues ne sont potentiellement pas de lui ou du moins des ajouts postérieurs à sa mort », comme la plus célèbre d’entre elles, reprise par tous les médias.
Loin de vouloir dénoncer ce qui semble ressembler à une arnaque touristique, les archives départementales en partenariat avec l’association Les Amis de l’abbé Fouré, souhaitent seulement rendre visible des archives et interroger la manière dont on façonne une histoire. Sculpteur d’histoire(s) redonne la place qu’il mérite à cet artiste en retraçant son histoire à partir d’éléments concrets. Qui était réellement l’abbé ? Sans écrit laissé de sa part, la lecture de son œuvre et de sa vie demeurera complexe. Mais il n’en reste pas moins que cet homme isolé, peut-être marginal en son temps, a créé une œuvre sincère et surprenante, une des plus belles curiosités de Bretagne qu’on ne se lasse pas de découvrir.
INFORMATIONS PRATIQUES
Exposition Sculpteur d’histoire(s). La vie et l’œuvre de l’abbé Fouré
Archives départementales d’Ille-et-Vilaine (quartier Beauregard)
1 rue Jacques Léonard
35000 Rennes
Du mercredi 13 septembre au vendredi 12 janvier 2024
lundi au vendredi de 8h30 à 17h30
Fermeture le premier lundi de chaque mois et les jours fériés
Entrée libre et gratuite
Programmation culturelle autour de l’exposition
Programme du 3 décembre 2023 : Visites guidées de l’exposition à 14h15 et à 17h15.
Rencontre avec l’artiste BIMS (en résidence en février mars) à 15h. La rencontre sera animée par Arnaud Wassmer et elle sera suivie d’une dédicace avec l’artiste de 16h à 18h