À l’occasion de la fête de la BD en association avec les maisons d’éditions Dargaud, Dupuis et Le Lombard, le dessinateur Alexis Dormal était présent au Forum du Livre pour dédicacer le dernier tome de sa série à succès Pico Bogue. Dans un univers d’aquarelle entre rondeur et douceur, le dessinateur donne vie aux histoires tendres de Pico, un petit garçon malicieux aux grandes idées, entouré de sa famille et de ses amis. Nous l’avons rencontré pour un entretien.
Unidivers – Vous avez créé la série Pico Bogue avec votre mère scénariste, Dominique Roques. Pouvez-vous nous raconter la naissance du projet Pico Bogue ?
Alexis Dormal – Ma mère et moi, nous nous entendons merveilleusement bien, c’est aussi une amie, une sœur. Quand j’étais petit, elle nous a fait découvrir des BD comme Calvin et Hobbes, les dessins de Sempé et puis surtout Mafalda. C’est vraiment une petite fille qui m’a accompagné, avec qui j’ai grandi et je m’en suis nourri. À l’époque, je ne me voyais pas du tout vivre du dessin, j’ai donc fait des études de réalisation en Belgique. Pendant ces trois années, je me suis rendu compte que ça ne me correspondait pas alors j’ai par la suite étudié le dessin à l’école Emile Cohl à Lyon. Pour me mettre le pied à l’étrier, ma mère s’est mise à écrire de son côté. J’ai trouvé dans ses textes tout ce que j’aimais dans son humour, son humanité, son regard sur le monde à la fois doux et piquant sans être mièvre. Elle voulait à la base me pousser à créer un book mais je ne me voyais pas travailler autrement qu’avec elle. En deux ans, nous avons refait une vingtaine de fois l’album pour réussir à trouver toute la grammaire graphique, à créer chaque lettre de l’alphabet qui allait faire Pico. Je rêvais de travailler avec Dargaud, car j’aimais beaucoup leur philosophie d’édition. Nous avons eu la chance que ça se fasse avec eux et que ça fonctionne dès le premier album qui est sorti en 2008.
Unidivers – Comment avez-vous trouvé le personnage de Pico ?
Alexis Dormal – À cette époque, nous travaillions sous le même toit et chacun avait son atelier. Un jour, Dominique était derrière mon épaule lorsque j’ai jeté mon dessin. Elle l’a repêché de la poubelle et quand elle l’a vu, elle m’a dit « mais c’est Pico ça ! ». Nous essayons toujours de travailler dans la spontanéité, mais trouver le look de Pico, le choix des yeux, de le dessiner tout rond, n’était pas un processus naturel ni le fruit du hasard. À la base il était beaucoup plus réaliste et ça ne me plaisait pas. Quand je le dessinais de manière trop cartoon, ça ne me plaisait pas non plus. C’est en refaisant plusieurs fois la bande dessinée qu’il s’est sculpté petit à petit, car c’est aussi un travail de sculpture. La plastique de Pico devait répondre au fait que les histoires de Dominique sont parfois, douces et rondes, parfois ce sont des éclats et des engueulades, alors je voulais des bouches qui soient extensibles au possible pour démontrer les gueulantes. Les cheveux de Pico sont un peu comme un vent de folie sur sa tête, une sorte de feu, dont il n’a même pas conscience.
Unidivers – Qu’est-ce que cela vous a apporté de travailler en famille ?
Alexis Dormal – Nous découvrions tous les deux ce métier et nous l’avons appris ensemble. C’est aussi ce qui fait que je suis aussi heureux de faire ce métier, c’est une belle histoire parce que nous le faisons en famille. Aujourd’hui, nous somme le seul duo mère-fils dans l’univers de la BD. En 2006, ça a été un moment un peu dur de notre vie et le fait de travailler ensemble, ça nous aidé à nous reconstruire. Il y a un vrai échange entre elle et moi : je lui propose de crayonner, je lui donne une idée de texte et vice-versa. Accepter ou même avoir l’envie de remodeler son texte ou son dessin en fonction des réactions spontanées de l’autre, c’est rare. Au début, il y avait des portes qui claquaient et c’est normal. Peu à peu, nous arrivons à anticiper, à comprendre ce qui ne va pas. Parfois, il faut mettre son travail de côté pendant trois jours avant de le reprendre pour avoir le recul qu’un lecteur aurait.
