Art Rock, le festival de musique et d’arts de Saint-Brieuc (Côtes d’Armor), est de retour pour sa 41e édition du 17 au 19 mai 2024. Au programme : The Libertines, Étienne Daho, Hoshi, Eddy de Pretto, Olivia Ruiz et des artistes émergents comme Yamé, Sam Quealy ou le groupe Deki Alem. Le festival promet cette année encore son lot de surprises entre spectacles, sport, gastronomie et bien sûr, musique.
Dans l’entretien qu’Alice Boinet a accordé à Unidivers, la programmatrice du festival depuis huit ans revient entre autres sur l’ADN du festival, la carte blanche d’Étienne Daho, tête d’affiche du festival qui a programmé la journée du dimanche, ses artistes émergents coups de cœur, ses ambitions de créer une programmation intergénérationnelle.
Unidivers – Selon vous, qu’est ce qui fait l’essence du festival Art Rock ?
Alice Boinet – Art Rock a deux spécificités principales. La première est que le festival se passe dans le centre-ville de Saint-Brieuc, dans une dizaine de lieux. Il faut donc s’adapter à l’architecture de la ville et s’intégrer au quotidien des habitants briochins et briochines, en y intégrant un festival qui draine 80 000 personnes sur trois jours. La seconde est la pluridisciplinarité de nos propositions. Nous intégrons différents genres artistiques dans notre programmation, de la musique évidemment, mais aussi des expositions d’art contemporain, de la danse, du théâtre, de l’art de rue, de la gastronomie et des projections. Il ne s’agit pas uniquement de programmer tous ces arts, mais aussi de créer des passerelles entre eux. Nous croisons par exemple la musique et la danse ou la musique et la gastronomie. L’idée est de faire du lien entre des publics et des artistes qui ne se croisent pas forcément dans d’autres festivals.
Unidivers – Effectivement, c’est rare de voir un festival en centre-ville, quelles en sont les contraintes ?
Alice Boinet – Il n’y a que des contraintes et c’est ce qui nous éclate. On ne doit pas trop déranger le quotidien des habitants, mais on veut quand même apporter un peu de magie dans la ville. Nos deux plus grandes scènes sont installées sur deux places centrales de Saint-Brieuc, elles abritent des habitations, une cathédrale, la mairie et la préfecture. Des bâtiments qui seront toujours là, qu’on ne peut pas repousser le temps d’un festival (rires). Ça limite la jauge sur ces espaces, on ne peut accueillir plus de 11 000 spectateurs. Il faut s’adapter à des horaires aussi, s’il y a des gens qui se marient ou qui veulent aller à la messe, il ne faut pas qu’ils entendent les balances d’un groupe de gros rock, ça ferait tache (rires).
Unidivers – L’édition précédente était une édition anniversaire, les 40 ans, comment restez-vous en place après autant de temps ?
Alice Boinet – Oui, c’est le second festival de musique en Bretagne [en termes d’ancienneté] : il y a eu les Trans musicales en 1979 et Art Rock est arrivé en 1983. On tire toujours notre épingle du jeu par rapport aux deux spécificités dont je parlais. En réalité, Art Rock est inimitable, dans les années 80-90, il nous a été proposé d’exporter le festival dans d’autres villes, chose que nous avons toujours refusé parce que je crois qu’Art Rock est intrinsèquement lié à la ville de Saint-Brieuc, ses habitants et habitantes.
Unidivers – Quelle est la spécificité de la programmation de cette année ?
Alice Boinet – On propose souvent des cartes blanches à des artistes ou des entités artistiques, on les cadre un peu, mais globalement, on leur demande de faire notre métier et de programmer un temps du festival. Cette année, ce sera la carte blanche d’Étienne Daho, on a la chance d’avoir un festival suffisamment original pour proposer à des artistes de venir faire un concert, mais pas uniquement. Daho nous a fait confiance et a pris les rênes de la programmation du dimanche 19 mai. Je trouve que ce format se situe entre le concert et l’interview, parce qu’à travers la construction d’une programmation, on dit aussi un peu de soi. Les artistes qu’Étienne Daho a voulu inviter nous montre des traits différents de sa personnalité. On retrouve son côté pop qu’on connaît, avec des artistes sur la scène B comme Eddy de Pretto, Flavien Berger, Frànçois & The Atlas Mountains ou Modoïd. Au forum, Daho nous fait découvrir son côté plus rock avec des groupes qui ont des esthétiques punk et expérimentales. On retrouvera l’électro punk de Moïse Turizer et le rock de Batterie faible et Fotomatic.
