Faire du noir avec du rose c’est ce que Lucas Harari réussit dans une BD magnifique qui nous emmène dans une enquête policière à l’atmosphère étouffante. Comme le soleil d’un bord de mer magnifié. Hypnotique.
Nous avions laissé Lucas Harari, au festival BD de Saint Malo, complètement groggy, fatigué, surpris, mais aussi heureux de découvrir les joies du succès après le magnifique accueil réservé dès sa première BD à son ouvrage L’aimant, salué à la fois par la critique et par l’ensemble des lecteurs. Incrédule, il donnait l’impression de rêver debout, lui qui ne connaissait que peu le monde de la BD.
Il était donc logiquement attendu pour son second ouvrage trois ans plus tard, un délai nécessaire pour confirmer son talent précoce. Alors n’attendons pas plus longtemps pour écrire que La dernière rose de l’été, au titre à nouveau à double sens, est une réussite. Pourtant l’auteur a visiblement cherché à surprendre et à quitter l’univers de son premier album. L’aimant se déroulait en montagne, l’hiver, les tons étaient sombres et froids. Avec Rose on se pose au bord de mer, en plein été, en pleine chaleur, les couleurs brûlent les pages, et l’on a presque envie de s’éponger le front à la lecture.
Le jaune et le bleu dominent de leur éclatante luminosité et on se demande même si la lumière n’est pas le principal sujet de la BD. Elle vous brûle les yeux dans de magnifiques doubles pages, elle irradie la plage de sable, elle estompe l’uniformité du ciel, elle éclate et vous saute au visage quand vous tournez les pages. Bien entendu, on demeure dans l’énigme policière, mais pas celle de Conan Doyle, plutôt à la manière d’Alfred Hitchcock, quand l’atmosphère prime. On pourrait évoquer alors « Fenêtre sur cour », car Léonard, qui occupe passagèrement la maison de son mystérieux et absent cousin, a une vue plongeante sur une villa contemporaine où passent la jolie Rose et beaucoup d’autres personnes.
Il reçoit même un jour la visite du commissaire Beloeil, à l’allure aussi étonnante que son patronyme. Lui aussi s’intéresse à la villa transparente. Entre romance d’été et drame sadique, le récit nous perd magnifiquement dans les méandres des silences et des non-dits. Nous passons la soirée sur la plage aux lueurs d’un feu de bois, mais nous creusons aussi un bout de terrain pour enterrer un sac plastique. Nous regardons les yeux amourachés la jolie Rose à la blondeur incandescente, mais nous la trouvons également étrange et capricieuse. Ainsi Harari colorie de rose la noirceur de son énigme policière. Il n’a pas son pareil pour tendre l’atmosphère sans événement spectaculaire: des bribes de phrases à l’épicerie du coin, un chat tué, un homme peu loquace, des jeunes hommes disparus, le malaise se met peu à peu en place et la mise en page contribue à troubler le lecteur.
Des cases collées, séparées à peine par un léger trait noir, perturbent volontairement la lecture. Elles forment parfois, par une colorisation magnifique une autre image globale où l’oeil ne perçoit plus qu’une impression. Nous ne sommes pas dans un récit habituel et tout contribue à cette perception différente : qualité du papier, format imposant, objet magnifique, les éditions Sarbacane continuent dans leur recherche de la qualité, donnant visiblement aux auteurs les moyens de leurs désirs. Et les désirs d’Harari vont bien au-delà du « dessinateur- architecte », image attribuée à ses débuts et qui l’agaçait à juste titre. En deux ouvrages il a réussi à créer un style graphique unique et des atmosphères étranges ou pesantes. Il va falloir décidément qu’il apprenne à gérer les longues files d’attente de dédicaces, quand les festivals auront repris. À la fin du livre, on se surprend à revenir en arrière, à feuilleter de nouveau l’ouvrage, non pas pour le relire, mais simplement pour regarder de nouveau des magnifiques dessins, pour s’envoler avec les goélands dans le bleu Klein du ciel ou regarder l’horizon couchant qui se tend vers le violet. À rouvrir la BD comme un livre d’art, qu’elle est aussi.
La dernière rose de l’été de Lucas Harari. Éditions Sarbacane. 192 pages. Parution 26 août 2020. 29€.
Lucas Harari est né à Paris en 1990, où il vit toujours. Après un passage éclair en architecture, il entreprend des études aux arts décoratifs de Paris dans la section image imprimée, dont il sort diplômé en 2015. Sensibilisé aux techniques traditionnelles de l’imprimé, il commence par publier quelques petits fanzines dans son coin avant de travailler comme auteur de bande dessinée et illustrateur pour l’édition et la presse. L’Aimant est sa première bande dessinée publiée.