Grimper, un geste inné que tout enfant réalise naturellement. Quand ce goût de l’escalade se poursuit à l’âge adulte, il devient un sport et une philosophie. Cette BD Il était une fois l’escalade, co-édité par Les Arènes et les éditions du Mont-Blanc, raconte l’histoire de cette pratique vieille comme le monde, pleine de péripéties et d’anecdotes. Acrophobes s’abstenir.
Il était une fois, quelle jolie formule qui rappelle les moments de l’enfance au coin de la cheminée pour écouter un conte ou un beau récit. C’est bien de cela qu’il s’agit ici, même si l’histoire qui va nous être racontée est une histoire vraie. Le nom en gras d’une des co-autrices nous en dit encore un peu plus, Catherine Destivelle étant la femme désignée comme « la plus brillante alpiniste de sa génération ». Enfin, la magnifique couverture complète la sensation première : le gris de la roche dessinée s’invite sous la main comme une prise d’escalade, rêche, froide, râpeuse. Elle est celle que l’on ressent quand on escalade des rochers à mains nues. On la saisit donc cette BD, prêt à affronter ces gigantesques rochers posés là comme pour défier les Hommes, les inciter à prendre de la hauteur par rapport à leur existence terrestre.
Dès le XIème siècle, on trouve trace au Mali de troglodytes habités par les Tellem. Depuis, l’espèce humaine n’eut cesse de grimper, d’escalader les montagnes enneigées mais aussi ces blocs de pierre auxquels est consacré cet ouvrage qui constitue à sa manière une encyclopédie de l’escalade, dans la droite lignée de la formidable collection Les Incroyables histoires éditées elles aussi par Les Arènes. La période couverte est ici plus réduite que ces ouvrages de référence car elle commence réellement à la fin du XIXème siècle, quand la plupart des sommets alpins ont été gravis. Il faut rêver autrement et des anglais vont ainsi définir le rock-climbing qui désignera l’escalade rocheuse sous toutes ses formes. Débute alors le récit d’un siècle et demi de varappe, raconté chronologiquement et géographiquement par l’intermédiaire des grands noms qui vont se succéder et écrire l’Histoire de cette pratique : Paul Preuss, Emilio Comici, Reinhold Messner, et beaucoup d’autres avec dès le début des questions existentielles qui perdurent jusqu’à nos jours.
Cette pratique qui se veut celle de la liberté est en effet confrontée rapidement à des choix de pratique et à des philosophies. Grimper seul jusqu’au sommet : le principe semble simple et indiscutable. Mais la nature humaine aime le complexe et très rapidement des options personnalisées par les grands noms de l’escalade voient le jour : avec l’aide de matériels, ou sans aide technologique comme Paul Preuss qui préfère « entrer en communion avec le rocher, léger comme l’air » ? Seul ou encordé ? Avec délai ou sans délai ? Lorsque tout a été fait, on inverse les choses : le « comment » prend le pas sur le « but ». Chacun se confronte au rocher mais pour dire SA conception de SA liberté.
Derrière ces rivalités se cachent souvent des histoires d’ego, entre élitisme et pratique démocratique. Très rapidement on se rend compte que l’histoire de l’escalade se confond ainsi avec l’histoire des « premières », ces ascensions réalisées pour la première fois, où la volonté de laisser une trace paraît plus importante que celle de se sentir en communion avec la nature. À cette confrontation permanente s’ajoute l’évolution importante du matériel et le choix de l’utiliser ou non. Tous ces paramètres sont clairement démontrés dans un récit qui n’idéalise pas une pratique marquée par les principes de son temps. Ainsi, outre le récit chronologique, cet ouvrage a le mérite de replacer la pratique sportive dans le contexte sociétal qui permet de passer des grimpeurs « gentlemen » anglais de la fin du XIXème siècle aux grimpeurs américains beatniks puis hippies des années soixante. Chacun grimpe avec son époque et l’escalade devient un miroir du temps. Se voulant un ouvrage de référence, la BD se termine avec des annexes qui raviront les passionné(e)s : principaux massifs rocheux du monde, noms des grimpeuses et grimpeurs d’aujourd’hui, tableau de difficultés, glossaire, bibliographie, filmographie.
Dans le récit Craintif des falaises (Éditions L’Arbre vengeur), l’écrivain Éric Chevillard raconte son acrophobie, et écrit « La montagne nous trompe : plus tu montes, et plus c’est profond », un précepte que cette BD illustre à sa manière.
Il était une fois l’escalade de Catherine Destivelle, David Chambre, Laurent Bidot. Co-édition Les Arènes et Les Éditions du Mont-Blanc. 196 pages. Parution : 12 octobre 2023. 27 €.
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