Étienne Daho a aussi voulu faire un clin d’œil à Rennes des années 80, une ville qui l’a découvert et porté. Il invite trois groupes mythiques de ces années-là avec la soirée gratuite « Rennes is still rocking ». Ce sera une soirée concert au village [QG du festival, place de la poste] avec Complot, Les Nus et Frakture, des groupes qui ont contribué à la mythique scène rennaise des années 80 et qui, je crois, ont aussi contribué à former la légende Daho.
Sa carte blanche permet aussi de montrer l’intérêt d’Étienne Daho pour différentes formes d’art. Il a souhaité s’imprégner de l’ADN d’Art Rock et proposer une programmation pluridisciplinaire. Il propose deux expositions de photographes qui ont marqué sa carrière. Le premier est Antoine Giacomoni, un artiste portraitiste corse, il a signé la pochette de son premier album. Le second est Richard Dumas, un portraitiste qui a également signé certaines de ses pochettes, il est d’origine parisienne et est installé à Rennes. Ils se connaissent depuis toujours, il était aussi le guitariste de son premier groupe.
Unidivers – Il y aura aussi des projections de films dans sa carte blanche, qu’est-ce que ces choix nous disent de l’artiste ?
Alice Boinet – Oui, Étienne Daho est fan de cinéma, il a programmé trois films au petit théâtre de la Passerelle [Scène nationale de Saint-Brieuc], un théâtre à l’italienne qui est pour moi le plus bel endroit de la ville. Daho a choisi trois films, Notre paradis et New wave de Gaël Morel, qui seront précédés du court métrage Appartement 643 d’Antoine Carlier. Les films de Gaël Morel sont assez différents l’un de l’autre, mais ils nous permettent de comprendre certains aspects de la personnalité d’Étienne Daho : Notre paradis aborde le sujet de la prostitution masculine au Bois de Boulogne qui se transforme en une folle histoire d’amour tandis que New wave explore plutôt les troubles de l’adolescence, les émois et les doutes sur l’identité que l’on peut avoir à cette période. Le film court d’Antoine Carlier fait vraiment penser à du David Lynch, il parle de double personnalité, la musique est très importante dans ce film. Les trois projections sont gratuites.
Unidivers – Une grande partie de la programmation est dédiée aux artistes émergents, voire nouveaux, vous vous consacrez beaucoup à la découverte d’artistes ?
Alice Boinet – Oui, je trouve ça très important de soutenir des artistes dès le début de leur carrière, même quand ils ne sont pas encore tout à fait professionnels. On a la chance avec Art Rock de pouvoir faire rayonner une programmation variée. Même les gens qui ne viennent pas au festival en entendent parler par le biais de nos éléments de communication qui se retrouvent dans plein de villes, le métro parisien, les gares de Rennes, de Brest, etc. On en parle aussi à travers les médias comme avec cette interview par exemple. On met en valeur des artistes qui en ont besoin, qui n’ont pas encore tout à fait trouvé leur public.
C’est aussi une manière de valider des artistes pour le futur, on mise eux, on leur fait confiance et on les pousse à se faire découvrir. Je pense à Clara Luciani quand elle est venue la première fois à Art Rock. Elle a joué sur la scène B, c’était l’un de ses premiers grands festivals donc elle était stressée. Je lui ai dit de se faire confiance, qu’elle était géniale et que les gens allaient l’adorer. Deux ans plus tard, je l’ai réinvitée sur la grande scène, en tête d’affiche. Je trouve important de continuer d’écrire une histoire. Cette année, c’est un scénario similaire pour Zaho de Sagazan, elle était là l’année dernière sur la scène B et je la réinvite en 2024 sur la scène principale. Elle a trouvé son public et je trouve super d’avoir participé à sa mise en lumière.
Unidivers – Quelles sont vos découvertes marquantes dans la programmation de cette année ?
