Bien malin qui nous dira ce que nous réserve ce mois de février. À la Chandeleur, le temps hésite entre la plongée hivernale ou l’émergence prématurée du printemps. Serons-nous à nouveau contraints au confinement ou soumis au couvre-feu ? Une chose est certaine, la rentrée littéraire continue avec moins de livres qu’en janvier mais toujours de belles promesses d’évasion. Une fois de plus, ma sélection en littérature française et étrangère est très féminine. Je vous assure que ce n’est pas volontaire et je maintiendrai la parité (enfin presque) avec les nouveautés en littérature noire et livres de poche.
Professeur de philosophie, Joy Sorman aime varier les sujets et s’attaquer aux choses rugueuses de notre société. Durant toute une année, l’auteure s’est rendue dans un hôpital psychiatrique. À la folie (Flammarion, 3 février 2021) est le récit de la vie enfermée d’une poignée de personnages. Des personnages si vivants qu’ils en deviennent inoubliables.
Avec son nouveau roman, Carole Zalberg écrit l’histoire d’une conscience. Celle de Melissa jeune fille, brillante, mais fragile qui peine à trouver sa place dans la société. Embarquée dans un groupe manipulé par un gourou, elle se sent protégée, mais sa vie va basculer et la mettre face à sa conscience. Tes ombres sur les talons (Grasset, 10 février 2021) est un roman dérangeant et lumineux sur la question de la radicalisation et des rêves déçus d’une jeunesse que la société peine à valoriser.
Noëlle Châtelet a consacré son œuvre littéraire à la question du corps. Avec Laisse courir ta main (Seuil, 4 février 2021), dans une longue conversation avec elle-même, elle fait un inventaire approfondi des questions qui l’obsèdent. Elle nous entraîne dans les coulisses du processus de création, éclairant avec sincérité le sens à la fois intellectuel et intime de son parcours.
Découverte avec Automne, l’écrivaine écossaise Ali Smith poursuit sa tétralogie avec Hiver (Grasset, 10 février 2021, traduit par Laetitia Devaux). Sophia invite son fils pour Noël dans sa grande maison des Cornouailles. Art doit venir avec sa nouvelle fiancée, mais celle-ci l’abandonne quelques jours auparavant. Il engage alors une remplaçante. Le faux couple fait face à une femme diminuée. Art n’a d’autre solution que d’appeler en renfort la soeur de Sophia malgré leur brouille depuis trente ans. Avec un regard impitoyable sur la société et une poésie unique, Ali Smith convoque le passé et décode le présent pour faire des anciennes divergences de convictions des possibilités de retrouvailles.
En 2018, le Man Booker Prize est attribué à Anna Burns, écrivaine nord-irlandaise pour son roman Milkman. Traduit par Jakuta Alikavazovic, ce livre paraîtra aux Éditions Joëlle Losfeld le 11 février 2021. Ce roman singulier, écrit à la première personne, d’une traite sans paragraphe, illustre la violence militaire durant la période des troubles en Irlande du Nord sous le regard d’une jeune fille de dix-huit ans, passionnée de lecture et soumise aux assiduités d’un homme marié beaucoup plus âgé.
Littérature africaine avec Imbolo Mbue qui nous propose son second roman, Puissions-nous vivre longtemps (Belfond, 4 février 2021, traduit par Catherine Gibert). Au travers d’un magnifique portrait de femme, c’est l’histoire d’un petit village d’Afrique de l’Ouest en lutte contre la multinationale américaine qui pollue ses terres et tue ses enfants. Un roman fort et lumineux.
Suite à plusieurs romans particulièrement remarqués, Peter Swanson revient avec Huit crimes parfaits (Gallmeister, 4 février 2021, traduit par Christophe Cuq). L’agent Gwen Mulvey enquête sur deux affaires étranges rappelant certains scénarios de romans policiers. Elle sollicite l’aide de Malcolm Kershaw, un libraire spécialisé qui avait posté sur son blog la liste de huit crimes parfaits dont les deux affaires en question. Une intrigue irrésistible et une brillante variation autour du roman policier, avec en filigrane cette question éternelle : le crime parfait existe-t-il ?
Stefan Thunberg s’est inspiré de faits réels pour mettre à mal la force des liens fraternels et familiaux dans Si tu me balances (Actes Noirs, février 2021, traduit par Frédéric Fourreau), un roman de braquage haletant servi par un scénario fort bien maîtrisé. Léo, quatorze ans vit un drame familial. S’occupant de ses deux petits frères, il imagine un braquage. Des années plus tard, en sortant de prison, il rêve encore de réaliser un crime parfait sans alerter le détective Broncks. Quand Broncks comprend que son grand frère, Sam, est lui-même peut-être impliqué dans l’affaire, la situation dégénère… Coécrit avec Anders Roslund.
À noter aussi, l’ultime volet de la trilogie de Ragnar Jonasson, La Dame de Reykjavík qui a déjà séduit des dizaines de milliers de lecteurs. La dernière tempête (La Martinière, 25 février 2021, traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün) met en scène l’enquêtrice Hulda Hermansdóttir, alors âgée d’une quarantaine d’années. Elle tente de fuir un couple et une fille en crise en s’investissant dans l’enquête sur un double meurtre dans une ferme d’une vallée reculée de l’est de l’Islande. Une femme détective particulièrement attachante.
En version poche, ne ratez pas le très beau roman de Santiago H. Amigorena, Le ghetto intérieur (Folio, 4 février 2021 ; voir notre article). Vicente Rosenberg, arrivé en Argentine en 1928, reçoit les lettres de sa mère restée à Varsovie en pleine Seconde Guerre mondiale. En comprenant qu’elle va mourir, rongé par la culpabilité, il se mure dans le silence.
Je parle peu de science-fiction, mais le roman d’Alain Damosio fut élu meilleur livre en 2019 par le magazine Lire. Alors laissez vous séduire par Les furtifs (Folio, 4 février 2021), un pavé de plus de 900 pages qui nous plonge dans un futur proche où le libéralisme et la technologie n’ont jamais aussi bien maximisé nos servitudes volontaires.