Un passé recomposé. Ainsi pourrait-on qualifier la nouvelle collection Histoire dessinée de la France qui veut revoir l’histoire de notre nation à l’aune d’une approche plus critique et moins politiquement correcte. Quand un historien travaille avec un dessinateur de BD cela donne un début de collection prometteur intitulé La ballade nationale, Origines.
« Nos ancêtres les Gaulois ». Cette phrase nous parle comme une évidence. Ressassée dès l’école elle est en fait le symbole de ce que souhaite remettre en cause la toute nouvelle collection Histoire Dessinée de la France créée conjointement par la Revue Dessinée et les éditions La Découverte. La recherche historique s’est profondément modifiée depuis quelques années et la manière d’appréhender le passé a été bouleversée. « Les lieux de mémoire » de Pierre Nora, Eric Vuillard par le roman et notamment son Prix Goncourt « L’ordre du Jour » ou son « Quatorze Juillet », les historiens comme Patrick Boucheron et le collectif d’auteurs signataires du gigantesque succès de l’« Histoire Mondiale de la France », sont les marqueurs les plus connus de cette remise en cause d’une histoire officielle générée par des raisons idéologiques, politiques, sociologiques, visant notamment à assurer la cohésion sociale. La BD, qui restait figée sur l’Histoire de France en Bande Dessinée des éditions Larousse publiée à la fin des années soixante-dix, ne pouvait rester à l’écart de ce vaste mouvement : contester le Roman National fondé essentiellement sur quelques grands événements et grands personnages symboles et simplificateurs.
En évitant justement de débuter par le traditionnel « Les Gaulois », le premier ouvrage de la collection, « La Balade Nationale », se charge de poser les termes de cette histoire de France revisitée et notamment la question de ces débuts. Vercingétorix et son casque ailé, qui n’est d’ailleurs pas un casque gaulois, est il vraiment notre ancêtre ? Marseille peut être le lieu de notre identité nationale ? À moins que cela soit le baptême de Clovis ? Il est impossible en effet aujourd’hui de parler de la France comme d’une entité abstraite existant presque dès la grotte de Lascaux, signe ancestral de notre génie créatif sans mise en perspective avec les « étrangers », ceux qui seraient extérieurs à notre passé, ou avec un territoire qui serait défini par des frontières prétendues « naturelles ».
Dans cette collection qui devrait compter 20 parutions, au rythme de deux tomes tous les six mois, l’historien guide l’élaboration de l’ouvrage par ses connaissances. Sylvain Salvayre, qui avait déjà travaillé avec les auteurs de BD, s’appuient ici sur le dessin de Davodeau pour expliquer en quelque sorte la démarche des dix-neuf autres ouvrages à suivre. Mais aucune inquiétude : ces principes ne sont pas pompeusement énoncés, car la BD reste la BD et le plaisir de lecture demeure l’essentiel. Dans un cadre fictionnel, vous réunissez donc dans le même véhicule, et dans le désordre chronologique total, Molière, Marie Curie, le général Dumas, Michelet, Jeanne d’Arc. Vous y ajoutez le cercueil de Pétain, ce qui permet à Davodeau de ne pas le dessiner (!), et vous mettez tout ce joli monde sur les traces d’une histoire fantasmée entre Carnac, Calais, Carcassonne ou Solutré. En voiture messieurs dames, derrière le volant, l’histoire déménage tout en fournissant un nombre d’informations considérable. Et ce ne sont pas les récriminations perpétuelles du « héros de Verdun », caché dans son cercueil, qui ralentiront le récit.
Ce travail d’exigence, malgré le nécessaire amusement de la lecture, est validé par l’ajout en fin de l’ouvrage d’une soixantaine de pages, véritable accompagnement historique, qui confirme la qualité du travail fourni et montre combien chaque bulle de la BD est pesée et validée. C’est le symbole de la réussite du pari de la collaboration entre un dessinateur et un historien de haut niveau, sans que le premier soit réduit à un rôle d’illustrateur.