Alice Boinet – J’adore Sam Quealy, une jeune artiste d’origine australienne, installée à Paris. Elle mélange la pop au sens le plus pur du terme, elle fait penser à Madonna, à Britney Spears et à Prince aussi. Elle y ajoute des rythmiques beaucoup plus techno. C’est un show très queer, elle est entourée de trois danseurs magnifiques, elle l’est aussi. Son album est coécrit et corproduit par Marlon Magnée du groupe La Femme. C’est une artiste très intéressante et je mise beaucoup sur elle.
Il y a aussi Deki Alem, deux frères jumeaux d’origine suédoise installés en Angleterre. J’ai toujours du mal à les décrire, ils mélangent tellement de genres. Du post punk, de l’électro, du rap, de la house, c’est une musique très riche. Ils chantent tous les deux et ils sont accompagnés d’un batteur. Ils font partie de mes coups de cœur. J’aime beaucoup aussi Ditter, c’est un groupe de la banlieue parisienne qui nous propose un mélange entre une énergie punk, beaucoup d’humour et un côté très pop.
La plupart des artistes coups de cœur vont se retrouver au forum [La Passerelle], qui est un peu notre format club de 23h à 3h. Quand je dis club, je ne pense pas aux clubs électroniques auxquels on peut penser maintenant, mais plus à la tradition des clubs de rock anglais. La salle accueille 1000 spectateurs, il fait toujours très chaud et il y a une énergie où on va très rapidement faire des pogos, des slams, une relation va se créer très rapidement entre l’artiste et son public.
Unidivers – Il y a aussi de très gros noms dans votre programmation, Étienne Daho bien sûr, mais aussi Hoshi, Eddy de Pretto, The Libertines… Ces noms visent plusieurs générations, c’est voulu ?
Alice Boinet – Oui complètement, j’aime qu’Art Rock traverse les générations. Je trouve super que des gens qui avaient 20 ans en 1983 à la création du festival s’y retrouvent toujours. Et j’espère qu’en chemin ils ont ramené leurs petits frères et sœurs puis leurs enfants. Ça fait vraiment partie de ce que j’adore dans ce festival – et je pense que ça vient aussi du fait que ce soit en centre-ville – on y voit des familles entières, du grand-père jusqu’à la petite-fille. C’est aussi quelque chose que les artistes remarquent quand ils viennent, c’était le cas d’Izïa l’année dernière, on en avait parlé.
Ça fait aussi partie de l’ADN d’Art Rock alors c’est un équilibre à trouver en termes de programmation. Il y a des artistes qui vont toucher un public plus jeune comme Favé, Hoshi ou Eddy de Pretto et il y a aussi ceux mythiques dans l’histoire d’Art Rock comme Morcheeba, Olivia Ruiz et The Libertines. Puis il y a des artistes qui touchent plusieurs générations, je pense notamment à Zaho de Sagazan, Yamê ou Luidji qui sont pour moi des artistes qui peuvent toucher autant une femme de 60 ans qu’un jeune garçon de 13 ans.
Unidivers – Un spectacle, Black Lights de Mathilde Monnier, un spectacle mi-théâtre, mi-danse qui traite des violences faites aux femmes est également programmé. Pouvez-vous m’en parler ?
Alice Boinet – Mathilde Monnier est une grande chorégraphe française qu’on avait accueilli à Art Rock avec un précédent spectacle, Public, aux environs de 2005. On l’avait programmé dans un parc de Saint-Brieuc en extérieur. J’avais environ 12 ans et je me souviens très bien d’être allée voir ce spectacle et de me dire que c’était possible de proposer quelque chose d’hyper rock dans un spectacle de danse contemporaine. J’ai ensuite toujours suivi son parcours.
Je suis allé voir Black lights au Théâtre de la cité internationale de Paris. J’en suis ressortie bouleversée, à la fois émue, énervée, révoltée et subjuguée par la beauté. Cette pièce n’est pas simple parce qu’elle aborde le sujet des violences faites aux femmes sous toutes ses formes, du mec qui siffle au patron qui reproche à une de ses employées de mettre des chaussures plates plutôt que des talons en passant par la violence conjugale. On a un panel de toutes les violences qui s’exercent auprès des personnes qui se reconnaissent comme femmes. C’est selon moi un spectacle profondément nécessaire à voir. Je l’ai trouvé sublime, il y a huit interprètes – certaines sont danseuses, d’autres comédiennes et d’autres plutôt chanteuses – et elles vont scander, danser, nous dire ce qu’est d’être une femme en 2024 avec une force et une beauté que j’ai trouvé incomparable cette année. C’est très dur de faire des choix de programmation, mais c’est le premier spectacle que j’avais envie de défendre, que je trouvais nécessaire de montrer au public d’Art Rock.
