BD L’intranquille Monsieur Pessoa. Voyage dans le cerveau d’un poète 

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Nicolas Barral avec sa BD L’Intranquille Monsieur Pessoa, publié chez Dargaud, nous offre un portrait magnifique de l’écrivain majeur portugais. Voyage dans le cerveau d’un poète. 

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Lisbonne. Novembre 1935. Un cabinet médical. Le praticien annonce à son patient qu’il doit prendre « des dispositions ». Impassible, le malade lui répond : « je suis immortel ». Pourtant l’immortel n’a rien d’un fanfaron, d’un fort en gueule. Visage impassible barré d’une moustache noire, le chapeau mou à la main, il ressemble plus à un fonctionnaire passe-muraille à la Marcel Aymé qu’à un matamore grandiloquent. Cet homme s’appelle Fernando Pessoa, un patronyme qui peut signifier « personne ». Dans les rues, un anonyme parmi les anonymes. A quarante sept ans, sa renommée relative est surtout celle des milieux littéraires, poétiques, suffisamment pour qu’un pigiste d’un journal portugais soit chargé de préparer sa nécrologie, et nous emmène dans sa minutieuse enquête.

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C’est à cet homme malade, insignifiant en apparence, qui deviendra très célèbre après sa mort, que l’auteur consacre sa deuxième BD en solo. Ce n’est pas à un exercice biographique que se livre ici le dessinateur, qui cherche surtout à comprendre et à trouver la source de l’inspiration d’une oeuvre. Comment cet homme banal en apparence, dont le dessin de Barral renvoie l’absence apparente d’émotions, est il capable de créer des œuvres ésotériques, engagées, poétiques?

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Sur fond d’une ville de Lisbonne parfaitement évoquée, c’est une personnalité qui nous est offerte, celle d’un homme incapable de nouer une relation amoureuse avec une femme et de vivre autrement qu’une vie professionnelle rigoureuse sans aucune fantaisie. Les discussions avec son barbier, ses malaises, ses vertiges ne sont troublés que par des papillons qui viennent se poser de manière impromptue sur son visage, comme des fulgurances poétiques ou fantasmatiques, seuls liens entre le monde réel que Pessoa craint et le monde imaginaire où il se sent à l’aise.

« Mieux valait pour moi écrire que de risquer de vivre ».

Même dans cet univers de la création, comme pour se protéger Pessoa va se dissimuler derrière des hétéronymes, Alberto Caiero, Ricardo Reis, Alvaro de Campos et d’autres encore, qui vont prendre corps et visages dans les cases dessinées. Des usurpateurs protecteurs. Il faudra quand même des mots pour dire cette difficulté d’être. Ce sont ceux de Pessoa enfant qui nous éclairent: « je suis né sans carapace, chaque émotion est comme une allumette grattée sur le tissu sensible de mon coeur, une aubaine pour le poète auquel cette infirmité confère le don de voir par dessus les choses ». Voir ce que les autres ne voient pas, c’est aussi ce que proposent les dessins de Nicolas Barral, qui métaphoriquement nous montrent ce que le regard vide de Pessoa perçoit seul. L’intranquille dit le titre de la BD, cet état qui veut signifier le contraire de l’agitation mais qui n’est pourtant pas celui de la sérénité. L’ouvrage nous aide à nous faire une perception de cette intranquillité, dont le Journal publié pour la première fois en 1982 deviendra, de manière posthume, l’oeuvre majeure de l’écrivain portugais, regroupant pensées, réflexions, aphorismes consignés par Pessoa entre 1913 (Pessoa a 25 ans) et 1935.

Nicolas Barral à Quai des Bulles de St Malo, après la parution de Sur un air de Fado, nous avait confié, sa peur et sa joie mêlées de s’affranchir d’un scénariste pour la première fois. Avec ce portrait de Pessoa, il démontre sa capacité à raconter avec un récit fluide, éclairant et original. Loin d’une biographie, il nous invite à percevoir les états d’âme d’un génie. Le dessin aux couleurs sourdes et sans extravagances colle à la personnalité de Pessoa dont on n’oublie pas le visage sans vie, cachant un cerveau en effervescence. Le temps d’une lecture nous avons le sentiment de mieux le connaitre émettant le souhait d’avoir une conversation avec lui, comme celles qu’il entretenait avec son barbier. Cela tombe bien, même décédé depuis près de 90 ans, Fernando Pessoa n’a pas quitté les rues de la capitale portugaise. Si vous errez du côté du café A Brasileira, cet établissement qui accueillit au début du XX ème siècle nombre d’intellectuels portugais, vous le trouverez assis à la terrasse. Vous pouvez aller le voir, l’observer. Fidèle à lui même, il restera figé, vous ignorant superbement. Il ne vous répondra pas. Il est en bronze.

L’intranquille Monsieur Pessoa de Nicolas Barral. Editions Dargaud. 136 pages. 25€. 

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Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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