Film Ballerina ou le monde de John Wick dans son vertige féminin

2821
ballerina film

Lorsque l’univers hyper-codifié de John Wick s’étend, il ne le fait jamais sans stratégie. Avec Ballerina, réalisé par Len Wiseman et porté par Ana de Armas, la franchise amorce une nouvelle inflexion : celle du spin-off au féminin, injecté de grâce létale et de sur-esthétisation.

Au-delà de la simple extension commerciale, Ballerina interroge en creux ce que devient le cinéma d’action contemporain, entre recyclage de mythologies et réinvention des corps combattants.

Le récit : vengeance, ballet et hyperchorégraphie

L’intrigue s’insère entre John Wick: Chapter 3 et Chapter 4. On suit Rooney (Ana de Armas), tueuse issue de la Ruska Roma — cette société secrète de l’univers Wick —, lancée sur la piste de ceux qui ont assassiné sa famille. Une fois encore, le scénario épouse le schéma classique du revenge thriller, mais surélève le dispositif esthétique par un usage maniaque du ballet : les mouvements de caméra, les combats et même les transitions narratifs obéissent à une logique chorégraphique qui rappelle parfois les Gun-Fu Operas des années 2000 ou certains délires visuels de Zack Snyder.

Ana de Armas, impressionnante physiquement, soutient à elle seule la tension du film. Déjà aguerrie aux scènes d’action avec Mourir peut attendre ou The Gray Man, elle compose ici une héroïne ambiguë, à la fois vulnérable et terriblement déterminée. Keanu Reeves, présent en guest discret (mais essentiel pour la continuité canonique), sert de passerelle plutôt que de moteur.

John Wick : un modèle esthétique devenu système

Le John Wick Cinematic Universe est devenu, depuis 2014, une grammaire à part entière dans l’histoire du cinéma d’action :

  • Architecture baroque des assassinats, où chaque mort devient une variation ornementale.
  • Codification hiératique des organisations criminelles, croisant mythologie antique et symbolisme ésotérique.
  • Violence ritualisée, dans laquelle l’hyper-contrôle des corps l’emporte sur la simple brutalité.

Avec Ballerina, cette grammaire s’étoffe mais commence aussi à frôler ses propres limites. Le film oscille entre hommage virtuose et saturation visuelle. À force de vouloir toujours lisser l’action en art total, Wiseman flirte parfois avec la mécanique, là où Chad Stahelski, le créateur originel de John Wick, savait conserver une forme de sécheresse dramatique qui empêchait la lassitude.

Le féminin dans l’action : de la femme fatale à la combattante souveraine

Sur le plan conceptuel, Ballerina se situe dans la filiation de plusieurs mutations récentes du cinéma d’action féminin :

  • Après les figures fantasmatiques type Atomic Blonde (2017), Rooney propose une héroïne dont la vulnérabilité sert la dramaturgie sans tomber dans le cliché victimaire.
  • On retrouve ici les codes de la ballerine assassin déjà présents dans Red Sparrow (2018), mais Ballerina accentue la physicalité pure comme langage central de la narration.
  • Enfin, contrairement à certaines productions récentes qui plaquent maladroitement des thématiques « empowerment », Ballerina parvient à inscrire la souveraineté féminine dans la logique interne du récit sans artifices sur-signifiants.

Un objet cinématographique-marchandise parfaitement calibré

L’autre dimension fascinante de Ballerina, c’est sa totale inscription dans l’économie industrielle du cinéma post-2020 :

  • Spin-off conçu pour maximiser la durée de vie d’une franchise.
  • Star mondiale (Ana de Armas) au carrefour des marchés américains, européens et asiatiques.
  • Participation croisée avec d’autres franchises (Call of Duty, campagnes cross-media, réseaux sociaux surmobilisés).
  • Synchronisation parfaite avec les calendriers de blockbusters estivaux.

Ballerina est autant un film qu’un produit culturel algorithmique — et en cela, parfaitement symptomatique du cinéma globalisé de la décennie 2020.

Fiche technique

  • Titre : Ballerina
  • Réalisation : Len Wiseman
  • Scénario : Shay Hatten
  • Distribution principale : Ana de Armas (Rooney), Keanu Reeves (John Wick), Anjelica Huston, Gabriel Byrne, Lance Reddick (ultime apparition), Catalina Sandino Moreno
  • Production : Lionsgate
  • Date de sortie (France) : 6 juin 2025
  • Durée : 1h56
  • Genre : action, thriller, néo-noir
  • Univers : John Wick Universe

L’univers John Wick en 8 chiffres-clés

ÉlémentDonnée
Année de lancement de la saga2014
Nombre de films principaux4 (John Wick 1 à 4)
Nombre de spin-offs cinéma1 (Ballerina)
Séries dérivéesThe Continental (Peacock, 2023)
Box-office cumulé mondial (saga principale)1,02 milliard $ (mai 2025)
Budget moyen par film50-90 M$
Nombre total de morts à l’écran (saga principale)439 (estimation fans compilée)
Prochaine extensionProjet John Wick 5 en développement