BD Juger Pétain et Cher pays de notre enfance, les affres de la République

Avec « Juger Pétain » paru chez Glénat et « Cher pays de notre enfance » chez Futuropolis, la BD démontre ce qu’elle peut apporter aux livres d’Histoire. Beaucoup de plaisir dans le respect des faits.

 

juger pétainQuatre auteurs pour deux BD. Il est normal que des dessinateurs travaillent avec des spécialistes lorsque l’on souhaite éditer une BD historique. Pour le procès du célèbre Maréchal « Juger Pétain », Sébastien Vassant s’est adjoint les services de Philippe Saada, documentariste et réalisateur d’un documentaire éponyme. Quant à Étienne Davodeau et « Cher Pays de notre enfance », c’est le journaliste de France Inter, Benoît Collombat, auteur de l’ouvrage « Un homme à abattre » consacré à la mort de Robert Boulin qui fournira la base narrative. Dans ces BD qui se veulent respectueuses de la véracité des faits, l’imagination n’a pas sa place et la rigueur du scénario doit primer toute autre considération. Mais rigueur ne signifie pas ennui.

Dans « Juger Pétain », nous nous retrouvons le 23 juillet 1945 dans la salle d’audience du Palais de Justice de Paris pour juger un homme de 89 ans qui a évité le pire à la France selon ses défenseurs, ou qui a livré son pays aux nazis pour l’accusation. Sauveur de la Nation ou traître à la Patrie ? Nous sommes dans le prétoire, accablés de chaleur aux côtés de Camus ou de Joseph Kessel. Lecteur nous allons nous transformer inconsciemment en juré, dans ce procès qui aujourd’hui encore suscite des polémiques, car au-delà du jugement de celui qui fut à la tête de l’État français pendant l’occupation allemande, le véritable enjeu du procès est bien celui de l’attitude d’une nation face à l’invasion nazie. testDevant nos yeux vont défiler à la barre notamment Reynaud, Daladier, Lebrun, Darlan, Laval, Weygand tous les personnages militaires ou hommes politiques, acteurs essentiels de cette tragédie. La réussite des auteurs est de nous les présenter hors audience, d’en tracer des portraits vivants. Chaque témoin est le narrateur de faits ( armistice, entretien de Montoire, destruction de la flotte à Mers El Kebir….) qui reconstituent la chronologie de cette période troublée et fournissent au lecteur non spécialisé un formidable cours d’histoire animé. Dessiner, malgré ces escapades biographiques, trois semaines de huis clos pourrait être ennuyeux : personnages figés sous le regard du président Mongibeaux et transcription de longues dépositions. Alors pour animer ces débats, les auteurs n’hésitent pas à avoir recours à des procédés graphiques particuliers. PlancheS_48564L’attitude du gouvernement anglais de Winston Churchill est ainsi évoquée par des comics-strips à la mode américaine. Intitulés « A cup of tea with Churchill » ils apportent un ton décalé et humoristique sans trahir la réalité historique. Pareillement, Pétain, silencieux tout au long de son procès, s’exprime intérieurement à travers un journal imaginaire « Ma vie avec les boches » qui permet de lui donner la parole et d’évoquer les traits de sa personnalité. La mise en page est d’une grande richesse, pleine de trouvailles, transformant un exercice statique en une BD de mouvement où la forme ne sacrifie jamais le fond. Sans parti pris, les auteurs donnent au lecteur tous les éléments nécessaires pour se forger sa propre opinion.

Avec « Cher pays de notre enfance », nous changeons de décennie et de République. L’enquête commence en juillet 1975 avec l’assassinat du juge Renaud à Lyon, point de départ d’un écheveau de révélations qui va être déroulé tout au long de la BD : hold-up du gang des Lyonnais pour financer le parti gaulliste au pouvoir, 47 assassinats politiques sous Giscard ou Pompidou, l’affaire Boulin, la tuerie d’Auriol, les milices patronales. C’est l’histoire du SAC (Service d’Action Civique), officine et milice souterraine, mais terriblement puissante du mouvement gaulliste qui est le sujet de la BD, cette mafia paradoxalement moins connue que la bande à Baader ou les Brigades Rouges mais qui tache de sang, sur la couverture de la BD, la stature hiératique du Général de Gaulle. C’est l’époque où les rubriques du Journal Télévisé sont choisies Place Beauvau, où la presse ne dispose pas du pouvoir ou de la liberté actuelle. cher pays de notre enfanceL’enquête des deux auteurs est minutieuse, remarquable de clarté. Elle se déroule de manière logique et implacable avec ses « blancs » pas encore comblés aujourd’hui et auxquels Charles Pasqua, maintenant décédé, ne voulut pas apporter de réponse aux auteurs. Les investigations font frémir même si au final elles ne font que mettre en exergue des faits aujourd’hui connus, mais peu médiatisés. Au cœur de l’ouvrage, la mort de Robert Boulin, alors ministre du Travail, retrouvé dans 50 centimètres d’eau dans un étang de la forêt de Rambouillet est révélateur de cette occultation collective de la réalité d’une période peut être idéalisée ou enfouie dans la mémoire d’un pays pas très fier de ces « années de plomb ». Plus personne ne croit à la grossière thèse du suicide du ministre du Travail, et l’enquête de Benoît Collombat est implacable avec un dernier témoignage inédit accablant. Le livre se dévore d’un trait, mais on peut, à la fin de la lecture, légitimement se poser la question de la plus-value apportée par la BD. Le dessin de Davodeau, fluide et précis, est toujours efficace, mais qu’apporte-t-il par rapport à une enquête simplement écrite comme celle du livre de Collombat ? Les personnes interviewées se succèdent, dessinées de manière expressive et réaliste, mais les cases dessinées n’apportent aucune information particulière si ce n’est une grande facilité de lecture et de compréhension.

Il reste qu’au-delà des qualités ou des défauts propres à chaque ouvrage, la BD demeure un formidable vecteur d’apprentissage historique, ludique et populaire qui a peut-être pour mérite principal d’ouvrir des sujets à un public plus large et moins spécialisé. En ce sens ces deux livres sont une grande réussite. C’est déjà beaucoup.

Juger Pétain  Éditions Saada Philippe (scénario) et Vassant Sébastien. (Dessins), Glénat, Collection 1000 feuilles, Noir et blanc, septembre 2015, 128 pages. 19,50 €

Cher pays de notre enfance Benoît Collombat (Scénario) Étienne Davodeau (Dessin), Éditions Futuropolis, octobre 2015 218 pages. 24 €. (sélections : prix BD Landerneau 2015, prix des libraires de BD 2016, prix BD FNAC 2016)

 

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Eric Rubert
Le duel Anquetil Poulidor sur les pentes du Puy-de-Dôme en 1964, les photos de Gilles Caron dans le Quartier latin en Mai 68, la peur des images des Sept boules de cristal de Hergé, les Nus bleus de Matisse sur un timbre poste, Voyage au bout de la Nuit de Céline ont façonné mon enfance et mon amour du vélo, de la peinture, de la littérature, de la BD et de la photographie. Toutes ces passions furent réunies, pendant douze années, dans le cadre d’un poste de rédacteur puis rédacteur en chef de la revue de la Fédération française de Cyclotourisme.

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