Du 7 juin au 7 septembre 2025, la Collégiale Saint-Pierre-la-Cour du Mans se mue en sanctuaire de l’art urbain. Dans le cadre du festival Plein Champ, l’exposition gratuite « L’art dans la rue, 60 ans d’art urbain » retrace six décennies de créations insurgées, engagées, parfois poétiques, souvent politiques, toujours saisissantes. Conçue par Nicolas Laugero Lasserre – éminent commissaire, collectionneur et directeur artistique de Fluctuart – et soutenue par Lefranc Bourgeois, cette exposition exceptionnelle convoque trente figures majeures du street art mondial, de Banksy à Miss Tic, de JR à Invader, de Shepard Fairey à Ernest Pignon-Ernest.
Une histoire de la rue comme territoire d’expression
L’exposition s’articule autour d’un fil narratif aussi didactique que sensible : l’histoire de l’art urbain, de ses pionniers des années 1960 à ses formes contemporaines les plus hybrides. Depuis les affiches lacérées de Jacques Villeglé jusqu’aux mosaïques pixelisées d’Invader, en passant par les silhouettes évanescentes de Jef Aérosol ou les aphorismes féminins de Miss Tic, chaque œuvre est replacée dans un continuum de lutte symbolique, d’ironie politique ou de quête existentielle.
Il s’agit ici de faire dialoguer l’œuvre in situ avec l’œuvre d’atelier, le cri des murs avec la trace durable, le geste éphémère avec la mémoire plastique. Cette dualité entre l’art de rue et la production artistique en galerie est explorée à travers des pièces rares, parfois inédites, qui mettent en lumière la complexité et la pluralité de cette scène créative devenue, selon le mot même du dossier de presse, « le plus grand mouvement artistique du XXIe siècle ».
Un lieu sacré pour un art subversif
L’image est saisissante : Banksy, JR, Obey, Miss Tic, Seth ou Invader, ces figures mondialement célèbres de l’art urbain, investissent les voûtes gothiques d’un ancien édifice religieux du XIIIe siècle. La pierre millénaire accueille ici les coulures, les pochoirs et les collages du plus grand mouvement artistique contemporain. À l’instar des fresques du Moyen Âge, les murs deviennent surface d’élévation — mais cette fois au service de la révolte, de la poésie ou de la dérision.
Ce choc esthétique entre sacralité patrimoniale et subversion populaire donne à l’exposition une portée symbolique puissante : l’art urbain n’est plus relégué à la marge. Il entre ici par la grande porte du patrimoine, sans rien perdre de son tranchant.
Un panorama inédit de la création urbaine
Commissariée par Nicolas Laugero Lasserre et portée par Plein Champ avec le mécénat de Lefranc Bourgeois, L’art dans la rue – 60 ans d’art urbain rassemble 30 artistes majeurs de la scène internationale. Cette exposition gratuite déploie un parcours dense et immersif, des racines du graffiti new-yorkais à ses expressions les plus contemporaines — numériques, participatives, hybrides.
Banksy, maître de l’ironie visuelle, y côtoie Shepard Fairey (Obey) et son iconique Hope de Barack Obama ; JR et ses visages monumentaux ancrés dans l’humanité ; Miss Tic, pionnière poétique de la scène parisienne ; Invader, avec ses mosaïques pixelisées devenues planétaires ; ou encore Ernest Pignon-Ernest, Speedy Graphito, Zlotykamien, Brusk, Dran, Jef Aérosol, Madame, Roa, Swoon, Tania Mouraud, Clet, MonkeyBird, Bault, Mosko, VLP, Zevs… Tous réinventent les murs, les codes, et parfois le regard.







Des œuvres puissantes, des artistes à contre-courant
La sélection opérée est à la fois savante et percutante. On y retrouve le cynisme visuel de Banksy, l’engagement écologique de Swoon, la poésie brutale de Brusk, la géométrie réplicative d’Ërell, ou encore l’ironie sémantique de RERO. Les œuvres ne sont pas là pour plaire : elles sont là pour heurter, interroger, fissurer les habitudes visuelles.
