Simon Boileau a reçu le Prix René Goscinny – jeune scénariste au festival Angoulême, du 25 au 28 janvier 2024, pour La Ride, publié aux éditions Dargaud. Un périple à vélo, Paris – la Bourgogne en cinq jours, ne vous fera pas rentrer dans le livre des records, mais donnera l’occasion de ressentir pleinement la liberté et de mettre à l’épreuve votre amitié. Simon Boileau et Florent Pierre ont survécu et nous racontent avec finesse et humour ce voyage. Emballant.
C’est un espace bleu, de préférence uniformément bleu, comme sur la couverture de la BD. Un espace qui vous tend les bras lorsque à vélo vous atteignez les sommets, pas forcément ceux de l’Anapurna, mais ceux de la côte près de chez vous, cette bosse qui vous essouffle, vous amène des picotements dans les jambes et qui, par dessus tout, vous fait voir de l’autre côté. Le côté du bleu, mais aussi celui de l’ailleurs, du différent. La sueur apporte ainsi une valeur ajoutée aux choses et celle du vélo donne le sentiment illusoire et bref, mais réel, d’être pleinement vivant. Rien de plus normal alors que Simon et Florent, amis d’enfance, et accessoirement auteurs de cette belle BD, emprisonnés dans des boulots peu satisfaisants décident un jour de quitter la capitale, eux devenus des « parigots », pour rejoindre une maison familiale en Bourgogne. Cinq cents kilomètres en cinq jours: ce n’est pas l’exploit du siècle mais quand même une petite forme d’aventure. Suffisamment pour appeler ce périple la « Ride » (prononcer bien entendu raïde), ce que l’on qualifiait dans des temps pas si éloignés de « VI », Voyage Itinérant à vélo (comme les cadres acier remplacés par les cadres carbone, il faut vivre avec son temps).
Le dessin délié et dynamique de Florent Pierre nous incite à prendre l’aspiration de leurs roues pour traverser, à l’image des Chemins Noirs de Sylvain Tesson, la France périphérique, péri urbaine. Encore faut il pouvoir quitter le périphérique, celui de Paris, ce qui demandera plus d’une vingtaine de planches indispensables pour dire les doutes matériels et métaphysiques de novices, partagés entre la légèreté des bagages et leur nécessaire utilité, entre le sport et la contemplation, entre des conceptions du vélo qui agitent depuis des décennies le monde du cyclotourisme. Nos deux héros, qui n’en sont pas, sauf lorsqu’ils grimpent en zigzagant le fameux Mont Beuvrey, ont tout compris et évitent le piège d’un récit d’une randonnée bucolique, écologique, de retour à la nature. C’est plus compliqué que cela une « ride », un « VI » (je m’accroche). Et plus simple aussi.
Ce n’est pas toujours drôle les heures de selle, même avec un cuissard. Sauf pour le lecteur. Il y a les ennuis mécaniques, (ah si on avait gardé le matériel de réparation dans les sacoches), les coups de pompe (ah si on l’avait gardée dans les sacoches), la pluie et les orages, les erreurs de parcours, la chaleur, le froid, la nuit qui tombe rapidement (ah si on avait gardé les phares dans les sacoches ). Il y a les minutes, les heures, voire même les jours où on se demande ce que l’on fait là, au milieu de nulle part, sans réseau et pourtant à 10 km de la gare la plus proche et de sa tentation d’un retour express.
Et puis, il y a le vent dans le dos, le paysan qui vous héberge, la descente après la montée (surtout celle du Mont Beuvrin !), le Routier et sa patronne qui vous accueillent comme des princes, l’arrivée triomphale dans la famille, le récit d’une randonnée devenue épopée. Le bonheur double page, d’avoir accès par la seule force de ses mollets à un paysage magique, d’autant plus beau qu’il s’est mérité.
C’est le moment où apparaît alors un risque, celui de vous prendre pour « Bernard Rhino », mais rassurez vous cela ne dure guère longtemps. Quelques cuissards en lycra qui vous passent en courant d’air ou plus sûrement un léger faux plat, qui porte bien son nom hypocrite, pas vraiment plat mais vraiment faux, vous ramène à la réalité de votre condition de modeste cyclotourisme. Cela n’est pas grave car on est là pour « faire la course contre son ombre, la seule qui vacille la peine ».
Simon Boileau et Florent Pierre racontent tout cela, sans discours ni trompette mais en affirmant par de petites touches délicates et sensibles, combien il est bon, même de manière temporaire, de s’échapper parfois du quotidien, de réaliser à son échelle de petits exploits, de vivre des moments de crainte, de peur mais aussi de bonheur qui font que ces jours de voyage se différencient des jours banalisés, sans voyages.
Et puis partir ensemble à vélo est un bel exercice d’amitié, un test aussi qui saura supporter la fatigue de fin de journée, l’ennui, le ras le bol. L’amitié de Simon et Florent a visiblement résisté à leur périple. Tant mieux car après cet album mené tambour battant, avec un sens aigu des dialogues et des situations, dont le premier jet avait reçu le prix de la BD numérique du Festival d’Angoulême en 2020, ils vont pouvoir rapidement nous surprendre avec un prochain ouvrage aussi fluide qu’une descente à tombeau ouvert du Mont Beuvrin. Et aussi beau qu’une brassée de ciel bleu au dessus du faux plat d’à côté.