Il y a juste un an, Unidivers inaugurait des chroniques consacrées au monde de la peinture dans la BD. Ce mois-ci un éditeur, Glénat, s’inscrit dans la même démarche en créant une vaste collection consacrée aux « Grands Peintres ». Entretien explicatif avec Maximilien Chailleux, directeur de la collection, puis découverte des trois premiers albums avec Goya, Van Eyck et Toulouse-Lautrec…
L’UNIVERS D’UN PEINTRE DANS SON CONTEXTE (ENTRETIEN)
Unidivers : la création de cette collection Les Grands peintres s’inscrit-elle dans le contexte éditorial de nombreuses publications consacrées aux artistes peintres depuis plusieurs mois ?
Maximilien Chailleux : on trouve en effet très régulièrement des bandes dessinées ayant pour sujet la peinture ou les peintres, mais notre objectif était de créer une collection traitant des Grands Peintres de l’histoire de l’Art sous un angle particulier. Le but était d’éviter les biographies en s’attachant à raconter une histoire prenant place à un moment particulier de la vie d’un peintre. On souhaite permettre au lecteur de se faire une idée plus précise du contexte dans lequel les artistes évoluaient à cet instant précis.
U : Comment ont été choisis les dessinateurs, les scénaristes ?
Maximilien Chailleux : Pour commencer, on s’adresse à des auteurs avec lesquels nous avons l’habitude de travailler (NDLR : Dominique Hé pour Van Eyck et Olivier Bleys pour Toulouse Lautrec dessinent déjà pour Glénat) et d’autres avec lesquels nous aimerions collaborer et dont on pense qu’ils pourraient être intéressés par le sujet. Ce qui est souvent le cas, en fait, la proximité entre la bande dessinée et la peinture, en tant qu’arts graphiques, étant assez évidente…
U : Le style des dessinateurs est il en lien avec les peintres qui leur sont attribués ?
Maximilien Chailleux : cette question du style est très importante. Il ne s’agit en aucun cas d’imiter le style d’un peintre pour en faire des cases de bandes dessinées. En revanche, le traitement graphique doit permettre de ressentir l’univers d’un peintre, son contexte, son époque. Les artistes les plus anciens auront tendance à être traités de manière plus réaliste, à l’image de leurs œuvres. Les artistes plus contemporains donnent lieu à des traitements de plus en plus graphiques.
U : Quels principes ont présidé aux choix des peintres ou des œuvres?
MC : Plusieurs principes au choix des Grands peintres : un brassage d’époques diverses et variées, bien entendu, des artistes connus et reconnus par le grand public, puis un choix qui s’affine en discutant avec les auteurs des bandes dessinées qui ont des envies particulières et des affinités avec les univers de tels ou tels peintres.
U : pourquoi avoir choisi le prisme d’une œuvre emblématique plutôt que des ouvrages biographiques ?
MC : On peut déjà trouver des récits biographiques en bande dessinée sur les peintres. En général, il s’agit de romans graphiques ou de séries en plusieurs tomes si on veut se donner suffisamment de place pour raconter une vie. Dans notre collection, l’idée était d’offrir des récits relativement courts (46 planches) axés sur des faits particuliers. Le but, je le dis à nouveau, est de donner une idée la plus sensible possible d’un contexte.
U : Un cahier des charges assez précis a donc dû être fourni aux auteurs. Les recherches historiques leur sont-elles proposées ou sont-elles le fruit d’un travail personnel ?
MC : Comme on vient de le voir, un cahier des charges assez précis a été établi, mais il laisse néanmoins beaucoup de libertés. Aucun document ni aucune recherche ne sont imposés car il ne s’agit pas de récits historiques, mais bien de fictions. Les histoires qui sont racontées dans cette collection s’appuient en grande partie sur des faits historiques, certes, mais toutes les inventions sont permises. Les scénaristes s’engouffrent dans les zones d’ombres des biographies des peintres.
U : Comptez-vous sur des collectionneurs amateurs d’art qui achèteront tous les ouvrages ou des acheteurs ponctuels en fonction des sujets ?
MC : Chacun peut réagir comme il l’entend. On peut avoir la curiosité de découvrir l’intégralité des peintres qui seront traités et se procurer toute la collection (ce que je recommande chaudement, bien entendu) ou au contraire se laisser attirer par des peintres dont l’œuvre nous est déjà familière, au risque de passer à côté d’une découverte…
U : plus précisément vous visez un lectorat de BD ou les amateurs de peinture?
