Sous la direction d’Olivier Levasseur et grâce aux contributions éclairées de Daniel Le Couédic, Bernard Jules Verlingue et Yves Brand’honneur, Art déco – Modernités bretonnes propose une traversée érudite et sensible des modernités qui ont transformé la Bretagne entre 1910 et 1940.
L’intention des auteurs est de produire un livre qui déplace le regard, qui renverse les idées préconçues – notamment celle d’une Bretagne figée dans un pittoresque hors du temps. Ici, au contraire, la Bretagne apparaît comme un laboratoire du XXᵉ siècle, un espace où se croisent réinvention stylistique, affirmation identitaire, dynamisme associatif et audaces architecturales.
L’un des apports précieux de l’ouvrage est de montrer que l’Art déco breton n’a rien d’un simple écho provincial du mouvement parisien. Les pages introductives retracent la constitution progressive d’un écosystème artistique complet, fait de comités d’arts appliqués, d’écoles des beaux-arts, de sociétés artistiques et d’un dense réseau de galeries locales. Ce maillage, patiemment reconstitué à partir des archives montre comment un terreau favorable s’est formé dès les années 1910 pour accueillir une vague de création ambitieuse.
Ainsi, la naissance d’un Art déco breton n’est pas un phénomène spontané. Elle est le fruit d’efforts concertés, de pédagogies renouvelées, de militants du régionalisme artistique, mais aussi – et c’est essentiel – d’un dialogue permanent avec Paris. Les artistes circulent, exposent, enseignent, expérimentent. La modernité bretonne se joue simultanément au cœur de Montparnasse et dans les ateliers de Rennes, Quimper ou Brest.
Olivier Levasseur montre que la Bretagne de l’entre-deux-guerres est traversée par plusieurs modernités, qui coexistent sans jamais s’uniformiser. On y trouve :
- des courants inspirés d’un héritage celto-breton rêvé, parfois fantasmé ;
- des tentatives de renouveau artisanal radical – certaines fulgurantes, d’autres vouées à l’échec ;
- l’impact massif des tendances européennes : géométrie, stylisation, goût pour les matières nouvelles ;
- une revendication identitaire qui peut être régionaliste, autonomiste ou simplement attachée à la singularité locale.
Devant cette mosaïque, l’ouvrage ne cherche pas à trancher mais à embrasser la complexité. Il montre combien la Bretagne fut traversée de forces contradictoires alliant tradition et modernité, imaginaire celtique et influences étrangères, artisanat local et culture urbaine mondialisée.
Ar Seiz Breur, l’épicentre
Difficile de parler de modernité bretonne sans évoquer Ar Seiz Breur. L’ouvrage leur consacre de nombreuses pages – et pour cause : ce collectif fondé en 1923 bouleverse tout. Leur devise – breton, moderne et populaire – devient le manifeste d’une génération. On retrouve dans ces pages des figures cardinales :
- Jeanne Malivel, fondatrice trop tôt disparue, dont les bois gravés et les recherches décoratives irriguent tout le mouvement ;
- René-Yves Creston, esprit fulgurant, à la croisée du design, de l’ethnographie et des arts graphiques ;
- Mathurin Méheut, dont la virtuosité graphique impose une Bretagne éclatante, minérale, rythmée.
Là encore, les auteurs ne cèdent pas à la hagiographie : ils montrent les tensions, les divergences, les ambitions parfois contradictoires qui parcourent le groupe.
L’une des forces de l’ouvrage est sa structure thématique qui permet d’aborder toutes les dimensions de la création Art déco en Bretagne.
Daniel Le Couédic, spécialiste majeur de l’architecture régionale, signe un chapitre puissant sur les bâtiments Art déco qui ont marqué le territoire : villas balnéaires, édifices publics, immeubles urbains ou ensembles religieux. Il montre comment l’architecture bretonne concilie matériaux locaux, géométries modernes et adaptation au paysage.
Yves Brand’honneur explore avec précision l’évolution du mobilier breton, de la tradition néo-bretonne au style modernisé des années 1930. Il montre l’importance des menuisiers, ateliers, expositions, et le rôle essentiel des commanditaires militants.
Bernard Jules Verlingue met en lumière la transition subtile – mais réelle – qui voit la faïence traditionnelle s’ouvrir à des motifs stylisés, à l’influence des arts graphiques modernes, sans jamais rompre totalement avec ses fondamentaux.
Enfin, un chapitre entier retrace l’importance des salons, foires et expositions, où la Bretagne cherche à se montrer, à convaincre, à se vendre – parfois avec une spectacularité inédite.
Art déco – Modernités bretonnes est à la fois un livre ressource, un voyage visuel et une enquête passionnée sur l’invention d’une modernité enracinée. L’ensemble donne un beau livre, au sens fort. Un livre qui donne envie de parcourir la Bretagne autrement, de lever les yeux, de pousser les portes des gares, des églises, des villas, des ateliers.
Fiche technique de l’ouvrage
Titre : Art déco. Modernités bretonnes
Auteur : Olivier Levasseur
Contributeurs : Daniel Le Couédic, Bernard Jules Verlingue, Yves Brand’honneur
Éditeur : Locus Solus éditions
Lieu d’édition : Châteaulin
Année de parution : décembre 2025
Nombre de pages : 192 p
ISBN : 978-2-36833-583-3
Tarif : 35€