Le Manga est souvent perçu comme un genre de BD vite lu, pour ados ou/et comme pendant écrit des dessins animés japonais. Dessins dont tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité, en particulier avec les productions des studios Ghibli. Mais ce serait oublier des auteurs comme Osamu Tezuka. Ce créateur du Roi Léo, plagié par Disney, proposait en 1983 de revisiter la 2de guerre mondiale à travers Les 3 Adolf.
Edité par Tonkam en version luxe (difficilement trouvable), le récit s’étire en 4 ou 5 volumes et 37 chapitres paru entre 1983 et 1985. Il suit en parallèle le parcours de 3 personnages : Adolf Hitler, ainsi qu’un petit métis germano-japonais et un jeune enfant juif qui avaient l’habitude de se rencontrer au Japon avant le conflit. Tezuka réussit avec intelligence à innerver par une intrigue cette situation : les origines juives d’Hitler. Dans ce dessein, il recourt à une théorie qui s’est échafaudée autour du mystère entourant les racines du Führer.
Né en 1928, Tezuka a aussi connu, comme ses personnages, l’enfance au japon d’avant-guerre, la montée en puissance de la dictature militaire, l’invasion de la Corée, de la Chine. C’est ainsi qu’il contextualise particulièrement bien son récit à travers un journaliste, ancien athlète, qui couvre les jeux de Berlin et se retrouve malgré lui mêlé à une affaire d’espionnage. On aurait volé des documents prouvant qu’Hitler était juif ! Tezuka réussit à retranscrire avec finesse l’atmosphère de l’Allemagne et du Japon de cette époque, la montée des fanatismes, la mainmise des polices politiques, l’utilisation du nationalisme et du désir de revanche. Son dessin est précis, bien mis en scène, avec une vision presque cinématographique des scènes.
Aucun des personnages n’est foncièrement gentil, chacun ayant sa part d’ombre. Une part d’ombre qui fait que les uns basculent ou non dans la violence, la haine, voire l’amour. Car l’amour est omniprésent, créant trahisons et vengeances : amour d’une femme, d’un pays, d’une mère ou d’un père. Le jeune Adolf allemand se retrouve ainsi dans les jeunesses hitlériennes, trahissant son ami d’enfance malgré lui. La Shoah est le sujet central de l’œuvre, mais Tezuka conduit les héros jusqu’à l’après-guerre et la fondation de l’État d’Israël en posant des questions pertinentes. Il ne prend pas plus de gants pour critiquer la politique de son propre pays dans cette période sombre, tout en rappelant la vérité sur Pearl Harbor, mais en épargnant de détailler l’ensemble des paramètres qui conduisirent les militaires au pouvoir. Là n’était pas le sujet central.
À la lecture de cette œuvre, on comprend mieux pourquoi Tezuka est réputé comme l’un des grands maîtres de la bande dessinée, autant au Japon que dans le monde. Son dessin, souvent perçu comme naïf au premier abord, transcende les sentiments des personnages en laisse une grande latitude au mouvement et à la dramaturgie des instants. Un chef-d’œuvre encore méconnu en dehors du cercle des initiés. À découvrir avec fougue.