MC : La collection s’adresse au grand public, celui qui se rend en masse chaque année dans les grandes expositions. Le public qui connaît les noms de ces grands peintres, qui connaît quelques-unes de leurs œuvres principales, mais qui a soif d’en savoir plus, de mieux comprendre dans quel contexte évoluait ces artistes au moment où ils réalisaient une œuvre emblématique. Étaient-ils jeunes, vieux, au sommet de leur gloire, de parfaits inconnus, vivaient-ils dans un pays en guerre, dans l’opulence ou la pauvreté ?
U : combien de titres sont-ils prévus ?
Maximilien Chailleux : Trente titres à raison de dix nouveautés par an de 2015 à 2017. Les prochaines parutions sont prévues en juin : elles concerneront Brueghel l’Ancien et Georges de la Tour.
VAN EYCK, TOULOUSE-LAUTREC, GOYA TROIS OUVRAGES POUR COMMENCER (PRESENTATION) !
Les collections BD à thème se multiplient actuellement tentant de fidéliser un lectorat sur un sujet précis : L’homme de l’année ou Le jour J chez Delcourt ou encore Roma chez Glénat. L’intérêt de l’éditeur rejoint celui du lecteur passionné par un thème et soucieux de se constituer une collection, l’amateur de BD étant souvent lecteur et collectionneur. Glénat a donc mis dans ses trois parutions simultanées pour lancer sa collection tous les ingrédients énoncés.
En débutant avec Van Eyck, Goya et Toulouse-Lautrec, la variété de styles et d’époque est une volonté tenue puisque près de cinq siècles séparent le peintre flamand du peintre de Montmartre. Variété totale de style également puisque l’on passe d’un réalisme marqué par le dessin Dominique Hé de Van Eyck, à celui beaucoup plus évanescent du traitement de Goya par Benjamin Bozonnet parfaitement adapté à la peinture du peintre espagnol. À lire ces trois BD, on comprend effectivement que les dessinateurs n’ont pas pour mission de traiter le récit à « la manière de ». Pleines pages pour Toulouse Lautrec, longues cases verticales pour Van Eyck, le lecteur ne trouvera aucune ressemblance graphique, même dans la mise en page totalement indépendante d’une BD à l’autre.
Ce qui relie en fait ces ouvrages c’est bien effectivement la manière de traiter le sujet : « laissez-nous vous raconter l’histoire qui se cache derrière le tableau ». C’est bien de cela qu’il s’agit : les à-côtés sont jugés parfois aussi enrichissants que l’histoire officielle.
On découvre ainsi que Van Eyck était aussi espion pour le Duc de Bourgogne, que Goya atteint de surdité s’était replié sur lui-même, véritable autiste obsédé par la peinture. Intrigue politique pour le peintre flamand, énigme policière pour le contemporain d’Oscar Wilde, le traitement du peintre espagnol est plus directement lié à l’histoire de la peinture et séduira probablement davantage les amateurs d’art qu’un Toulouse Lautrec trop éloigné de l’œuvre elle-même du peintre albigeois. Comme pour compléter et atténuer le choix éditorial initial, huit pages remarquablement réalisées à la fin de chaque ouvrage donnent l’essentiel de la biographie et des œuvres emblématiques du peintre traité.
Le concept de collections à thèmes révèle dans son principe son éventuelle faiblesse : un niveau de qualité inégale, tant la gageure de réaliser trente superbes albums sur un même sujet est difficile à tenir. Les auteurs s’effacent devant la collection. Pourtant ce début laisse envisager des réussites indéniables où l’amateur d’art éclairé trouvera des détails peu connus, une mise en images originale et une manière de jauger son savoir de manière amusante. Pour le débutant en la matière, ce sera un moyen agréable de se constituer une petite encyclopédie à la lecture facile et éclairante, en se laissant porter par des récits distrayants. Un essai à transformer dès le mois de juin avec la parution de deux autres ouvrages. L’art en BD : plus qu’une mode, une véritable tendance éditoriale.
Collection Glénat Les Grands Peintres. Trois parutions : Van Eyck, Goya et Toulouse Lautrec. Chaque ouvrage :14,50 €.
A paraître en juin : Brueghel l’Ancien et Georges de la Tour. En août : Vinci et David. En novembre : Bosch, Caillebotte et Mondrian. En janvier 2016 : Monet Van Gogh. À suivre...
Feuilleter déjà le Jan Van Eyck de Dimitri Joannidès et Dominique Hé.