En offrant aux lecteurs une lecture différente des images d’Épinal ou des visions strictement monarchiques et réductrices de Stéphane Bern, cette coédition a le grand mérite de mêler une vulgarisation de haut niveau avec un plaisir de lecture incontestable. Ne plus transformer l’histoire nationale «en outil de cohésion sociale, mais s’appuyer sur elle pour apprendre à développer de l’esprit critique » comme le dit Sylvain Venayre, cela fait un bien fou. Et nous incite à réfléchir.
La Balade Nationale : Les Origines. Dessins : Étienne Davodeau. Scénario: Sylvain Venayre. Coéditions : La Découverte et la Revue Dessinée. 160 pages. 22 euros.
Vient de paraître le tome 2 : L’enquête Gauloise. Historien : Jean-Louis Bruneaux. Dessinateur : Nicoby.
À paraître ensuite au printemps 2018 : La gaule Romaine et les Mérovingiens.
La Balade nationale, les origines, de Sylvain Venayre et Etienne Davodeau est paru à La Découverte et La Revue dessinée. C’est le premier tome d’une série de 20 tomes qui verra s’associer un historien à un dessinateur. Le suivant : L’Enquête gauloise, de Massilia à Jules César, par Jean-Louis Bruneau et Nicoby paraît en novembre 2017.
Leurs auteurs savent que la connaissance du passé dépend des moyens que l’on se donne pour l’atteindre. Historiens, ils expliquent leurs méthodes, leurs questionnements et rendent compte des recherches les plus récentes. Auteurs de bande dessinée, ils aident à comprendre le pouvoir de ces images qui, depuis si longtemps, accompagnent le récit de la nation. Ensemble, ils analysent le passé tout en faisant de ce livre en vingt volumes un récit, savant et gai, dont les intrigues multiples s’accommodent de graphismes variés. Car nous savons tous, aujourd’hui, que l’Histoire de France ne peut pas s’écrire d’un seul trait.
L’HISTOIRE DESSINÉE DE LA FRANCE
Une collection dirigée par l’historien Sylvain Venayre
COMMENT RACONTER AUTREMENT L’HISTOIRE DE FRANCE
Né en 1970 à Châlons-sur-Marne, Sylvain Venayre est un historien français. Élève d’Alain Corbin, ses thèmes de recherche sont l’histoire des représentations de l’espace et du temps ainsi que l’histoire culturelle du voyage.
Il est depuis 2013 professeur d’Histoire contemporaine à l’Université Pierre-Mendès-France (Grenoble II). Il a récemment publié Jardin des colonies (avec Thomas B. Reverdy, Flammarion, 2017).
Né en 1965 à Botz-en-Mauges (Maine-et-Loire), Étienne Davodeau est dessinateur et scénariste de bandes dessinées. Ses histoires, ancrées dans le réel, tracent des portraits bien vivants de gens ordinaires aux démêlés particuliers. Son dernier album, Cher pays de notre enfance : enquête sur les années de plomb de la Ve République (avec Benoît Collombat, Futuropolis, 2015) prenait déjà la forme d’une enquête historique.
Né en 1953, Jean-Louis Brunaux est un archéologue français. Chercheur au CNRS (Laboratoire d’archéologie de l’ENS), il a dirigé de nombreuses fouilles sur les sites gaulois de Picardie. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages sur la civilisation gauloise dont Nos ancêtres les Gaulois (Points Histoire, 2015) et Les Religions gauloises (CNRS, 2016).
Né en 1976 à Rennes, Nicoby, de son vrai nom Nicolas Bidet, est un auteur de bande dessinée. Diplômé des Beaux-Arts, on lui doit une trentaine d’albums. Son trait vif, impulsif et gras, significatif de la nouvelle BD, privilégie la narration graphique à l’aspect purement illustratif du dessin, comme en atteste Une vie de papa ! (Dargaud, 2017). Par ailleurs, il fait partie du comité d’organisation du festival Quai des Bulles depuis 2003.