Pour sa rentrée, l’opéra de Rennes offrait un programme alléchant. En première partie ALEKO, œuvre de jeunesse de Sergueï Rachmaninov, puis IOLANTA de Piotr Ilich Tchaïkovski. Deux œuvres en un acte, lesquelles, en trois heures et cinq minutes, ont convaincu le public rennais.
Aleko est une œuvre surprenante, la tension y est permanente, et si à l’époque les critiques l’avaient trouvée un peu abrupte dans sa chronologie, personne n’a eu l’idée d’en contester la musique. Son histoire est intéressante et a sans doute un peu orienté notre écoute. Rachmaninov, alors âgé de 19 ans, devait pour clore son cycle d’études de composition au conservatoire de Moscou composer un opéra, une symphonie et plusieurs pièces chantées. Élève de Anton Stépanovich Arenski, c’est avec ses compagnons, Nikita Morozov et Léonide Conus, qu’il s’est vu imposer le thème d’Aleko, basé sur une nouvelle de Pouchkine intitulée « Les tziganes ». Le livret en a été écrit par Nemirovitch-Dantchenko, cofondateur du théâtre d’art de Moscou.
Il va sans dire que l’histoire n’a retenu qu’une œuvre sur les trois. Opus de jeunesse, c’est vrai, il ne faut toutefois pas oublier qu’à cette époque Rachmaninov avait déjà à son actif un nombre impressionnant de compositions, dont un premier concerto pour piano et l’ébauche inachevée d’un opéra « Esméralda », basé sur un thème très similaire. La présentation de son œuvre recueillit, de la part de ses examinateurs, un accueil enthousiaste qui lui valut une médaille d’or et la création de son œuvre le 9 mai 1893. Pourtant Rachmaninov n’y croyait guère, « Mon opéra a été accepté au théâtre Bolchoï de Moscou. Pour moi la représentation sera à la foi agréable et désagréable . Agréable, car ce sera une bonne leçon de voir mon opéra sur scène et mes fautes théâtrales. Désagréable, car cet opéra est voué à l’échec. Je dis cela en toute sincérité. Les choses sont ainsi tout simplement. Tous les opéras des jeunes compositeurs connaissent l’échec, et pour la raison suivante : ils contiennent une multitude d’erreurs que l’on ne peut corriger parce qu’aucun de nous ne comprend vraiment la scène ». La suite des événements lui donna tort.
C’est sous la baguette du chef Andrei Galanov que l’orchestre symphonique de Bretagne, les chœurs des opéras de Rennes et Angers-Nantes, les solistes du théâtre de Minsk (Biélorussie) nous ont proposé une interprétation alternativement vigoureuse et apaisée. Elle est cohérente avec la construction de l’œuvre et c’est très rapidement que l’on oublie tous les bavardages sur les prétendues erreurs de jeunesse, tout simplement parce que c’est beau. Une véritable fête. Il est vrai que les solistes de Minsk n’y sont pas pour rien. Les voix sont puissantes, graves et belles comme dans les liturgies orthodoxes. À ce jeu, Vladimir Gromov, dans le rôle d’Aleko, tire avec talent son épingle du jeu. L’orchestre symphonique de Bretagne, placé au-dessus des chanteurs, nous offre une interprétation énergique et brillante. Pour nos deux premiers violons, Anatol Karaev et Nicolaï Tsygankov, cette soirée sous le signe de la Russie éternelle doit avoir un retentissement particulier. Tous nous tiendront sous leur coupe jusqu’aux dernières notes, s’éteignant progressivement dans une émouvante douceur.
Si le propos n’est en aucun cas d’établir des comparaisons, il est juste de reconnaître que le second opéra, Iolanta, est très différent. Tchaïkovski, se basant sur une pièce du dramaturge danois Henryk Hertz « La fille du roi René » nous raconte l’histoire un peu déroutante d’une jeune fille qui ignore qu’elle est aveugle. S’il est difficile de croire qu’une telle chose puisse se produire, la musique et le texte du livret sont si accomplis que l’œuvre se déroule sans que l’on s’en rende compte tant l’ensemble est achevé et cohérent. Les solistes de Minsk y font, cette fois encore, montre de leurs grandes qualités et c’est Iryna Kuchinskaya qui par son interprétation sensible de la jeune Iolanta nous fait tout oublier et nous entraîne dans un monde imaginaire et sombre que, soudain, l’espoir vient éclairer.
Le chœur de 46 exécutants est plus utilisé et apporte une puissance assez habituelle dans la musique russe, mais qui ne manque pas de bousculer une assistance médusée et admirative. Si parfois le niveau sonore atteint des sommets proches de la saturation, l’admiration reste entière et les ovations et autres rappels viendront ponctuer une ouverture de la saison lyrique placée sous le signe du succès.
L’opéra de Rennes, toujours attentif à s’ouvrir à tout public, et dans le cadre de son action culturelle, a permis à 32 élèves des classes de seconde, première et terminale option russe du lycée Chateaubriand, non seulement d’être reçus pour une visite personnalisée de l’opéra l’après-midi, mais encore d’assister à la représentation et d’y rencontrer les chanteurs russes pour d’échanger avec eux dans leur langue maternelle. Belle occasion pour leur professeur, Madame Gorodkoï, de donner à son enseignement une application vivante et motivante. Les quelques élèves interrogés semblaient plutôt satisfaits de cette double expérience.
En conclusion, une saison qui commence sous les meilleurs auspices et qui nous promet, cette année encore, de beaux moments musicaux.