Avec Amalia, Aude Picault continue, comme une sociologue, à décrypter nos existences. Cette fois-ci elle nous dit la charge mentale subie au quotidien notamment par des femmes obligées de se transformer en « super women ». Jusqu’au jour où. Dérangeant, utile et politique.
C’est une BD dont les premières pages se succèdent à une vitesse folle. C’est une BD qui fait la part belle à un Diable contemporain. La vitesse c’est celle à laquelle est soumise Amalia dès le lever d’une journée rythmée par la douche de la petite Lili, le petit-déjeuner, le départ à l’école, l’arrivée au travail et le soir le rangement de la maison, le pyjama, la lecture au lit. Le Diable c’est la pression de la performance : la maison impeccable, les résultats au travail. Cela s’appelle aussi la perfection. Ce qui épuise Amalia :
« c’est de vouloir tout contrôler, tout ranger, toujours inquiète de ne pas être assez bien ».
Le double constat, vie intrépide et performance, est connu. Pourtant Aude Picault qui avait déjà exploré avec Idéal Standard les questions existentielles liées à la trentaine, apporte ici un regard neuf car global sur l’existence menée aujourd’hui par des millions de familles qui subissent leur quotidien au rythme des aiguilles d’une horloge dictatoriale et d’un idéal de comportement dont on se rend compte qu’il résulte essentiellement de directives économiques.
Amalia, un prénom sans doute lié à l’écoute par les parents des disques d’Amalia Rodrigues, n’est pas la super nana de Michel Jonasz. Elle vit dans une famille recomposée avec Karim, son homme pendu à l’actualité, pas très réjouissante, rythmée par les attentats, la pollution, et sa belle fille Nora, jeune adolescente en pleine crise, plus préoccupée de ses « like » que de son bac blanc. Omniprésence des écrans, actualité permanente anxiogène, moments d’intimité oubliés, repas morcelés, Aude Picault semble avoir posé des caméras dans des milliers de maisons, pavillons, appartements de familles françaises. On regarde et on se regarde comme dans un miroir sans tain. L’image renvoyée n’est pas très réjouissante mais le trait discret d’Aude Picault, rend les situations réalistes.
Tout est vrai, tout est vécu, de ces petits jouets qui traînent dans l’escalier et qu’il faut ranger à la promotion professionnelle de « Team Leader » pour permettre « de révéler tout son potentiel ». Ce surmenage familial collectif n’est pourtant pas le seul sujet de la BD et les personnages perçus comme secondaires permettent de révéler d’autres travers de notre société : les influenceuses du net, l’industrie agro alimentaire dénuée de tout respect de l’environnement, la « malbouffe » industrielle, traversent l’album donnant au sujet principal de la charge mentale une toile de fond nécessaire.
L’album montre, démontre, mais aussi se veut optimiste et le dessin devient alors source de poésie et d’espoir. Une médecin, en visio, modernisme oblige, dit à Amalia qu’« il s’agit d’équilibrer la dépense quotidienne d’énergie et le temps de récupération (…). Ce n’est pas que médical c’est philosophique ». Si le corps a besoin d’aide, la tête a besoin de réfléchir. Le dessin, minimaliste parfois, va à l’essentiel comme une métaphore du regard à porter nos existences : aller aux véritables besoins, aux véritables envies, ceux de la nature, de l’amour, de la vie. Débarrassé de la perfection, le crayon s’accompagne de couleurs légères, d’odeurs et on prend plaisir avec Karim à retrouver des épis de blé dorés le long des chemins ou les bras de sa bienaimée. Pas de désespérance finalement, car comme conclu Amalia après avoir modifié le cours de son existence, « Le chaos c’est la vie ». Ce chaos qui laisse traîner les jouets dans l’escalier, un peu de poussière sur les meubles, ou une vaisselle mal rangée, mais qui s’organise quand le bleu du ciel vous étreint ou la plante verte moribonde reprend vie. Et comme Karim, Aude Picault nous invite à une véritable leçon de vie :
« Y’a plein de choses à faire ! Et ce n’est pas demain qu’on va s’y mettre, c’est maintenant ».
Amalia de Aude Picault. Éditions Dargaud. 148 pages. Parution 21 janvier 2022. 19,99€.
Aude Picault sera mise à l’honneur lors d’une exposition au festival international de la bande dessinée d’Angoulême 2022.