Efa et Rubio dans cette BD consacrée à Django Reinhardt explorent la jeunesse et l’adolescence du plus célèbre des Manouches. Une vie incandescente traitée sobrement et efficacement. Où la musique traîne en fond sonore.
Main de feu le titre de la BD dit tout. Main de feu c’est la main de Django qui, dès le plus jeune âge, décide de devenir un grand musicien et s’exerce jusqu’à épuisement au banjo d’abord. Main de feu c’est aussi la main brûlée dans l’incendie de sa caravane, pour laquelle il craint l’amputation et qui l’amènera à jouer de la guitare avec une position particulière sur l’instrument. Main de feu c’est enfin le tempérament de cet adolescent manouche, rebelle, qui refuse d’apprendre à lire et à écrire préférant répéter des heures et des heures des gammes ou séduire les filles. Il est hors norme ce jeune homme né selon le scénario de la BD une première fois au cours de l’hiver 1910 dans un camp en Belgique pour renaître une seconde fois à l’automne 1928 à St Ouen après cet incendie.
Le film Django d’Étienne Comar, sorti en 2016 avec dans le rôle du guitariste, Reda Kateb s’attachait à suivre le musicien pendant la Seconde Guerre mondiale. La BD d’Efa et Rubio préfère s’attarder sur les années des débuts, ces années où le jeune homme superbement doué et conscient de son talent cherche tout simplement à devenir le meilleur de Paris, de France mais, plus sûrement, du monde. On le comprend de suite, Django n’est pas un modèle de modestie, faisant le vide autour de lui à l’exception de son frère Joseph dit Nin-Nin, en adoration devant l’aîné et qui accepta tout. Ce parti pris démontre la force de caractère nécessaire à la réussite.
Cette obstination, qui écarte tout sur son passage, parfois même les femmes qui l’aiment, est le fil conducteur de cet album parfaitement documenté, et dont la narration est expliquée et complétée par un superbe cahier de 16 pages en fin d’album, agrémenté de beaux portraits photographiques. Les chansons rythment les pages comme une ritournelle, en toile de fond, qui accompagne les bons et moins bons moments d’une vie collective dans ses roulottes et caravanes de la « Zone » en périphérie de Paris, où la solidarité n’est pas qu’un mot. Ils sont là, ses personnages secondaires mais solidaires : sa mère « Négros » au caractère, bien trempé, Naguine, son premier amour qui deviendra sa seconde épouse, Bella, sa première épouse, et tous ces personnages amis et fraternels comme deux gardiens barbus de la « Zone » auxquels les auteurs malicieusement ont donné les traits de Monet et Clémenceau en référence à leur album commun précédent, Monet nomade de la lumière.
Le dessin donne la part belle à cette vie collective d’où Django, tout en respectant ses codes et ses valeurs, cherche à s’extraire. S’appuyant sur des récits oraux, les écrits de Django ou de ses proches sont quasiment inexistants, les auteurs racontent les faits sans aucun sensationnalisme, cherchant à cerner la vérité ou le probable. Avec Django on ne doute pas et le jeune musicien va réussir, non pas comme il l’espérait, mais comme il l’annonçait. S’attaquant au bal musette, au « jass », il va donner à ces styles musicaux une note personnelle, côtoyant les plus grands, Stéphane Grappelli, Duke Ellington, Armstrong, Dizzy Gillespie et tant d’autres.
https://youtu.be/PQhTpgicdx4
Instructif, allant à l’essentiel, ce biopic de facture classique rend un hommage justifié à cet homme incandescent, amoureux de la vie, de la musique, du jeu qui ne pouvait guère se consumer lentement. Django Reinhardt mourut le 16 mai 1953 à Sannois. Il avait 43 ans.