Aux portes de Rennes, à Pacé, sur les terres labourées du lieu-dit la Touraudière, les archéologues de l’Inrap ont exhumé un éclat d’éternité : une bague en or antique, délicatement gravée de l’effigie de Vénus Victrix.
Découverte à l’hiver 2024 dans le cadre d’une fouille préventive à Pacé, cette parure de l’époque romaine révèle la richesse enfouie d’un site occupé sans discontinuer depuis près de trois millénaires. Des âges du Bronze au haut Moyen Âge, la Touraudière s’impose aujourd’hui comme un condensé vivant de l’histoire bretonne.
Sous les champs, la mémoire des métaux et des dieux
Lorsque les pelleteuses se sont arrêtées sur les parcelles promises à l’urbanisation, les archéologues de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ont vite compris qu’ils marchaient sur un sol exceptionnel. Sur les 4,6 hectares sondés, près de 900 structures archéologiques ont été identifiées : fosses, fossés, silos, trous de poteaux, mais aussi fragments de moules en terre cuite utilisés pour fondre des objets en bronze. Ces témoins d’un artisanat ancien attestent qu’ici, vers la fin du IIe millénaire avant notre ère, les hommes savaient déjà façonner les armes et les parures du monde.
La terre de la Touraudière bruissait de gestes métallurgiques : le feu y transformait la glaise et le minerai, les fosses servaient de creusets à l’imaginaire des premiers artisans armoricains. Dans les sillons encore humides de l’hiver, les fouilleurs ont retrouvé les empreintes d’une technique maîtrisée – l’art de couler le bronze dans des moules, pour fabriquer outils, fibules, peut-être même épées. Cette activité humaine intense, enracinée dans la Protohistoire, a ouvert la voie à des formes d’occupation plus pérennes : hameaux, enclos, puis habitats.

Une route romaine et la bague de Vénus
C’est pourtant sur un autre vestige que le destin de la Touraudière a basculé : une voie antique de huit mètres de large, tracée de cailloutis de quartz et bordée de fossés. Les ornières conservées dans la pierre racontent le passage régulier de charrois, d’animaux, d’humains en mouvement. Un jour, il y a environ 1 800 ans, quelqu’un a perdu sur ce chemin un bijou précieux : une bague en or finement ciselée, ornée d’une intaille bleutée représentant Vénus Victrix, déesse de la beauté et de la victoire.
« C’est un objet d’une qualité exceptionnelle », précise le rapport de l’Inrap. « La monture, ciselée avec soin, abrite une gemme en nicolo – une variété d’onyx – gravée d’une figure féminine. » Selon les experts, l’orfèvre qui réalisa cette bague travaillait probablement dans un atelier de l’Ouest de la Gaule ou de la région lyonnaise. Peut-être s’agissait-il d’un bijou offert, porté par une femme de statut élevé, perdu lors d’un voyage, d’un rituel, ou d’une simple marche.
Dans la lumière pâle des labours, la bague scintille encore, symbole d’une présence invisible mais persistante : celle des dieux et des hommes, des gestes et des oublis qui fondent la mémoire du sol breton.

Un hameau du haut Moyen Âge ressurgi
Au-delà de l’Antiquité, la fouille révèle une autre strate du temps : celle d’un hameau du haut Moyen Âge, occupé entre le Ve et le Xe siècle. Là, des bâtis sur poteaux, des silos, des fosses de cuisson et des meules en granite racontent la vie paysanne dans son quotidien le plus concret. Entre les parcelles orthogonales de 800 à 2 000 m², les chercheurs identifient des aires d’habitat, de culture et de travail artisanal.
Les restes végétaux carbonisés – grains de blé, d’orge, de légumineuses – et les ossements d’animaux témoignent d’une économie vivrière florissante. La découverte d’un dépôt monétaire de deniers carolingiens (IXe-Xe siècle) confirme l’activité soutenue du site à la période mérovingienne, avant son abandon progressif. C’est toute une micro-société rurale qui réapparaît sous les bottes des archéologues, dans le souffle discret de la terre retournée.
Pacé, mille ans d’histoire à ciel ouvert
Ces fouilles, réalisées avant la construction d’un vaste projet immobilier (près de 800 logements), offrent une synthèse inédite des occupations humaines en Bretagne intérieure. De l’âge du Bronze aux Carolingiens, la Touraudière dévoile la continuité d’un lieu habité, transformé, exploité. « Chaque strate du sol renvoie à un usage différent du territoire », expliquent les chercheurs. « Le paysage que nous foulons aujourd’hui n’est que la dernière peau d’une longue sédimentation humaine. »
Et dans ce palimpseste de terre et de mémoire, la bague de Vénus se dresse comme une balise symbolique : celle d’un lien entre beauté, hasard et histoire. Un bijou tombé d’une main inconnue il y a deux millénaires, devenu aujourd’hui la clé d’un récit où la Bretagne dialogue avec Rome et l’éternité.
