BD 47 CORDES, À L’ARC TALENTUEUX DE TIMOTHÉ LE BOUCHER

Changer d’apparence physique pour séduire sa proie sexuelle est le thème de 47 Cordes, premier opus de Timothé le Boucher. Une Bd formidable entre fantastique et interrogation contemporaine.

47 cordes bd

C’est une Bd pleine de désir. De désirs. Ils explosent à chaque page et dès le début de l’ouvrage  le trait vertigineux, et presque silencieux de Timothé le Boucher dévoile le corps d’une sirène, d’une naïade, d’une vampire, d’une femme mystérieuse qui va se multiplier, sous de multiples apparences pour exaucer un désir, le sien, celui de capter sa proie sexuelle qu’est un jeune homme qui répond au nom de Ambroise, jeune harpiste. Il vient d’emménager chez sa soeur Zahidé, pour tenter d’intégrer le même orchestre. Cette prédatrice est une célèbre diva : Francesca Forabesco. Pour arriver à ses fins elle va devenir Thomas, un pote d’escalade, Elisa une parfaite petite amie et tant d’autres. Redevenue Francesca, elle va proposer à Ambroise 47 défis pervers en échange de l’achat d’une nouvelle harpe, 47 défis comme autant de propositions l‘invitant à se défaire des contraintes sociales qui le paralysent.

Le jeu du désir extrême peut cependant être dangereux et même devenir un véritable jeu de dupes: le chassé devient chasseur, la proie doute alors de ses véritables inclinations sexuelles et les fantasmes succèdent aux fantasmes. Comment désirer et aimer celui, celle, qui change d’apparence constamment ? L’auteur explique (1) que l’idée de la métamorphose physique pour séduire lui est venue de colocataires qui rejetaient, sur l’application Tinder, la rencontre avec un garçon à cause d’un infime détail physique. Il va donc falloir à Francesca changer d’apparences de multiples fois jusqu’à obtenir celle que Ambroise ne pourra plus refuser, celle qui convient à son désir à lui. L’amour n’est plus perçu que comme une attirance de corps à corps, une alchimie de regards portés sur des formes, une peau, une couleur de cheveux, une silhouette. Loin du cœur.

47 cordes bd

Avec cette vertigineuse mise en abîme du sentiment amoureux, Timothé le Boucher nous emmène sur les traces de nos pulsions les plus secrètes, les plus intimes, parfois inconnues de nous même. Le labyrinthe est gigantesque nous conduisant dans des parties fines qui nous font penser à la soirée masquée et troublante du film Eyes Wide Shut, ou encore au désir perçu comme un rapport de domination quand Ambroise se laisse tirer par une traine semblable à O conduite en costume de chouette par Sir Stephen, dans le roman de Pauline Réage. La question du genre, de l’identité, de la normalité, que le dessinateur avait déjà exploité dans ses ouvrages précédents revient ici avec une force accrue mise en image par un dessin magique, époustouflant de pureté. Le trait est net, précis. La neutralité des tons est illuminée par des couleurs chatoyantes qui marquent le regard. À chaque transformation de Francesca des vêtements, éléments essentiels d’identification, étincellent par leur luminosité. Des pleine pages nous offrent des respirations dévoilant les masques de la cantatrice, les apparences des métamorphoses diaboliques, frôlant et côtoyant l’univers du vampirisme.

L’auteur, cette fois-ci, franchit un pas supplémentaire dans le fantastique pour un récit dense, que l’on relit à multiples reprises, afin d’appréhender l’identité des personnages protéiformes. Tout n’est ici que mensonge, tromperie, dissimulation. Et plaisir de lecture. 

Après la dernière page de cet imposant premier tome, qui nous donne envie de connaitre immédiatement la suite, on peut déjà ajouter une quarante huitième corde à l’arc de Timothé le Boucher : celle d’un immense talent.

47 Cordes de Timothé le Boucher, 380 pages. Editions Glénat. Parution : 17 novembre 2021. Prix : 25€.

Découvrir un extrait

(1) Revue dBD de décembre- janvier page 80

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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