Le festival Court Métrange et le Naïa Museum (Rochefort en terre) s’associent pour la quatrième année consécutive dans une exposition frissonnante d’art visionnaire et fantastique, du 10 au 20 octobre 2019. Œuvres fantomatiques, sculptures étranges et photographies intrigantes viennent investir la galerie de la MIR (Maison Internationale de Rennes).
S’il faut attendre jeudi 17 octobre afin de découvrir la seizième compétition internationale tant attendue des courts-métrages de genre, le festival Court Métrange ouvre les portes de l’au-delà pour la septième édition de Parcours Métrange. Quoi de mieux qu’un frissonnant bal des Lémures comme ouverture des festivités ?
Qu’est-ce que l’art fantastique ?
« L’art fantastique n’est-il pas une grande armoire où l’on peut mettre une ultime de représentations ? On ne peut échapper à l’art fantastique, on le croise constamment », souligne l’artiste et enseignant-chercheur Jean-François Robic, modérateur de la discussion « Une inquiétude familière » (jeudi 10 octobre, 17 h 30).
Ce concept large aux thèmes issus de l’imaginaire et de l’onirique semble particulièrement difficile à définir. Les artistes-exposants du Bal de Lémures s’interrogent face à la vision moderne et réductrice de l’art fantastique. « L’art de manière générale est une représentation. À quel moment pouvons-nous définir le réel ? Comment l’évaluer ? Où placer le curseur de la réalité ? Ce que l’on a défini comme étant l’Art fantastique contemporain, étaient des thématiques récurrentes par le passé », argumente Yoann Lossel dont les œuvres enchantés à la feuille d’or rappellent le travail onirique de l’illustrateur et affichiste Alfons Mucha, fer-de-lance du style art nouveau.
Les mondes terrifiants et enchantés de Jérôme Bosch, les photographies du spirit (fin XVIIIe – début XIXe), les paysages surréalistes de Max Ernst, les premiers dessins de Jackson Pollock – ressemblant à certains égards aux travaux d’André Masson ou Magritte, pour n’en citer que quelques-uns… Entre rêve et réalité, les formes de l’art fantastique sont infinies et ont imprégné l’Histoire de l’Art avant d’être catégorisées et marginalisées par une évolution de l’Art et un monde contemporain plus rationnel.
« Il y a autant de réalités qu’il y a d’individus »
Tels les lémures, ces âmes damnées de la mythologie romaine qui hantent le monde des vivants, les cinq artistes, sélectionnés par les propriétaires du Naïa Museum, Emmanuelle et Patrice Pit Hubert, deviennent les fantômes qui hantent la galerie de la MIR. « À partir de la thématique annuelle du festival, nous choisissons parmi un panel de quatre-vingt-cinq artistes. Nous voulions une approche un peu passéiste avec des artistes maîtrisant leur pratique et dont le travail résonnait avec le thème du fantôme : ce côté décharné dans leurs couleurs, leur choix esthétique et pictural – explique Patrice Pit Hubert. Environ 50 % de la présentation de la collection du Naïa Museum est composée de sculptures. Nous voulions conserver cette approche pour Le bal des Lémures », explique Patrice Pit Hubert, également artiste exposant.
Parmi ses œuvres, une sculpture aux allures majestueuses de papillon. Miracle de la transformation et de la résurrection chez les Amérindiens, esprit des morts dans l’Ancien Monde, le papillon déploie ses symboliques comme il déploie ses ailes… Visible de l’extérieur, du cloître, il semble attendre le visiteur qui arrive. Peut-être est-il l’annonciateur de cette exposition singulière et attendue du festival Court Métrange ? « Le papillon est symbole de renouveau. Je l’ai traité de manière décharnée afin de le placer entre la vie et la mort. Je m’intéresse à ce jeu de force entre des matières dures comme l’acier. La lumière et le textile apportent de la douceur à mon travail. Ce traitement peut apparaître dans l’image du fantôme », argumente l’artiste.
Chaque œuvre développe la réalité de chaque artiste et hante la galerie de la Maison Internationale de Rennes. Entre conscient et inconscient, réel et irréel, les illustrations enchantées de Yoann Lossel répondent aux sculptures décharnées, mais étrangement captivantes de Yoann Penard. « Mon travail a toujours un pied dans le réel. Par le biais du fantastique, mon champ lexical me permet de parler de faits contemporains », explique l’artiste Yoann Penard.
