Le départ d’Anne-Sophie Lapix du Journal de 20h de France 2, annoncé officiellement le 27 mai 2025, marque la fin d’un cycle entamé en 2017. À 52 ans, la journaliste maitrisée, à l’esprit vif et à la parole pertinente, laisse derrière elle huit années d’un exercice marqué par la rigueur, la sobriété et une certaine distance avec les effets de style propres à la mise en scène de l’information.
« Je crois à l’exigence de l’information, pas à sa mise en scène. »
Anne-Sophie Lapix
Une décision attendue mais lourde de sens
L’annonce, bien que pressentie depuis plusieurs semaines, a suscité une vive émotion dans le monde des médias. France Télévisions évoque un départ « en bonne entente » avec la direction de l’information. Mais en coulisse, les discussions ont été plus complexes. La journaliste, longtemps confrontée à des critiques injustes sur son ton jugé trop « froid » ou « distant », a souvent été comparée à ses homologues masculins avec un biais de perception latent. Sa posture journalistique, rigoureuse et factuelle, s’est parfois heurtée à une attente de personnalisation plus prononcée du JT.
Un style à contre-courant de la spectacularisation de l’info
Anne-Sophie Lapix a toujours revendiqué un journalisme de retenue. Ancienne élève de Sciences Po Bordeaux, passée par LCI, M6 et Canal+, elle a longtemps incarné un style classique et sobre qui refuse l’infotainment. À la tête du 20h, elle s’est notamment illustrée par sa gestion des grands rendez-vous électoraux et son traitement analytique des crises – Covid-19, guerre en Ukraine, crise énergétique – sans céder au sensationnalisme.
Sa direction éditoriale a été celle de la densité plus que du clinquant. En 2022, son interview présidentielle conjointe avec Gilles Bouleau, face à Emmanuel Macron, avait été saluée pour sa tenue rigoureuse. Si certains y ont vu un manque de pugnacité, d’autres ont souligné sa capacité à être précise et piquante quand nécessaire, évitant les effets de manche au profit d’un questionnement affûté. Elle savait installer une tension feutrée dans l’entretien, sans jamais céder à la posture de confrontation gratuite. Ce qui demande du talent autant que de la conviction.
Un poste hautement symbolique en pleine recomposition
Le fauteuil du 20h de France 2 est plus qu’un poste de journaliste. Il incarne une mission de service public à haute visibilité, avec une pression d’audience constante. Depuis le départ de David Pujadas en 2017, remplacé dans un contexte controversé, la rédaction avait misé sur Lapix pour incarner une transition vers un journalisme plus apaisé. Mais devant la montée des chaînes d’info en continu, à la concurrence des réseaux sociaux et à la fragmentation du public, les arbitrages éditoriaux sont devenus plus délicats.
Son départ coïncide avec une recomposition plus large du paysage audiovisuel public. À l’heure où France Télévisions prépare sa fusion partielle avec Radio France sous la bannière « France Médias », la succession de Lapix sera éminemment stratégique. La journaliste basque Carole Gaessler est pressentie pour lui succéder, selon La République des Pyrénées, dans une logique de continuité du sérieux et de l’ancrage régional. Saura-t-elle être à son tour incisive quand la défense de l’information politique transparente et d’un réel pluralisme médiatique (de plus en plus chahuté par les réorientations de la Direction des Médias) le réclamera ?
Quelle suite pour Anne-Sophie Lapix ?
Anne-Sophie Lapix ne quitte pas France Télévisions, du moins pas immédiatement. Des projets de magazines ou de formats longs sont évoqués, notamment sur France 5 ou dans une optique documentaire. Elle pourrait également se consacrer à l’écriture ou à l’enseignement, deux pistes qui lui ont été proposées à plusieurs reprises. Sa discrétion habituelle laisse ouverte une transition réfléchie, loin des effets d’annonce.
Une page se tourne
Le départ d’Anne-Sophie Lapix interroge sur ce qu’on attend aujourd’hui d’un présentateur ou d’une présentatrice du 20h : doit-il incarner la nation, comme jadis Pujadas ou Poivre d’Arvor, ou se faire l’écho discret d’une information sobre et vérifiée (et au service de la communication gouvernementale) ? En ce sens, Lapix a tenu une ligne de crête, ni charismatique au sens classique, ni invisible. Elle a tenu bon dans une période d’accélération brutale de l’information, sans céder à la tentation du spectaculaire. Chapeau !
Elle laissera à sa succession un journal stable, mais à réinventer pour séduire une génération de téléspectateurs qui s’éloigne chaque année un peu plus de la grand-messe du 20h. L’histoire dira si son passage aura été une transition ou une inflexion durable.
Profil express
- Nom complet : Anne-Sophie Lapix
- Date de naissance : 29 avril 1972
- Origine : Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques)
- Formation : Sciences Po Bordeaux
- Employeurs : Bloomberg, LCI, M6, Canal+, France 5, France 2
- Spécialité : Journalisme politique, présentation du JT
- Distinction : Prix Philippe Caloni de la meilleure intervieweuse (2012)
- Engagements : Défense d’un journalisme factuel, sans sensationnalisme
Les grandes dates de la carrière d’Anne-Sophie Lapix
- 1996 : Diplômée de Sciences Po Bordeaux, elle débute à Bloomberg puis LCI.
- 2006 : Elle co-anime « Zone Interdite » sur M6 aux côtés de Bernard de la Villardière.
- 2008 : Présentatrice du journal de 13h sur Canal+ puis chroniqueuse dans « Dimanche + ».
- 2013 : Rejoint France 5 pour succéder à Alessandra Sublet à la tête de « C à vous ».
- 2017 : Remplace David Pujadas au 20h de France 2. Son arrivée est saluée mais aussi controversée.
- 2022 : Interviewe Emmanuel Macron avec Gilles Bouleau avant le second tour de la présidentielle.
- 2025 : Annonce son départ du 20h de France 2, effectif à la mi-juillet.
