Comment naît un volcan ? Dans une BD aux aquarelles superbes intitulée La saga de Grimr Jérémie Moreau apporte une réponse sous forme de saga islandaise. Magnifique. La Saga de Grimr a reçu le Prix Fauve au festival de BD d’Angoulême.
Si l’on devait décrire un lieu à l’origine du monde, nul doute que celui-ci ressemblerait à l’Islande. La terre y est instable comme un nouveau né. Le feu la dévore prêt à tout engloutir en quelques secondes. Le rouge incandescent côtoie le noir de la suie. Le vert et le violet de la belle saison s’estompent parfois au profit du gris et du blanc hivernal. Et l’homme a ses racines dans les branches d’une généalogie ininterrompue (on naît « Sson » fils de, ou « Döttir » fille de) qui puise sa sève dans les sagas, ces textes anonymes ou des inconnus veulent se libérer de leur modeste condition humaine pour être sauvé de l’oubli et vaincre leur propre mort.
C’est sur cette terre si belle et si dure à la fois que Jérémie Moreau pose des dessins pour raconter l’histoire de Grimr, appelé « Grimr Enginsson, fils de personne », terrible dénomination dans ce pays où l’on se doit de survivre, au moins par son nom, au-delà de son dernier souffle. Placé sous le joug danois en ce XVIIIe siècle, la misère islandaise est généralisée, et Grimr cet enfant à la force herculéenne, à la chevelure rousse, couleur de feu, va connaître toutes les injustices. Élevé par un voleur, loin des hommes, il devient passeur de fjord avant d’être accusé d’assassinat par un mystérieux émissaire danois. Confronté à toutes les noirceurs et injustices de la vie, Grimr consacre alors sa force à ramasser des pierres, à les transporter dans un but mystérieux. Dès les premières cases, le regard haineux de Grimr, envers les hommes, n’a d’égal que sa volonté à exister à leurs yeux. Sa force magnifiée s’atténuera lorsqu’il découvrira l’amour, un amour lui aussi contrarié et qui décuplera sa violence. Fidèle à la définition de la saga, le récit nous promène entre une réalité sociale et économique bien réelle (en France une révolution va bientôt éclater) et des éléments de légende surnaturelle.
Jérémie Moreau touche, avec ses dessins à l’ordinateur, au sublime exprimant avec un talent renouvelé toute la noirceur et la beauté de l’île. Avec son dernier grand succès « Le singe de Hartlepool » il avait accompagné le scénario de Lupiano, le dessin s’effaçant devant un récit captivant. Dans la BD La sage de Grimr en renouvelant son style, l’auteur brise la monochromie du récit par l’explosion d’une magnifique palette de couleurs pour peindre les paysages pleine page, faisant vrombir les volcans en frisant parfois l’abstraction comme dans les photos de Ernst Haas. La démesure de la nature, la taille infime de l’Homme sont parfaitement suggérées et montrent la nécessité qui Lui est faite de grandir pour affronter son destin et rentrer dans l’éternité. La volonté de Grimr répond en un écho tellurique à la violence des éléments naturels. Tout n’est que force, force non maîtrisée de la nature, force destructrice de l’âme humaine. Parfois même le dessin se fait vibrionnant, tremblotant pour montrer le caractère instable d’un monde sous la main des puissants. Jérémie Moreau sait dessiner et raconter, avec un talent rare, la démesure, quand la nature répond aux moments opportuns aux bassesses humaines. Le dessin alors domine le texte.
Avec cette magnifique bande dessinée La saga de Grimr, le voyageur qui a eu la chance de se rendre en Islande se retrouvera de suite en terrain connu. Celui qui n’a pas marché dans les fjords et sur les volcans de l’île ressentira l’âme de ce pays unique. Il ressentira la puissance d’un volcan en train de naître, celui de Grimr. Ou d’un autre héros qui est passé du côté de l’éternité, malgré la petitesse des hommes.