Le spectacle est inspiré d’une série Arte qui s’appelle h24, dont le principe était de demander à des écrivaines internationales d’écrire des textes qui sont joués par des comédiennes dans la série. Il y a des autrices très différentes. Les réalisatrices et créatrices ont publiquement dit qu’elles souhaitaient que toute personne puisse s’imprégner de ces textes d’écrivaines et en fasse ce qu’elle souhaite. C’est ce que Mathilde Monnier a fait, elle a repris les textes de cette série et les a mis en mouvement et en corps.
Unidivers – En parallèle de tous ces concerts et spectacles, vous proposez aussi un vélo parade et un cours de Yoga gratuit, c’est original pour un festival dit de musique. D’où est venue l’idée ?
Alice Boinet – J’aime bien qu’un festival soit une espèce de moment hors du temps, hors de la vie quotidienne mais à la fois qu’on y prenne soin de soi. Parfois après une soirée avec ou sans abus quand on a regardé des concerts de midi à 3h du matin, on est crevé le lendemain et c’est cool de se retrouver, se relaxer, de faire un cours de yoga gratuit dans un parc. Pour le vélo parade je trouvais intéressant de mettre en lumière une association de défense du vélo à Saint-Brieuc [association Vélo Utile] de manière un peu décalée et artistique. On propose alors un DJ set qui accompagne la parade.
Unidivers – Rock’n Toques sera de nouveau partenaire du festival pour la nourriture du village. Vous promettez pour cette quinzième année des surprises, notamment, un plat préparé avec Hoshi le samedi soir. C’était important de marquer le coup pour cette quinzième année de partenariat ?
Alice Boinet – Le village est le centre névralgique du festival. C’est là où on va chercher son bracelet, où on peut poser des questions. Au milieu de ça, un collectif d’une vingtaine de chefs, dont trois étoilés de la région, proposent de la gastronomie, des mets travaillés avec des produits locaux pensés par des chefs hypers qualifiés à des prix street-food et abordables. On essaie aussi de créer des passerelles avec d’autres genres de la programmation. Je considère vraiment la gastronomie comme un genre artistique à part entière. Je créer des liens entre des musiciens et des chefs. Cette année, la chanteuse Hoshi fera une collaboration avec le chef étoilé Nicolas Adam. Ça fait deux mois qu’ils sont en lien et qu’ils échangent à la fois sur ses goûts et ce qu’elle a envie de créer. De son côté, il essaye de mettre ses envies en mouvement et de lui donner d’autres idées et inspirations. On le fait chaque année et à chaque fois ça marche super bien. C’est une autre manière de percevoir les artistes aussi de comprendre ce qu’ils aiment manger. L’année dernière, c’était Benjamin Biolay.
Unidivers – Pouvez-vous me parler d’un autre événement du festival dont on n’a pas encore parlé ?
Alice Boinet – Bien sûr. Il y aura notamment une exposition gratuite au musée d’Art et d’Histoire de Saint-Brieuc qui se tiendra du 14 au 26 mai 2024. C’est une exposition sur la mythologie grecque et l’art antique qui se retrouve dans l’art contemporain. L’art antique et la mythologie grecque ont inspiré des générations entières d’artistes au travers des siècles. Je pense notamment aux films Marvel ou à Harry Potter qui reprennent des éléments de la mythologie. Je trouvais intéressant d’inviter des artistes à réfléchir sur cette thématique et de voir comment ils pouvaient décliner cette histoire en 2024.
INFOS PRATIQUES
Art Rock
17 au 19 mai 2024
Saint-Brieuc 22000 (Bretagne)
Hébergement, le festival étant en centre-ville, il faut se tourner vers le camping de la ville, les hôtels ou les Airbnb
Des navettes de nuit gratuites sont proposées à destination de toute l’agglomération briochine