Gilles Courat, quant à lui, propose des photographies qui intègrent le corps dans une minéralisée onirique. Telles des nymphes, les modèles habillées de costumes sont mis en scènes en studio avant d’être retouchées. L’artiste questionne la féminité au sein d’une nature qui n’est pas sans rappeler une influence celtique. Une représentation de la femme également présente dans les illustrations de Yoann Lossel.
Dans Le bal des Lémures, tous les médiums se répondent. Les artistes, sculpteurs, peintres et photographes utilisent les thèmes de l’onirique et du fantastique pour faire parler leur art.
« Quand on a créé le musée, les artistes n’avaient pas particulièrement de lien avec le fantastique. On retrouvait des courants de défiguration, visionnaires et symboliques. Toutes ces thématiques offrent une vision déformée de la réalité. Nous nous sommes alors demandé comment estampiller cette vision. L’imaginaire et le fantastique sont venus en déclinaison de plusieurs courants. On s’est rendu compte que les artistes qui nous touchaient avaient une maîtrise académique de leur médium et se plaçaient dans une représentation fantastique » précise Patrice Pit Hubert.
La carte blanche de Yannick Germain
Artiste du Naïa Museum, Yannick Germain participe pour la première fois à l’exposition Court Métrange. Entre ses parchemins qui relatent des mythes bretons et ses tableaux à la cire, pas moins de 25 créations originales ont été réalisées pour le Bal des Lémures. L’artiste raconte son travail.
Unidivers – Comment avez-vous traité la thématique du fantôme par rapport à votre pratique originelle ?
Yannick Germain – Dans ma pratique, le fantôme est une thématique récurrente. J’utilise deux livres bretons en particulier, Le Barzaz et La légende de la mort. Cette exposition est le moment et l’endroit pour traiter ce sujet.
Plutôt que de traiter le fantôme comme dans les films d’horreur, je me suis dirigé vers les textes écrits par nos anciens qui arrivent à notre époque délétère afin de nous remontrer des valeurs, des récits… Ce sont ces fantômes-là qui reviennent et nous rappellent ce que nous sommes.
Dans les six parchemins exposés, on retrouve deux textes de La légende de la mort : un sur les noyés et un second sur le vaisseau fantôme. J’ai écrit le texte dans sa langue originelle, le Breton.
Unidivers – L’utilisation du parchemin est-elle une pratique récurrente dans votre pratique originelle ?
Yannick Germain — Jamais, je l’ai fait pour l’événement. D’habitude, je peins sur du papier marouflé sur toile, mais j’avais envie de travailler le papier hors la toile depuis un moment. L’exposition a été l’occasion. C’est une belle expérience : la structure va au-delà du papier. J’ai envie d’exploiter davantage cette manière de procéder.
J’expérimente en permanence, en quête de sens, entre ombre et lumière, haut et bas, devant et derrière, ce que nous sommes et où nous allons… Ma culture est nordique et celtique.
Unidivers — Quelle approche avez-vous de la peinture ? Comment travaillez-vous ces thèmes ?
Yannick Germain – Je pars de l’idée que nous sommes constituées de nos morts : on naît, on vit, on meurt. Une fois que nous sommes morts, notre corps disparaît, mais tout ce que nous avons fait durant notre vie existe encore et finit par se déliter, comme notre squelette. Il restera des poussières de tout ça et cette poussière fera partie du reste. Je pars de cette idée en peinture. Je donne vie à une tâche de peinture, je la pose et à un moment donné je la tue, l’enlève et la déstructure. Il n’y a pas d’aplats de couleurs, juste une fréquence. L’univers est une fréquence pour moi, comme une onde radio. Nos sens captent une multitude d’ondes qui donnent la réalité de ce qui nous entoure.
Unidivers – Vous composez comme on compose une chanson au final.
Yannick Germain — Bien sûr ! La manière dont on fait les choses a une importance. Si on n’en est pas conscient, on devient esclave. C’est important dans mon travail.
Chaque individu a sa réalité et les artistes du Bal des Lémures ont la leur. Il ne reste plus qu’à la découvrir…
Exposition Le Bal des Lémures, du 10 au 20 octobre 2019.
Maison internationale de Rennes
Entrée Libre
Maison internationale de Rennes
7 quai Chateaubriand
35000 Rennes
Horaires d’ouverture: En semaine: de 14h à 19h. Le week-end: de 12h à 19h.
Visite guidée sans réservation les week-end à 16h. Nocturne jusqu’à 22h le vendredi 11 octobre, le mardi 15 octobre, mercredi 16 octobre, jeudi 17 octobre, samedi 19 octobre.
Article réalisé par Laurie Musset et Emmanuelle Volage.