Dominique Roques, scénariste de Pico Bogue. © Dargaud – Rita Scaglia Alexis Dormal, dessinateur de Pico Bogue. © Dargaud – Rita Scaglia
Unidivers – Est-ce que vous glissez votre propre vécu, vos propres expériences, dans les histoires, les personnages, les décors de Pico Bogue ?
Alexis Dormal – L’intérieur au rez-de-chaussée de la maison de Pico, c’était l’endroit où nous avons vécu pendant des années, c’est aussi là où j’ai commencé à dessiner Pico. Aujourd’hui, la maison n’est plus à nous, mais c’est comme si j’essayais de retenir un peu le temps. C’est pour cela que Pico, je ne le vois pas grandir. C’est un peu le souvenir idéalisé de notre vie de famille. C’est aussi autobiographique dans le sens de notre état d’esprit, les sujets qui nous intéresse, nos discussions et aussi nos envies parce que nous aimerions bien avoir l’esprit d’à-propos de Pico. C’est un peu une revanche sur la vie, Pico, c’est l’enfant que nous aurions souvent aimé être.
Unidivers – Votre dernier tome, Inséparables, est sorti au mois de septembre. Quels sujets explore-t-il ?
Alexis Dormal – Nous aimons bien mettre l’accent sur une thématique, car ça nous sert de moteur, d’exhausteur d’humour. L’humour ne doit pas partir de rien, car l’humour est un décalage. Il y avait une histoire qui nous tenait à cœur, c’était de développer l’histoire de Charlie, un des amis de Pico. De la même manière que dans Mafalda, chaque ami est une métaphore d’un trait de caractère chez l’homme, d’une humeur ou d’une conception de la vie. Charlie, c’est un garçon sauvage, indompté et indomptable. Cet enfant essaie d’avoir l’esprit d’à-propos de Pico jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il ne faut pas renier sa propre personnalité, ce qui est naturel chez nous. C’est aussi une façon d’amener des gags que nous n’avions pas encore abordés. C’est amusant de creuser les personnalités et ça nous permet aussi d’en dire plus sur Pico. Nous avons aussi abordé la nature, ce qui n’était pas du tout calculé par rapport à la crise sanitaire et au retour à la terre. C’est vraiment quelque chose qui nous tient à cœur depuis toujours.
Unidivers – Votre technique a-t-elle évolué depuis le début de la création de Pico ?
Alexis Dormal – D’année en année, j’essaie d’apprendre de nouvelles choses. Dans mes dessins, il n’y a pas d’encrage, seulement du crayon noir qui apporte une rugosité, et de l’aquarelle. J’aime l’idée que je travaille à ma table, comme si je travaillais dans un décor naturel, sur le vif. Ce que j’aime avec l’aquarelle, c’est qu’elle peut être contrastée comme le peut être notre caractère en fonction des jours. Ce dernier album, je l’ai trouvé très différent et j’ai pris beaucoup de plaisir à le faire, car il y avait des choses que j’ai réussi à résoudre d’un point de vue technique. Au début, je n’arrivais pas à mettre l’aquarelle directement sur les dessins et maintenant, j’y arrive. Avec le temps, j’ai acquis l’expérience qui me permet de travailler plus spontanément et j’adore ça. J’ai l’impression de redécouvrir mon métier.
Unidivers – Désormais quels sont vos projets pour le futur ?
Alexis Dormal – Nous travaillons sur une nouvelle série L’étymologie avec Pico Bogue dont je termine le troisième tome. Il devrait y en avoir quatre, peut-être cinq, car nous voulons couvrir toutes les choses qui nous semblent passionnantes à partager sur l’origine des mots. À côté de ça, je fais aussi des livres pour Ana Ana, destiné aux plus petits. C’était une idée qui est apparue quatre ans après la création de Pico, de faire des histoires pour enfants à partir de 6 ans. J’aimerais faire quelque chose de totalement différent hors de l’humour, car j’ai d’autres envies graphiques. Les narrations changeront, les décors et les personnages aussi, de la même manière que dans la vie, nous ne sommes pas forcément le soi que l’on était auparavant. C’est intéressant de s’étonner avec quelque chose qui a priori semble immuable. L’idée que l’univers peut prendre des formes que je n’imagine pas encore me plaît, mais je veux que Pico continue à nous accompagner parallèlement. Je l’aime tellement, que j’ai envie que ce soit pour lui. Dans le tome 10, il tient un carnet, et ce carnet pourrait être la possibilité de raconter des choses graphiquement différentes… À suivre.