Certaines sont devenues iconiques, comme le « Crayon » de Brusk, hommage poignant aux victimes de Charlie Hebdo, ou encore les invraisemblables collages anamorphiques de JR, qui troublent notre perception des lieux publics. D’autres puisent dans l’intimité : les figures d’enfants sans visage de Seth, les maximes ironiques de Madame, les chimères urbaines de Kraken.
C’est toute une humanité fragile, résistante, marginale, qui s’exprime sur bois, sur toile ou sur panneaux de signalisation – une humanité que la ville tente souvent d’étouffer, et que l’art urbain exhume.
Une exposition dans une collégiale : le choc des sacralités
L’un des paris esthétiques les plus forts de cette exposition réside dans son lieu même. Faire résonner l’art de la rue – historiquement transgressif, parfois clandestin – avec les voûtes gothiques de la Collégiale Saint-Pierre-la-Cour est un geste fort. Le sacré y prend d’autres visages : celui des icônes urbaines, des slogans détournés, des silhouettes fantômes.
Dans ce contexte, les œuvres acquièrent une solennité nouvelle. Le silence de la pierre accentue la violence feutrée des collages, la douceur menaçante des pochoirs, la densité symbolique des installations. Ce déplacement spatial – de la rue vers le sanctuaire – interroge nos modes de réception artistique et rappelle que la rue aussi peut être un lieu de mémoire et de rituel.
Une exposition pédagogique, engagée, gratuite
L’exposition se veut accessible, dans tous les sens du terme. Gratuite pour le public, pensée dans une optique de médiation, elle présente des cartels clairs, un parcours explicatif, et des points d’entrée multiples : esthétique, politique, historique ou émotionnel.
Elle est aussi l’illustration d’une pédagogie par l’art. Ici, la rue n’est pas un simple décor mais un espace de dialogue, un laboratoire social. Elle devient, par l’intermédiaire de ces œuvres, une interface entre le citoyen et le monde, entre l’individu et le collectif.
L’art urbain : dernier bastion de la subversion esthétique ?
En cette ère d’hyper-muséalisation, où le street art est parfois absorbé par les logiques de marché qu’il dénonçait, l’exposition rappelle que l’essence de ce mouvement réside dans la tension. Tension entre visible et invisible, entre éphémère et archive, entre protestation et institutionnalisation.
En accueillant les œuvres de ceux qui, naguère, agissaient dans l’ombre ou la marginalité, la ville du Mans – par le biais de Plein Champ – signe un pacte : reconnaître dans l’art urbain un miroir du présent. Un miroir souvent déformant, parfois rugueux, mais indispensable.
« L’art dans la rue, 60 ans d’art urbain » est bien plus qu’une rétrospective. C’est une tentative de cartographier le tumulte d’un monde en mutation, à travers les gestes dissidents de ses artistes. Une exposition coup-de-poing, mais aussi coup de cœur, à voir absolument cet été au Mans.
Pourquoi faut-il voir cette exposition ?
- Parce qu’elle offre le premier panorama muséal complet du street art, de 1965 à 2025
- Parce qu’on y voit des œuvres rarement visibles en galerie ou en musée
- Parce qu’elle est gratuite tout l’été 2025
- Parce qu’elle transforme un monument historique en manifeste visuel
- Parce qu’elle propose une expérience accessible et inoubliable, à la croisée de l’histoire de l’art et de la culture populaire
- Parce qu’elle est, tout simplement, l’un des grands événements culturels de l’année en France
Un manifeste d’époque
À l’heure où les murs s’uniformisent, où les villes sont domptées par les algorithmes, cette exposition rappelle que peindre dans la rue reste un acte fondamentalement libre. Elle fait résonner, dans l’ombre des vitraux, les cris d’encre, les silhouettes sans visage, les slogans détournés. Elle parle du monde tel qu’il est — et tel qu’on voudrait qu’il soit. En 2025, Le Mans devient la capitale française de l’art urbain. Mais au fond, c’est peut-être le monde entier qui, à travers ces œuvres, se donne rendez-vous au pied des voûtes.
Informations pratiques
- Dates : du 7 juin au 7 septembre 2025
- Lieu : Collégiale Saint-Pierre-la-Cour, Rue des Fossés-Saint-Pierre, 72000 Le Mans
- Entrée : gratuite
- Commissariat : Nicolas Laugero Lasserre
- Production : Plein Champ, avec le mécénat de Lefranc Bourgeois

